vendredi 31 janvier 2020

Les Rats (Télédétente 666)

Quand l’atmosphère
Autour de nous se déchire
On les vénère
Les moments de plaisir
Dans la Torpeur,
Le tempo des cent pas
Avant l’horreur
Et le charme des rats.

Ils ne viennent jamais seuls –
La mort les accompagne
Dans leurs yeux –
Le reflet de leur Général.
Les murs tremblent,
Ils approchent ils sont là,
Ils rongent, ils creusent,
Ils viendront jusque sous nos draps.
           
On les entend
            On les entend
            On les entend
            Les rats !

Aucune prière
Aucune supplication stérile
Ne détendront nos nerfs,
Ne calmeront nos voix.

Qu’ils viennent du milieu de l’Enfer
Ou du fond du pissoir
Qu’ils viennent, qu’ils creusent
Qu’ils déchirent le noir.

            On les attend
            On les attend
            On les attend
            Les rats !

On les attend
            On les attend
            On les attend
            Les rats !

… avant l’horreur et le charme des rats…



Paroles : François Wagener
Pour écouter le morceau de Télédétente :  https://youtu.be/8USW89extRY             

mercredi 29 janvier 2020

Réel amour (avec un dessin de Jimmy Poussière)

Jimmy Poussière


Tandis que d’inoffensifs bateleurs admonestent le monde devant leurs écrans, des amants réels fiers de leur secret paraphent le silence. Ravis mais lassés, ils fuient les vains bruits de la colère et les voix qui se haussent très au-dessus de ce qu’elles peuvent – elles ont l’injure et l’ultimatum faciles, des ordures choisies leur tiennent lieu de nuances ! – et ne cherchent qu’un endroit où s’abandonner au sommeil d’amour.

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Ces « ordures choisies » sont de Baudelaire :
« – Ah ! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d’excréments, vous l’auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l’exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies. » (Charles Baudelaire, Le Spleen de Paris, « Le chien et le flacon »)

                                                                      
           Frédéric Perrot, janvier 2020

lundi 27 janvier 2020

Sans surprise (une chanson de Cyril Noël)

Cyril Noël, au Local, le 21 septembre 2019



Il y aura dans ton sourire quelque chose d'elle
Et puis quelque chose de moi, sans surprise.
Quelque chose dans tes yeux de semblable au soleil,
Toutes ces choses de nous deux, sans surprise.

Tous ces mots les plus tendres, les réveils les plus beaux
Dans les matins étranges qui t’offrent un paradis.
Tes petits poings serrés grands comme le monde,
Toutes ces choses qui rappellent que l’on est bien en vie.

Il y aura dans ton sourire quelque chose d’elle
Et puis quelque chose de moi, sans surprise.
Quelque chose dans tes yeux de semblable au soleil,
Toutes ces choses de nous deux, sans surprise.

Des chansons qu’on invente, les refrains les plus beaux.
Un bonheur qu’on fréquente comme l’éternité.
Ton regard qui attendrit un petit peu le monde,
Toutes ces choses qui rappellent que tout va changer.

Il y aura dans ton sourire quelque chose d’elle
Et puis quelque chose de moi, sans surprise.

Sans surprise...
Nous vivrons l’amour sous un soleil radieux
Sans surprise...
Plus aucun ciel ne sera aussi bleu

Il y aura dans ton sourire quelque chose d’elle
Et puis quelque chose de moi, sans surprise.



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Pour voir le clip réalisé par Cyril Noël et Elise Lander :
https://youtu.be/4oI6NxwjCDE


Lien d’écoute pour le EP, 5 titres, de Cyril Noël :
 https://cyrilnoel.bandcamp.com/releases

Cyril Noël jouera en première partie de Paul Personne, le vendredi 20 mars à La Laiterie.
https://www.artefact.org/la-laiterie/programmation/paul-personne-cyrilnoel-presentes-par-artefact-prl-en-accord-avec-gerard

jeudi 23 janvier 2020

Le point final (avec une encre d'Eric Doussin)

Le chat de l'artiste inconnu, Eric Doussin



Ce sentiment de voir sa vie disparaître dans les marges du temps…

Contre le suicide logique – Le suicide est une réponse inadéquate à une question mal posée.

Dans la plupart des cas, le suicide n’est pas un acte libre et m’agacent les innombrables réflexions théoriques sur ce « thème ». Même Camus… Les premières phrases de son livre sur l’absurde sentant le sujet de thèse.

Verbiage philosophique – On n’apprend pas à mourir. Rien n’est convaincant dans les pages de Montaigne…
Se dire « j’aurai quand même vécu », comme Vladimir Jankélévitch, n’a jamais consolé personne. C’est un truisme. La mort ainsi conçue est une abstraction, un événement presque incongru qui survient à un moment ou à un autre, si possible dans l’extrême vieillesse… Mais cela ne se passe pas ainsi.
La mort, parfois et même souvent, est un coup de hache qui abolit le temps.
Il y a l’accident, le meurtre et la mort injuste, celle des enfants et des jeunes gens qu’une maladie emporte rapidement… Je doute que dans aucun de ces cas, on puisse dire comme ce professeur qui se plaît à « penser la mort », assis dans son fauteuil : « J’aurai quand même vécu… »

Le désespoir est le bras armé de la mort.

Le désespoir surtout se tait… Il ne parvient pas à s’exprimer et c’est pour cette raison qu’un poète naïf pouvait prétendre qu’il « n’existe pas ».

Plaisant – Mourir est à la portée du premier venu. Ne pourrait-on pas imaginer quelque chose de plus original ?

La mort est un point final.

Il ne nous reste qu’à écrire quelques belles phrases…


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Les premières phrases du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus disent exactement :
« Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie. »


                                                   Frédéric Perrot, janvier 2020

lundi 20 janvier 2020

Le rêve de l'ivrogne (avec une encre d'Eric Doussin)

Eric Doussin


                                   L’envie est une bouteille vide
Qu’il faut remplir d’eau glacée 
Dominique A
           

Le lieu de son errance
Est une ville immense
Comme il n’en existe pas
À l’architecture délirante
Où les rues pavées et élégantes
Sont montantes et descendantes

Font des coudes vertigineux
À croire qu’elles sont vivantes
Les pavés des écailles
Et qu’il marche sur le corps
D’un animal monstrueux
Qui s’agite dans son sommeil

Tout est changeant et imprévisible

C’est la nuit et de beaux ciels
Comme empruntés à des peintures
Mais ce qui frappe
C’est la hauteur des murs
L’aspect colossal et écrasant
Du moindre des bâtiments

Tout ceci n’a rien d’humain

Pour la note absurde
S’y promènent des touristes
Aux visages inquiets
Qui parlent et ne cessent de parler
Tant les impressionne le silence solennel
Qui règne en ces lieux

Lui il est perdu
Ne sait que faire de lui-même
Ni où aller

Car seule la trame du rêve
Est aussi claire que mesquine
Quelque part mais où
Des amis l’attendent
Et il cherche désespérément
Une bouteille à acheter 
Dans ce grand espace vide
Où il n’y a ni commerces
Ni commerçants 


Le poème appartient au recueil Les fontaines jaillissantes (janvier 2020). Frédéric Perrot.

vendredi 17 janvier 2020

Une cécité d'âme


                                                     The saddest thing that I’d ever seen
                                                     Were smokers outside the hospital doors
                                                                                         Editors


Je vis les yeux fermés. J’ignore sans difficulté la détresse commune. Je ne viens pas en aide, je ne console pas, je ne daigne pas être utile.
Je vis les yeux fermés. Je me désolidarise des convulsions du monde. Je ne me sens concerné par rien, je n’ai pas de réponses, je suis las des questions.
Je vis les yeux fermés. Je sais m’éviter les affres de la mauvaise conscience. Je suis prisonnier de moi-même, je n’oublie pas de m’en plaindre, je ne sais pas ce qu’est le courage.

Et dans la chambre d’hôpital, alors que tu te tordais de douleur, qu’ai-je ressenti, sinon un vague ennui ? Et dans la chambre d’hôpital, alors que tu partais, qu’ai-je fait, sinon fermer les yeux encore, sinon me réfugier encore dans le vaste désert qu’est mon âme ?  



         Le texte appartient au recueil inédit La perte d’un visage (été 2005). Comme plusieurs textes de cette époque, il a été écrit en songeant à un ami, Nicolas Wagener (1973-2002). Frédéric Perrot.

jeudi 16 janvier 2020

A tire-d'aile (poème de Kelig Nicolas)

Berthe Morisot, Kunsthalle

La poésie est notre jardin secret
que l’on partage en pagaille
et chuchotis...
Pourparlers oubliés, battus en brèche,
sourdent du cours d'eau,
par la prairie,
il y pousse des herbes en friches
et des arbres à cabanes,

un hérisson se pique de connaître
chaque parfum de nos fleurs,
une tortue trace la voie de trois limaces,
pour quelques salades,
et quatre pâquerettes,
les abeilles en font leur miel,
des rayons de soleil,
un canard s’exclame,
en langage des cygnes,

au milieu du chahut,
les enfants font leur histoire,
sur les plus belles branches
s’échangent des grappes de frêne
en langues d'oiseaux.


           Le poème a été publié par Kelig sur son blog le 14 mars 2019, c’est-à-dire, bel hasard, le jour de mon anniversaire. Frédéric Perrot.

mercredi 15 janvier 2020

un dessin dédicacé (par Valentine)


La source des sortilèges

Paul Gauguin, Kunsthalle


                                                                               Pour Ana,


Les hauteurs
Parcourues
Je reviens
Et fais cortège
À la source
Des sortilèges

Et comme
Le premier homme
Ravi
Des fruits savoureux
Et des oiseaux
Dans les arbres
Je redécouvre
L’innocence
Originelle

Et songe
En ma rêverie
Délicieuse

Les hauteurs
Parcourues
Le visage plongé
Dans la source
Des sortilèges

Ne me parlez
Plus de l’Éden
Il n’est pas
D’autre jardin
D’autre paradis
Que celui-ci
Ne me parlez
Plus de péché
Je n’y ai
Jamais cru



Le poème appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot.

dimanche 12 janvier 2020

Nietzsche, Le gai savoir (troisième livre, extraits)




130

Une décision dangereuse. – La décision chrétienne de trouver le monde laid et mauvais a rendu le monde laid et mauvais.

132

Contre le christianisme. – Désormais, c’est notre goût qui condamne le christianisme, non plus nos raisons.

142

Encens. – Bouddha dit : « N’adule pas ton bienfaiteur ! »  Qu’on répète cette sentence dans une église chrétienne :  – elle purifie instantanément l’air de tout ce qu’il contient de chrétien.

147

Question et réponse. – Qu’est-ce que les peuplades sauvages commencent aujourd’hui par emprunter aux Européens ? L’eau de vie et le christianisme, les narcotica européens. – Et qu’est-ce qui les fait périr le plus vite ? – Les narcotica européens.

164

Les chercheurs de repos. – Je reconnais les esprits qui cherchent le repos aux nombreux objets obscurs qu’ils disposent autour d’eux : qui veut dormir fait l’obscurité dans sa chambre ou rampe au fond d'une caverne. – Avertissement pour ceux qui ne savent pas ce qu’ils cherchent le plus, et aimeraient le savoir !

173

Être profond et paraître profond.  – Qui se sait profond s’efforce d’être clair ; qui aimerait passer pour profond aux yeux de la foule s’efforce d’être obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut voir le fond : elle est si peureuse et si réticente à entrer dans l’eau.

179

Pensées. – Les pensées sont les ombres de nos sensations – toujours plus sombres, plus vides, plus simples que celles-ci.

182

Dans la solitude. – Quand on vit seul, on ne parle pas trop fort, on n’écrit pas trop fort non plus : car on craint la résonance vide – la critique de la nymphe Echo. – Et toutes les voix sonnent différemment dans la solitude !

189

Le penseur. – C’est un penseur : cela signifie qu’il est expert dans l’art de considérer les choses comme plus simples qu’elles ne sont.

218

Mon antipathie. – Je n’aime pas les hommes qui pour faire de l’effet, doivent exploser comme des bombes, et à proximité desquels on est toujours exposé au danger de perdre brusquement l’ouïe – voire plus encore.

231

Les « fondamentaux ». – Les traînards de la connaissance pensent que la lenteur fait partie de la connaissance.

232

Rêver. – On ne rêve pas du tout ou alors de manière intéressante. – Il faut apprendre à être éveillé de la même manière : pas du tout, ou alors de manière intéressante.

239

Le triste. – Il suffit d’un unique homme triste pour répandre une morosité permanente et un ciel chargé sur une famille entière ; et il faut un miracle pour que cet unique individu n’existe pas ! – Le bonheur est loin d’être une maladie aussi contagieuse, – d’où cela vient-il ?

241

Œuvre et artiste. – Cet artiste est ambitieux et rien de plus : son œuvre n’est en fin de compte qu’un verre grossissant qu’il offre à tout homme regardant dans sa direction.

248

Livres. – Qu’importe un livre qui ne sait même pas nous transporter au-delà de tous les livres ?

264

Ce que nous faisons. – Ce que nous faisons n’est jamais compris, mais toujours simplement loué et blâmé.

266

Là où la cruauté est nécessaire. – Qui a de la grandeur est cruel envers ses vertus et ses réflexions de second ordre.

270

Que dit ta conscience ? – « Tu dois devenir celui que tu es. »

273

Qui qualifies-tu de mauvais ? – Celui qui veut toujours faire honte.

274

Qu’y a-t-il pour toi de plus humain ? – Épargner la honte à quelqu’un.

275

Quel est le sceau de l’acquisition de la liberté ? – Ne plus avoir honte de soi-même.




Nietzsche, Le gai savoir 
Présentation, traduction inédite, notes, bibliographie et index par Patrick Wotling.
Flammarion, 1997

samedi 11 janvier 2020

Katherine Mansfield, Journal




11 janvier 1920 – Travaillé de 9 heures et demie jusqu’à minuit moins un quart, ne m’arrêtant que pour manger. Terminé l’histoire. Je suis restée éveillée ensuite jusqu’à 5 heures et demie, trop excitée pour dormir. Dans la mer, des âmes de noyés ont chanté toute la nuit. J’ai pensé à tout ce qui s’est passé dans ma vie et ces choses me revenaient si vivantes. Tout est déterminé par ce sentiment que J. et moi ne sommes plus ce que nous étions. Je l’aime, mais il rejette mon vivant amour. D’où mon angoisse. Ce sont ici les plus mauvais jours de toute mon existence.

                                               Katherine Mansfield, Journal


Quatrième de couverture :

Morte à trente-quatre ans, le 9 janvier 1923, Katherine Mansfield nous livre quinze ans d’une vie qui se veut toute pureté, sincérité, recherche de la Vérité. Cette quête de la vraie vie à travers l’art et l’amour, l’apprentissage de la douleur physique et morale, les difficultés d’un couple, paraît tout aussi frémissante aujourd’hui qu’hier, sinon plus. Un livre justement célèbre, et qu’on lit avec amour.


Katherine Mansfield, Journal (Edition complète)
Traduction de Marthe Duproix, Anne Marcel et André Bay.

vendredi 10 janvier 2020

Amélia (titre pour un dessin de Vittorio Papermade)




J’ai oublié mon parapluie et il commence de pleuvoir… Cela m’agace de revenir sur mes pas et de me frayer à nouveau un passage dans la foule. Amélia vient à ma rencontre. « Pourquoi cette presse ? Que font tous ces gens dehors ? » Amélia me sourit et me dit que je me trompe. « Ils ne sont pas si nombreux. C’est l’étroitesse de la rue qui te donne cette impression. Ce n’est qu’une bande d’excités : je crois qu’ils se réjouissent de la mort du président que l’on a annoncée tout à l’heure. Il était malade. Personne ne le savait. Un cancer fulgurant… Mais allons chercher ton parapluie, c’est plus important ! »

Je dis à Amélia que dans sa robe blanche elle est d’une rare beauté, comme une petite demoiselle d’honneur dans un mariage. Amélia proteste, elle n’est plus une enfant, elle va bientôt avoir seize ans ! Nous marchons longtemps dans des rues vides et silencieuses. Sans me regarder, elle me parle de son inquiétude au sujet de sa mère, qui est alitée. « Comment s’appelle le café où tu as oublié ton parapluie ? »
Pour la distraire de sa tristesse, je réponds à Amélia que j’ai perdu l’habitude de faire confiance à ma mémoire. « Je crois me souvenir que le bar s’appelle le Contretemps et qu’il se trouve à l’angle d’une rue du Chardon… Mais dans cette partie de la ville, toutes les rues se ressemblent et je m’y perds souvent… J’espère que tu ne m’en voudras pas, si nous marchons encore un moment… »

                                    
                                    Frédéric Perrot, fragment repris, janvier 2020.