Le sommeil de la raison…
Tu es sans cesse importuné par des créatures étranges. En tuer une ne
saurait suffire, les tuer toutes est impossible.
Nuitamment tu as erré, nuitamment tu as cherché. Chancelant sous une
pluie battante, harcelé par les vents, tu avançais malgré tout, porté par un
douloureux désir. La ville était devenue un vaste labyrinthe où égaré tu
interrogeais les apparences. Les ombres bruissaient de pénibles rumeurs. Les
murs portaient leurs lambeaux d’affiches comme des cicatrices. A travers la
longue enfilade des rues des farandoles d’enfants masqués se déroulaient comme
des rubans. D’insalubres ruelles et de cafés aux vitrines rouges émergeaient
des troupes d’acteurs titubants qui se répandaient au hasard de leur ivresse. A
une fenêtre penchée tu fus un instant sensible à la blancheur d’une robe sur
laquelle un rideau tomba. Tu allais sans rien voir et sans rien retenir. Dans
la roseraie te surprirent des instruments de musique à l’abandon. Les cuivres
dégouttant de pluie luisaient et tu murmurais sans comprendre le mot trompette
et le mot cor. Il y avait des chaises à la renverse comme des visions de rêves
éparses et dans les branches une ombrelle s’était accrochée. Dans l’allée
sablonneuse un cheval passa au pas et disparut. Des parterres de fleurs chétives
bordaient les tombes de marbre blanc. Des processions de mères en deuil se
penchaient au-dessus de quelque fosse commune. Leur douleur était silencieuse
malgré leurs bouches grandes ouvertes et leurs visages tordus. Dans le talus
grimaçaient des clowns effrayants et leur danse folle te semblait une suprême
dérision. Partout se faisaient entendre des cris, des bris de verre et des
éclats de rire. Tu errais, tu cherchais et inutile était la lettre pressée
contre ton cœur.
Frédéric Perrot
Francisco de Goya (1797) |
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