mercredi 1 mai 2019

L'Appel de Cthulhu (une nouvelle de H.P. Lovecraft illustrée par François Baranger)


La chose la plus miséricordieuse en ce bas monde est bien, je crois, l’incapacité de l’esprit humain à mettre en relation tout ce qu’il contient. Nous habitons un paisible îlot d’ignorance cerné par de noirs océans d’infini, sur lesquels nous ne sommes pas appelés à voguer bien loin. Les sciences, chacune creusant laborieusement son propre sillon, nous ont jusqu’à présent épargnés ; mais un jour viendra où la conjonction de tout ce savoir disparate nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la réalité et sur l’épouvantable place que nous y occupons que nous ne pourrons que sombrer dans la folie devant cette révélation, ou bien fuir la lumière pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge des ténèbres.
            Les théosophes ont pressenti l’envergure grandiose et terrifiante du cycle cosmique au sein duquel notre monde et notre espèce ne sont rien de plus que d’éphémères incidents. Ils ont évoqué d’étranges rémanences en des termes qui nous glaceraient le sang s’ils n’étaient dissimulés par le voile terne de leur optimisme. Mais ce n’est pas à eux que je dois la vision fugitive de ces éons interdits, qui me fait frissonner lorsque j’y pense et me rend fou quand j’en rêve. Cette vision, comme tous les épouvantables aperçus de la vérité, a surgi de l’association fortuite d’éléments distincts : dans ce cas, un ancien article de journal et les notes d’un universitaire défunt. J’espère que personne d’autre ne commettra jamais cette même association : je sais avec certitude que tant que je vivrai, je ne me permettrai pas d’ajouter consciemment le moindre maillon à cette effroyable chaîne d’événements. Je pense que le professeur souhaitait comme moi taire ce qu’il avait appris, et qu’il aurait détruit ses notes si la mort ne l’avait aussi brusquement emporté.

                                                                                  
Telles sont les premières lignes de la nouvelle de H.P Lovecraft, L’Appel de Cthulhu, dans une traduction de Maxime Le Dain et magnifiquement illustrée par François Baranger.


L’Appel de Cthulhu
Une nouvelle de H.P. Lovecraft
Traduction de Maxime Le Dain (2012)
Illustrations de François Baranger
Editions Bragelonne, 2017


Wilcox le sculpteur










L'abomination titanesque

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