« Chacun
fait l’épreuve de voir disparaître ce qu’il aime, sans doute. C’est la règle et
elle ne souffre pas d’exception durable. Si comblé que l’on soit par la vie, il
faut à un moment ou à un autre se dessaisir de tout ce qu’elle vous a donné. Le
temps qui passe, la mort qui vient exécutent la besogne. On le sait et on l’ignore.
Si l’on y réfléchit, rien n’est plus étonnant que cette formidable faculté d’oubli
que mobilisent mentalement tous les hommes afin d’ignorer ce qu’ils savent
pourtant. Ils construisent des demeures et accumulent des biens, s’unissent et
se reproduisent, constituant tous comme un petit empire à leur mesure qu’ils
font prospérer autant qu’ils le peuvent et sur lequel ils se donnent l’illusion
éphémère de régner. Mais il leur faudra tout rendre au néant, dans
lequel, à leur tour, ils disparaîtront enfin. Je n’exprime ces banalités plus
ou moins philosophiques que parce qu’elles se trouvent systématiquement
méconnues. L’existence l’exige, et c’est très bien ainsi, aucune conscience ne
pouvant supporter la perspective, au fond assez terrible, dont je parle ici.»
(Philippe Forest, Crue)
Philippe Forest est romancier, essayiste. Il a entre autres écrit une biographie de Louis Aragon.
A lire de Philippe Forest, un des plus importants écrivains français contemporains, selon moi : L'enfant éternel (1997) et Tous les enfants sauf un (2007)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire