La chose la plus miséricordieuse en ce bas
monde est bien, je crois, l’incapacité de l’esprit humain à mettre en relation
tout ce qu’il contient. Nous habitons un paisible îlot d’ignorance cerné par de
noirs océans d’infini, sur lesquels nous ne sommes pas appelés à voguer bien
loin. Les sciences, chacune creusant laborieusement son propre sillon, nous ont
jusqu’à présent épargnés ; mais un jour viendra où la conjonction de tout
ce savoir disparate nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la
réalité et sur l’épouvantable place que nous y occupons que nous ne pourrons
que sombrer dans la folie devant cette révélation, ou bien fuir la lumière pour
nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge des ténèbres.
Les théosophes ont pressenti
l’envergure grandiose et terrifiante du cycle cosmique au sein duquel notre
monde et notre espèce ne sont rien de plus que d’éphémères incidents. Ils ont
évoqué d’étranges rémanences en des termes qui nous glaceraient le sang s’ils
n’étaient dissimulés par le voile terne de leur optimisme. Mais ce n’est pas à
eux que je dois la vision fugitive de ces éons interdits, qui me fait
frissonner lorsque j’y pense et me rend fou quand j’en rêve. Cette vision,
comme tous les épouvantables aperçus de la vérité, a surgi de l’association
fortuite d’éléments distincts : dans ce cas, un ancien article de journal
et les notes d’un universitaire défunt. J’espère que personne d’autre ne
commettra jamais cette même association : je sais avec certitude que tant
que je vivrai, je ne me permettrai pas d’ajouter consciemment le moindre
maillon à cette effroyable chaîne d’événements. Je pense que le professeur
souhaitait comme moi taire ce qu’il avait appris, et qu’il aurait détruit ses
notes si la mort ne l’avait aussi brusquement emporté.
Telles
sont les premières lignes de la nouvelle de H.P Lovecraft, L’Appel de Cthulhu, dans une traduction de Maxime Le Dain
et magnifiquement illustrée par François Baranger.
L’Appel de Cthulhu
Une nouvelle de H.P. Lovecraft
Traduction de Maxime Le
Dain (2012)
Illustrations de François
Baranger
Editions Bragelonne, 2017
Wilcox le sculpteur |
L'abomination titanesque |
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