mercredi 5 juillet 2017

le sommeil de la raison

  Le sommeil de la raison…


Tu es sans cesse importuné par des créatures étranges. En tuer une ne saurait suffire, les tuer toutes est impossible.

Nuitamment tu as erré, nuitamment tu as cherché. Chancelant sous une pluie battante, harcelé par les vents, tu avançais malgré tout, porté par un douloureux désir. La ville était devenue un vaste labyrinthe où égaré tu interrogeais les apparences. Les ombres bruissaient de pénibles rumeurs. Les murs portaient leurs lambeaux d’affiches comme des cicatrices. A travers la longue enfilade des rues des farandoles d’enfants masqués se déroulaient comme des rubans. D’insalubres ruelles et de cafés aux vitrines rouges émergeaient des troupes d’acteurs titubants qui se répandaient au hasard de leur ivresse. A une fenêtre penchée tu fus un instant sensible à la blancheur d’une robe sur laquelle un rideau tomba. Tu allais sans rien voir et sans rien retenir. Dans la roseraie te surprirent des instruments de musique à l’abandon. Les cuivres dégouttant de pluie luisaient et tu murmurais sans comprendre le mot trompette et le mot cor. Il y avait des chaises à la renverse comme des visions de rêves éparses et dans les branches une ombrelle s’était accrochée. Dans l’allée sablonneuse un cheval passa au pas et disparut. Des parterres de fleurs chétives bordaient les tombes de marbre blanc. Des processions de mères en deuil se penchaient au-dessus de quelque fosse commune. Leur douleur était silencieuse malgré leurs bouches grandes ouvertes et leurs visages tordus. Dans le talus grimaçaient des clowns effrayants et leur danse folle te semblait une suprême dérision. Partout se faisaient entendre des cris, des bris de verre et des éclats de rire. Tu errais, tu cherchais et inutile était la lettre pressée contre ton cœur. 

                                                              Frédéric Perrot 


Francisco de Goya (1797)

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