mardi 30 avril 2019

Mulholland Drive La clef des songes (Pierre Tevanian)



J’ai longtemps été un grand amateur de David Lynch, avant de comprendre que je n’avais pas besoin de ses cauchemars pour nourrir les miens… Cet aveu paraîtra ridicule ; mais il y a quelques scènes d’une violence convulsive, notamment dans Lost Highway, que je n’ai jamais pardonnées au cinéaste, pour la trace presque indélébile qu’elles ont laissée dans mon inconscient.

Quand Mulholland Drive est sorti, je suis néanmoins allé voir le film. Comme beaucoup de gens sans doute, je n’y ai rien compris ; ce qui n’est pas grave en soi… Mais à l’époque, outre le malaise, le film m’a agacé, comme une vague imposture purement esthétique, un objet malin dont le seul but était de provoquer un verbiage infini à son sujet : ce qui n’a pas manqué…

Il m’a fallu encore quelques années avant de revoir le film, trois, quatre fois peut-être et de comprendre que je m’étais évidemment trompé.

L’excellent petit livre de Pierre Tevanian, Mulholland Drive La clef des songes, propose une interprétation très cohérente de l’ensemble du film qui, sans en lisser les rudes aspérités, permet de penser que ce diable de David Lynch savait très bien ce qu’il faisait et que rien ou presque dans Mulholland Drive, n’est le fruit du hasard ou du caprice d’un artiste.

J’indiquerai seulement pour ne pas trahir le beau travail psychanalytique de l’auteur que si l’on considère les deux premières heures du film comme un rêve de réparation narcissique du double personnage interprété par Naomi Watts, bien des éléments qui paraissaient obscurs tendent à s’éclairer !
  
Et j’indiquerai encore à son crédit, qu’à peine le livre terminé, la première chose que j’ai faite a été de regarder une fois de plus Mulholland Drive !
                                                                      
                                                                                   Frédéric Perrot, avril 2019


Pierre Tevanian
Mulholland Drive La clef des songes
Editions Dans nos histoires
Strasbourg

Site des éditions Dans nos histoires : 
dansnoshistoires.org/

dimanche 28 avril 2019

sur le silence de Melville

En complément à la publication précédente consacrée au roman de Yannick Haenel, j’extrais de mon Journal, ces notes (avril 2014). Frédéric Perrot

 

Mumford suggère que ce qui a été nommé « le silence » de Melville est tout relatif. La période la plus sombre de son existence – son « Cap-Horn » – après l’écriture de Moby Dick et de Pierre ou les ambiguïtés et leur échec retentissant, quoique désastreuse pour sa santé, ne fut pas si longue et Melville ne cessa jamais d’écrire pendant « les quarante années suivantes », même si le temps des romans et des œuvres longues était achevé et même si l’indifférence de ses contemporains pour ses livres devenait toujours plus colossale. À sa mort, Melville était un écrivain totalement oublié, que l’on commencerait à redécouvrir trente ans plus tard.

 

Une anecdote amusante. Au début du vingtième siècle, Freud se targuait d’apporter « la peste » sur le continent nord-américain en y installant la psychanalyse. Mais cet élément délétère, anxiogène, lancé du Vieux Monde pour pervertir le Nouveau, ce fut aussi, si j’en crois le livre de Mumford, « le roman psychologique subtil » à la « Balzac ou Sand » dont un critique anglais, approuvé « dans l’ensemble » par ses collègues américains, déplorait l’influence parmi « les écrivains psychologiques d’Amérique » ; des romans qui « au lieu de développer une saine histoire avec des personnages et des motivations simples » abandonnent le lecteur « dans les méandres secrets, dans les remous de forces et d’incitations malsaines et anormales » (p.253). L’adjectif « subtil », que la subtilité puisse être perçue comme une menace, m’amuse beaucoup !

 

Ce que son époque ne pardonna pas à Melville et lui fit même chèrement payer, c’était sa « noirceur ».

 

Mumford néglige Bartleby ; auquel il n’accorde qu’une petite page – l’important n’était sans doute pas là, en ces temps de redécouverte de l’œuvre dans son intégralité –, Bartleby, qui ne devait commencer à être considéré à sa juste valeur que vingt ou trente ans plus tard encore, grâce notamment aux études approfondies de Maurice Blanchot ou de Gilles Deleuze et qui depuis est devenu une pièce « maîtresse » de l’œuvre de Melville, peut-être la plus célèbre, la plus commentée. Dans son approche très mesurée de Pierre ou les ambiguïtés, s’il insiste sur les défauts littéraires évidents de ce roman écrit à la va-vite, comme une ultime tentative vouée à l’échec, son jugement n’est pas sans appel. C’est de la critique littéraire dans le sens noble de cette expression ; on ne juge pas l’homme, l’auteur : on tente de le comprendre à travers ses œuvres, en montrant ce en quoi il a échoué, mais aussi ce qu’il a réussi.





vendredi 26 avril 2019

Tiens ferme ta couronne (Yannick Haenel)



À cette époque, j’étais fou. J’avais dans mes valises un scénario de sept cents pages sur la vie de Melville : Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, le plus grand écrivain américain, celui qui, en lançant le capitaine Achab sur les traces de la baleine blanche, avait allumé une mutinerie aux dimensions du monde, et offert à travers ses livres des tourbillons de prophéties auxquels je m’accrochais depuis des années ; Melville dont la vie avait été une continuelle catastrophe, qui n’avait fait à chaque instant que se battre contre l’idée de son propre suicide et, après avoir vécu des aventures fabuleuses dans les mers du Sud et connu le succès en les racontant, s’était soudain converti à la littérature, c’est-à-dire à une conception de la parole comme vérité, et avait écrit Mardi, que personne n’avait lu, puis Pierre ou les Ambiguïtés, que personne n’avait lu, puis Le Grand Escroc, que personne n’avait lu, avant de se cloîtrer pour les dix-neuf dernières années de sa vie dans un bureau des douanes de New York, et de déclarer à son ami Nathaniel Hawthorne : «  Quand bien même j’écrirais les Evangiles en ce siècle, je finirais dans le ruisseau. »   

Telles sont les premières lignes du roman de Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, roman d’une drôlerie rare dans la littérature française contemporaine. Qui aime Melville, le plus grand écrivain américain et peut-être l'un des plus grands écrivains tout court, m’intéresse ! 
Ceci dit, cet incipit comme disent les littéraires, bien que séduisant, est tissé d’erreurs. Le silence de Melville est un mythe : même après l’échec des livres dans lesquels il avait placé tous ses espoirs, Melville a continué d’écrire. Et même s'il est beau de le penser, quand il était employé au bureau des douanes de New York, Melville ne correspondait plus depuis des années avec Nathaniel Hawthorne, mort en 1864.

mardi 23 avril 2019

L'ersatz (avec une peinture à l'huile d'Eric Doussin)

Eric Doussin 

Ersatz, n. m. - v. 1914, répandu en 1939 ; mot all. « remplacement ». 1- Anciennt. Produit alimentaire qui en remplace un autre de qualité supérieure, devenu rare > succédané. Ersatz de café. 2- Fig. et vieilli. Ce qui remplace (qqch. ou qqn.) en moins bien > substitut.

Notre amour n’est plus qu’un pâle reflet de ce qu’il était. Notre amour n’est plus qu’un ersatz sans saveur.
Au temps de notre splendeur, l’impossible reculait à chacun de nos gestes et chacun de nos mots. Au temps de notre splendeur, chaque arbre était promesse de fruit.
Mais lentement nous nous sommes habitués l’un à l’autre et c’est comme si chacun avait fait vieillir l’autre.
Nous savons l’ombre tombée sur nos regards. Nous savons le pourquoi de nos rides. Nous savons que seules nous sont communes la déception et la fatigue.
Et nos yeux comme nos corps, ne se croisent plus que par erreur…
Et de l’ancien festin, il ne reste que des miettes que se disputent nos doigts noueux.



Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot

dimanche 21 avril 2019

le rêveur lucide (deux poèmes)

Les rives de l'Elbe 



Frappé d´irréalité


Tout ce que frôle le rêveur lucide est frappé d´irréalité
La femme se fige dans une position de plaisir suspecte

L´enfant retient ses cris et le père son ignoble idiolecte
Qui voue aux gémonies morigène l´étranger de partout

La mère effarée étouffe en son absence
Les frères statufiés méditent leur vengeance
Les mains mortes du monde grattent en vain à sa porte

Mais cela ne dure pas
Cela ne dure jamais

Et il lui faut à nouveau se flétrir
En la personne réelle de son double docile

------------------------------


L’ensablement


Les rives de l’Elbe
Ravies par la foule
Les visages figés
Dans l’expectative

Tableau vivant
Aux flambeaux
Couleurs ductiles
Bouquets brandis

Fleurs blanches
De l’espérance
Séraphique
Au cœur transi

Seul le rêveur
Lucide poursuit
Ivresse fluviale
Violent outrage

Son entreprise
De destruction
Commencée
Dans la volière 
D’une maison
De style néocolonial

Seul
Affranchi
Poursuit
Sans trêve
Son froid
Désir…

Avant l’ensablement
Final du rêve
Les rives de l’Elbe
Livrées aux vents



Les deux poèmes appartiennent au recueil inédit La solitude imaginaire (octobre 2016).
Frédéric Perrot

jeudi 18 avril 2019

sur La classe de neige d'Emmanuel Carrère



Dans ce court roman, déjà hanté par la figure de Jean-Claude Romand – le père dépressif et tueur d’enfants – et écrit en deux mois à peine, Emmanuel Carrère jette une lumière crue sur la morbidité des imaginations enfantines.

Le petit garçon timide et complexé – Nicolas, âge indéfinissable – dont le lecteur partage dès la première ligne les angoisses et les tourments – énurésie, insomnie –, ne rêve que de carnages et de morts violentes, imagine « le chalet » envahi par des « hommes méchants », dont il faut se cacher : « Mais Nicolas et Hodkann seraient cachés dans un creux du mur, derrière un lit. Ce serait un espace étroit, sombre, un vrai trou à rats. Ils s’y serreraient l’un contre l’autre, les yeux brillants dans la pénombre. Ils entendraient ensemble, avec leurs propres souffles, les bruits affreux du carnage, cris d’épouvante, râles d’agonie, chocs sourds des corps qui tombent, vitres brisées dont les éclats entaillent davantage encore les chairs mutilées, petits rires brefs et secs des bourreaux. La tête tranchée de Lucas, le petit roux à lunettes, roulerait sous le lit jusqu’à leur cachette et s’arrêterait à leurs pieds, les fixant de ses yeux incrédules. »

Les récits atroces et paranoïaques de son père – les enlèvements d’enfants dans des parcs d’attractions par des « gens méchants » qui se livrent au « trafic d’organes » – ont certes fortement impressionné et influencé l’enfant ; mais la morbidité a sa logique propre, comme le montre la scène avec l’autre garçon – Hodkann – au cours de laquelle l’affabulation acquiert une dimension monstrueuse, ce dont l’enfant lui-même prend conscience dès le lendemain : « Leur conversation nocturne, ses propres inventions lui faisaient maintenant l’effet d’un crime, d’une participation inavouable, monstrueuse, au crime qui s’était déroulé pour de bon. »
Cette culpabilité aggravée par les crimes réels du père qui ne sont que suggérés, ne le quittera plus ; ce qui permet peut-être de comprendre les troublantes et énigmatiques dernières phrases du roman, quand l’enfant est reconduit chez lui par le sympathique moniteur de ski parce que quelque chose de « grave » et d’indicible s’est passé : « … mais Nicolas savait que la porte allait s’ouvrir, qu’à cet instant sa vie commencerait et que dans cette vie, pour lui, il n’y aurait pas de pardon. »

Je noterai que tout dans ce roman semble étrangement flottant. Rien de ce qui est raconté n’est en soi invraisemblable ; mais les personnages qui cèdent si facilement à des épisodes dépressifs – la mère de l’enfant qui doit être à peu près folle, les gendarmes, la maîtresse –, les événements – l’oubli du sac de l’enfant dans le coffre de la voiture du père et comment, si je puis dire, on oublie cet oubli –, tout paraît décalé et fantomatique, comme dans un long et pénible cauchemar.  Le roman ne glisse cependant jamais vers le fantastique et tout le talent de l’auteur consiste à faire entrer de force dans un univers plausible et reconnaissable une imagination inquiète et torturée.
Sans doute y a-t-il ainsi un certain plaisir pervers à faire du « parc d’attractions » le lieu de la terreur pure et le décor d’un premier rêve érotique, dont l’enfant constate sans comprendre le désolant résultat sur son ventre et dans les draps. Scène bien glauque, au terme de laquelle l’enfant ne songe plus qu’à s’enfuir, mourir, se perdre dans la neige qui comme dans les contes, s’est justement mise à tomber d’abondance : « La neige recouvrait toutIl en tombait encore, des flocons que le vent faisait doucement tournoyer. C’était la première fois que Nicolas en voyait autant et, du fond de sa détresse, il ressentit de l’émerveillement. »
  
Je ne sais évidemment pas si Emmanuel Carrère y a pensé, mais à cet instant on peut se souvenir d’une autre histoire de neige, d’enfant traumatisé et de père meurtrier : Shining de Stephen King. Sans verser dans le surnaturel, spécialité de l’américain, l’atmosphère du roman de Carrère est lourde, angoissante, étouffante à souhait.

L’autre grand mérite du livre est de laisser au lecteur le soin de recomposer lui-même l’intrigue. Tous les éléments lui sont fournis au fur et à mesure de la narration, tels les morceaux d’un puzzle. La classe de neige peut être ainsi perçu comme un roman policier, dont le détective serait le lecteur. Avec ce risque que le lecteur se laisse à son tour emporter par son imagination !
Il m’a par exemple semblé au cours de ma lecture que la mère de l’enfant était peut-être – l’affreux soupçon ! – la complice impuissante des crimes du père, ce qui pourrait expliquer ce « déménagement » si précipité « deux ans » auparavant, les mensonges qu’elle sert à cette occasion à l’enfant et dont celui-ci n’est pas dupe, ainsi que son hébétude…

Ne m’intéressent que la manière dont l’histoire est racontée et « l’effet », comme disait Edgar Poe, qu’elle cherche à produire : l’angoisse, la peur, l’interrogation anxieuse…
D’autres approches sont bien sûr possibles : celle des pédagogues patentés de l’Education Nationale qui, comme d’habitude, n’y voient qu’un « conte intertextuel » et en minimisent la noirceur toute contemporaine ; comme la maîtresse du livre – notoirement incompétente – tente elle-même de minimiser des événements que Nicolas et les autres enfants ont fort bien compris sans elle…

------------------------------

L’ayant découverte dans les journaux, Emmanuel Carrère souhaitait écrire sur « l’affaire Romand », mais désespéré par les abîmes vertigineux que ce sordide fait divers ouvrait devant lui, il se jette à corps perdu dans l’écriture de La classe de neige qui est, à ce jour, sa dernière œuvre de fiction. Le livre consacré à « l’affaire Romand », L’Adversaire, ne paraîtra que cinq années plus tard.

Dans ce roman où règnent le non-dit, le mensonge, l’affabulation délirante et transgressive, l’indicible, les récits atroces du père m’apparaissent comme des aveux indirects ou métaphoriques : « Un jour, le père de Nicolas avait raconté une de ses histoires d’hôpital qu’il rapportait de ses tournées, celle d’un petit garçon qui devait subir une opération bénigne, mais l’anesthésiste avait commis une erreur et on avait enlevé l’enfant du billard sourd, aveugle, muet et paralysé, irréversiblement. Il avait dû reprendre conscience dans le noir. N’entendant rien, ne voyant rien, ne sentant rien au bout de ses doigts. Enseveli dans un bloc de ténèbres éternelles. On se pressait autour de lui et il ne le savait pas. Dans un monde tout proche, mais à jamais coupé du sien, ses parents, les médecins, décomposés d’horreur, scrutaient son visage cireux sans savoir si quelqu’un, derrière ces yeux mi-clos, ressentait et pouvait comprendre quelque chose. ». Et : « L’enfant hurlait et n’entendait même pas son propre cri. » Il est bien sûr horrible qu’un enfant effrayé en soit l’auditeur contraint, par la main du père, sur sa nuque… Un conte ? Non, vraiment pas.


                                                                          Hambourg, avril 2019
                                                                                  Frédéric Perrot

dans la foule


J’ai reçu l’ordre de tirer dans la foule.  Ce que je ne comprends pas, c’est que le message psychique n’était pas crypté. Les messages psychiques le sont toujours, comme l’étaient ceux de Radio-Londres durant l’avant-dernière guerre. Les sanglots longs des violons. La bibliothèque est en feu.  Celui-ci ne l’était pas. Il était clair et excessivement explicatif. Je préfère les messages psychiques courts et cryptés. On a toujours besoin d’un plus petit que soi. Ce qui veut dire ECI, Elimination Ciblée Immédiate. Suivi d’un nom et d’un rapide descriptif de la cible. Comme tous les professionnels, je n’aime pas qu’on me mâche trop le travail et qu’on empiète sur mon territoire. Cela dit, j’ai reçu l’ordre de tirer dans la foule. Je suis un fonctionnaire-tueur et je dois obéir. L’objectif général de cette mission d’ampleur me semble assez transparent. Il s’agit une fois de plus de perpétrer une ignoble tuerie que l’on attribuera aux Ennemis de l’Intérieur. Ces fameux Ennemis de l’Intérieur ! Comme s’il existait des Ennemis de l’Intérieur ! Comme si nous n’avions pas fait le travail depuis longtemps et étouffé tout ce qui pouvait ressembler même à l’ombre d’une contradiction… La contradiction est le commencement du doute et le doute mène au malheur. Cela dit, je ne comprends pas pourquoi le Ministère de la Paix Sociale continue de lancer de telles opérations. Enfin, je ne suis pas dans les petits papiers de ces messieurs et ce n’est pas mon affaire. Je suis un fonctionnaire-tueur et je dois obéir. L’obéissance est le gage d’une vie heureuse. Il n’en demeure pas moins que je n’aime pas que l’on change les procédures et que je préfère les messages psychiques cryptés et courts. Pour plus de sécurité, je l’ai transcrit faute d’autre papier au dos d’une vieille ordonnance et depuis je ne cesse de le relire : « Vous n’êtes pas sans savoir que le 14 Ventôse, sur la Place du Désir d’Emancipation, anciennement nommée Place de la République, aura lieu le Jour du Souvenir de la Terrible Catastrophe Climatique. Une chorale d’enfants interprétera à cette occasion une belle et émouvante chanson composée par la femme de notre Président aimé. Venez lourdement armé et tirez dans la foule. Votre cœur de cible sera la chorale d’enfants. ». J’aime cette expression « cœur de cible » et cela ne me pose aucun problème. Personne n’a voulu me croire à l’époque, mais j’ai déjà tué un enfant de mes propres mains dans un transport de colère. Je n’aime pas les enfants et en particulier les enfants qui chantent. Je ne supporte pas les sons aigus. Headache. Pourquoi tant de détails malgré tout, et une prose si fleurie ? Cela aurait pu être plus court. On a toujours besoin d’un plus petit que soi. Chorale d’enfants. 14 Ventôse. Place du Désir d’Emancipation. Ces messieurs du ministère n’ont pas l’air de mesurer combien il est épuisant de recevoir un message psychique. Plus un message est long et plus sa réception sera douloureuse. Après la réception de celui-ci, je suis au moins resté deux heures dans le brouillard. Je n’avais rien pour apaiser la douleur, puisque ce salaud de pharmacien de la rue des Lauriers m’a refusé mon ordonnance en employant à son sujet un drôle de mot : « obsolète ».
Cela est passé. Je suis un fonctionnaire-tueur et je dois obéir. L’obéissance est le gage d’une vie heureuse. Cela doit avoir lieu demain. J’ai réglé tous les problèmes de logistique et établi un plan. C’est bien parce que je suis un professionnel que l’on s’adresse à moi. Si j’en crois les voix toujours joyeuses de la Radio d’Etat – pourquoi ces imbéciles passent-ils leur temps à rire ? –, il fera très beau et il y aura beaucoup de monde. C’est heureux. J’aime voir clairement la mort sur le visage des autres, et si je tombe sous les tirs de représailles, ce sera en pleine lumière, en pleine gloire. 


                                               Strasbourg – Hambourg, avril 2019
                                                                               Frédéric Perrot

samedi 6 avril 2019

Allez, la musique


« Allez, la musique. Oui, bonnes gens, c’est moi qui vous ordonne de brûler, sur une pelle, rougie au feu, avec un peu de sucre jaune, le canard du doute… »

Isidore Ducasse – parfois connu sous le nom de Lautréamont – Poésies.

Peinture réalisée par une amie, Marie, d’après une photographie. Ce soir-là, dans la morne ville qu’est Metz, des musiciens allaient d’appartement en appartement pour jouer. Frédéric Perrot.




jeudi 4 avril 2019

sur Scott Walker

Scott Walker 


« La mort d’un homme de talent m’attriste toujours, puisque le monde en a plus besoin que le ciel », écrivait le grand Lichtenberg.  L’annonce de la mort de Scott Walker m’a attristé pour la même raison.
M’est revenue en mémoire l’époque où j’écoutais en boucle une de ses compilations, parue peut-être à l’occasion de la sortie de Pola X, l’adaptation par Leo Carax du roman d’Herman Melville, Pierre ou les ambiguïtés et dont Scott Walker avait signé la bande originale.
Peut-être était-ce un peu encore avant… Je ne sais plus et je n’ai plus ce disque. Ce qui est certain, c’est que des groupes comme Pulp, The Divine Comedy, les Tindersticks ne cessaient de chanter ses louanges, comme les Inrockuptibles, magazine auquel en ces temps révolus, on pouvait faire une confiance presque aveugle. En France, un certain Alain Bashung aimait à le citer avec respect.
Sur cette compilation, il y avait des titres très embarrassants, ces fameux tubes réclamés par les maisons de disques, mais aussi quelques-unes des plus étranges et des plus belles chansons de pop orchestrale jamais écrites. Toutes ces chansons, même les pires, étaient encore portées par une voix proprement incroyable.
Ce monsieur chantait, en anglais, Jacques Brel (Mathilde, Jacky, Amsterdam, etc.) comme personne et avait composé à la fin des années soixante une poignée de morceaux qui auraient dû suffire à inscrire son nom au panthéon de la pop-music : l’énigmatique Plastic Palace People, son chef-d’œuvre, The Seventh Seal inspiré du film d’Ingmar Bergman, le désespéré It’s raining today ou le grandiloquent, mais à la manière de Brel encore, The Girls from the Street.
Scott Walker m’apparaissait, je crois, à l’époque, comme un Frank Sinatra qui aurait chanté des choses intelligentes et qui aux montagnes de coke, avait le goût de préférer une bonne pile d’auteurs européens (Sartre, Camus, Georges Bataille).
Je ne devais découvrir que beaucoup plus tard qu’il avait été une sorte de dieu pour un certain David Bowie.

 Il faut bien le dire : avec ses quatre premiers albums solos, sobrement intitulés Scott 1, 2, 3, 4, Walker ne rencontra que la vaste indifférence du monde… Les détails sordides suivirent, comme chantait le même Bowie. Les années soixante-dix ne furent pour Walker qu’un long désert. Echecs en série, reformations opportunistes de son groupe factice, The Walker Brothers, avec lequel il avait connu la gloire… Il semble qu’il disparut dans l’alcool. Climate of Hunter, le disque de son retour en 1984, fut, selon la légende, le pire flop de toute l’histoire de Virgin Records. J’aime à penser que Scott Walker s’en foutait, occupé qu’il était à peindre, la peinture étant son autre passion…
Les années quatre-vingt-dix et deux mille furent malgré tout un peu plus clémentes avec lui. Musiques de films, collaborations aussi improbables que réussies avec des groupes de métal expérimentaux, production du dernier album de Pulp…

Scott Walker est mort le 22 mars dernier.


---------------------------------------------

à écouter 

Plastic Palace People : https://youtu.be/ayrS74ktTyE

            The Girls from the Street : https://youtu.be/Jj_C6Rv0HV0

Jacky (reprise de Brel) :  https://youtu.be/eKtZf62BQzM


                                                                   Frédéric Perrot - Avril 2019

mardi 2 avril 2019

Centenaire imaginaire (John Cale, Paris 1919)

D'où viens-tu Hawthorne ?



« D’où viens-tu Hawthorne ? » rassemble un certain nombre de lettres d’Herman Melville à différents correspondants. Extrait de la longue lettre du premier juin 1851 à Nathaniel Hawthorne

Dans une huitaine, j’irai m’enterrer à New York dans une chambre au troisième étage, pour peiner comme un esclave sur ma « Baleine » pendant qu’elle passe sous la presse. C’est le seul moyen que j’ai maintenant d’en finir avec elle, tant je suis tiré à hue et à dia par les circonstances. Le calme, le sang-froid, l’humeur silencieuse de l’herbe qui pousse avec lesquels un homme devrait toujours créer – cela, je le crains, ne peut être que rarement mon lot. Les dollars me font damner, et le malin Démon, tenant la porte entrebâillée, est sans cesse à grimacer à mon adresse. Mon cher, j’ai un pressentiment – je finirai par être complètement usé et par périr comme une vieille râpe à noix de muscade, râpé moi-même par le frottement constant du bois, je veux dire de la muscade. Ce que je me sens le plus poussé à écrire, m’est interdit – cela ne paiera pas. Et pourtant, c’est certain, écrire autrement, je ne le puis. De sorte que le résultat, en fin de compte, est un gâchis et que tous mes livres sont sabotés. Je me montre peut-être un peu dolent dans cette lettre, mais voyez ma main ! – quatre ampoules sur cette paume, faites par des houes et des marteaux durant ces quelques derniers jours. C’est un matin pluvieux, aussi suis-je à la maison, tout travail suspendu. Je me sens d’humeur enjouée, et c’est pourquoi j’écris de manière un peu cafardeuse. Que le Gin n’est-il de la partie ! Si jamais, mon cher Hawthorne, dans les temps éternels à venir, vous et moi sommes assis au Paradis, dans quelque petit coin ombragé, en tête à tête, si nous parvenons par quelque subterfuge à y introduire en fraude une caisse de champagne (je ne crois pas à un Ciel au régime sec) et si nous croisons alors nos célestes jambes dans l’herbe céleste qui est toujours tropicale, et entrechoquons  nos verres et nos têtes jusqu’à ce que celles-ci et ceux-là résonnent musicalement de concert – alors, ô mon cher compagnon de mortalité, comme nous discourrons agréablement de toutes les multiples choses qui nous causent à présent tant de détresse – tandis que la terre entière ne sera plus pour nous qu’une réminiscence, oui, et sa dissolution finale de l’histoire ancienne. On composera alors des chansons comme à la fin des guerres ; des chansons humoristiques, comiques – « Oh ! quand je vivais dans ce drôle de petit trou qu’on appelait le monde », ou bien « Oh ! quand je peinais et suais là-bas », ou encore « Oh ! quand je cognais et que l’on me cognait dans la bagarre » – oui, attendons avec espoir de pareilles choses. 

 (Choix, traduction et introduction de Pierre Leyris, NRF Gallimard)

lundi 1 avril 2019

Milan Kundera est né le premier avril 1929 à Brno...


À cette occasion, je republie le texte que j’ai consacré à L’insoutenable légèreté de l’être. Frédéric Perrot.

-------------------------------------- 

La beauté est un monde trahi

« Le roman n’est pas une confession de l’auteur, mais une exploration de ce qu’est l’existence humaine dans le piège qu’est devenu le monde.» (Milan Kundera, L’insoutenable légèreté de l’être)


En 1984, paraît le second roman de Milan Kundera depuis qu’il a fui son pays et s’est installé en France, en 1975, L’insoutenable légèreté de l’être. Rétrospectivement, ce roman m’apparaît comme l’un des sommets de son œuvre. Je tenterai de m’en expliquer dans les lignes à venir.
Avec son roman précédent, le plus étrange et le plus déroutant (Le livre du rire et de l’oubli), Kundera a engagé ce que je nommerai une tranquille « révolution formelle ». Il s’agit de se débarrasser définitivement de certaines conventions romanesques ; et de fait, on peine à envisager ce livre comme un roman… Les sept parties qui le composent ne semblent avoir aucun lien entre elles. Ce sont les thèmes et uniquement les thèmes qui leur donnent une unité.

Ce principe se retrouve à l’origine de L’insoutenable légèreté de l’être, dont les premières pages sont une réflexion de l’auteur sur ce « mythe loufoque » avec lequel Nietzsche « a mis bien des philosophes dans l’embarras » : celui de l’éternel retour. De ces réflexions semble surgir un premier personnage, Tomas : « Il y a bien des années que je pense à Tomas. Mais c’est à la lumière de ces réflexions que je l’ai vu clairement pour la première fois. ».
On remarquera d’abord que Kundera ne songe nullement à se cacher, qu’il n’est en rien un narrateur impersonnel et qu’il prive ensuite le lecteur de cette illusion fondamentale qui explique notre amour des romans, à savoir que les personnages qui s’agitent sous nos yeux ont l’air réels et parfois même plus réels que certains vivants… Au contraire, Kundera rappelle à plusieurs reprises leur caractère fictif et que ces « egos expérimentaux » lui permettent de développer sa réflexion sur les thèmes qui sont au cœur de son roman : la légèreté, la pesanteur, le hasard, la trahison, le kitsch…
De même, Kundera prive le lecteur de son goût de la « story ». L’intrigue principale semble en effet assez mince : c’est une histoire d’amour presque banale entre deux personnages, Tomas et Tereza qu’une suite de « hasards » a fait se rencontrer dans une petite ville de province.
Mais cette histoire d’amour n’est pas tant racontée que pensée, méditée, interrogée, cela étant permis par l’alternance des points de vue ; et au fil des pages, avec l’apparition d’autres personnages plus ou moins liés aux premiers –Sabina, Franz – et celle de l’Histoire – l’entrée des chars russes dans Prague –, cette « banale histoire » prend une toute autre ampleur, pour devenir une fiction planétaire, où sont évoqués au gré des voyages des personnages ou de leur fuite, la Suisse, la Hollande, New York, le Cambodge.
Le lecteur n’en a pas forcément conscience ; mais par une suite d’élargissements progressifs, tout, le terrible et le dérisoire, étant raconté sur le même ton – ce ton si particulier de Kundera, qui dans une même phrase peut passer de la compassion à l’ironie la plus féroce – la « banale histoire » devient symbolique de tout un monde en pleine perdition…
Cet élargissement progressif naît de la composition même du roman, en sept parties relativement indépendantes où s’enchaînent de courts chapitres numérotés, qui donnent leur rythme à l’ensemble.

J’aborderai à présent ce qui me touche le plus dans le roman : l’importance des rêves et ce que je nommerai la nostalgie de la beauté. Tereza est très jalouse, d’autant plus jalouse que Tomas est très infidèle, et elle est aussi une rêveuse, dont les rêves trahissent ses obsessions : les autres femmes, la mort… Souvent, en se réveillant d’épouvantables cauchemars, elle les raconte à Tomas, qui se sent évidemment coupable et tente de la consoler… Cela est encore banal : combien de femmes nous ont raconté leurs rêves pour nous accabler !
Mais un saut qualitatif est accompli dans la quatrième partie, où il devient impossible pour Tereza comme pour le lecteur, de distinguer ce qui est rêve et ce qui est réalité. Tout cela est angoissant et très beau et l’on se croirait dans un film de Fellini, en particulier Juliette des esprits, où le personnage féminin ayant entendu son mari prononcer un nom de femme dans son sommeil, sombre peu à peu dans un monde onirique, la folie guettant… Dans le roman qui nous occupe, tout l’art du romancier consiste à raconter avec la même précision froide ce qui pourrait être encore plausible et ce qui ne l’est absolument pas et de laisser le lecteur dans l’indécision. À la toute fin du roman, Tereza renonce elle-même à déterminer ce qu’elle a vécu, fantasmé ou rêvé…
Dans son essai L’art du roman, Kundera définit quatre grands « appels », auxquels le roman doit selon lui répondre : l’appel du jeu, l’appel du rêve, l’appel de la pensée, l’appel du temps. Dans L’insoutenable légèreté de l’être, roman beaucoup moins drôle que certains de ses romans précédents, Kundera me semble avant tout répondre aux appels du rêve et de la pensée, la dimension onirique et la dimension réflexive étant presque équivalentes.
Et c’est une très belle scène que celle où Tereza voit disparaître emportés par la Vltava les bancs de couleur des jardins publics de Prague :
« Elle se retourna pour demander aux gens ce que ça voulait dire. Pourquoi les bancs des jardins publics de Prague s’en allaient-ils au fil de l’eau ? Mais les gens passaient avec une mine indifférente, ça leur était bien égal qu’un fleuve coule, de siècle en siècle, au milieu de leur ville éphémère. Elle se remit à contempler l’eau. Elle se sentait infiniment triste. Elle comprenait que ce qu’elle voyait, c’était un adieu. L’adieu à la vie qui s’en allait avec ses couleurs.»

Ce n’est pas exagéré de dire que Milan Kundera n’aime guère, voire méprise le monde moderne. Cela enchante certains de ses lecteurs fervents et consterne nombre de ses détracteurs, dont beaucoup, à une époque, ne lui ont pas pardonné de renvoyer « dos à dos » si je puis dire, l’ancien monde communiste et le monde dit occidental…  Ce monde moderne que méprise Kundera, c’est celui du bruit, de « l’oubli de l’être », du « rire imbécile de la publicité », où la nature disparaît, où la laideur s’accroît… Mais mieux que dans ses essais, cette nostalgie de la beauté se trouve exprimée dans ses romans à travers la conscience des personnages qui souvent sont des témoins inconsolables d’un monde dévasté
Tereza ne supporte plus « la laideur » de Prague, où des enfants pour s’amuser enterrent vivants des oiseaux, où « la nuit russe » semble être tombée sur les âmes et où les jeunes filles joyeuses qui dans « les premiers jours de l’invasion » provoquaient les soldats soviétiques avec leurs jupes très courtes, ont disparu et ne sont plus que ces femmes hostiles et silencieuses qui la bousculent dans la rue. Elle n’aime plus que son chien, Karénine et rêve de « la campagne », d’un lieu à l’écart, où ils pourraient s’installer elle et son mari, ce pauvre Tomas, qui « fait vieux » et accepte, le régime l’ayant brisé (il n’exercera plus jamais son métier, celui de médecin).
Ce sont les dernières pages du roman, une pastorale, où l’on voit Tereza conduire des vaches et pleurer sur la mort de son chien ; et Kundera écrire quelques-unes de ses méditations les plus profondes, sur le rapport de l’homme aux animaux, l’effondrement de Nietzsche à Turin… Le plus étonnant demeurant que les deux personnages, tombés en-dessous de leurs vies, sont « heureux ».

Ce dont a pris conscience Sabina, en apprenant leur mort par une lettre du fils de Tomas. C’est encore une des ruses narratives de Kundera : le roman n’a rien de chronologique et quand le lecteur lit ces belles pages que baigne un bonheur triste, il sait depuis longtemps que les deux personnages sont morts dans un absurde accident de la circulation.
Sabina est artiste, elle est peintre et elle aussi a la nostalgie de la beauté.  Elle a fui la Tchécoslovaquie et refuse que ses œuvres soient conçues comme celles d’une persécutée et réduites à un quelconque message politique. Elle est une femme libre et son ennemi est « le kitsch », qui est universel (comme tend à le démontrer la très grinçante et désespérante sixième partie du roman). Elle est aussi une femme qui fuit, qui aime trahir, sa famille, son pays, ses amants…
« Mais qu’est-ce que trahir ? Trahir, c’est sortir du rang. Trahir c’est sortir du rang et partir dans l’inconnu.» Or, « Sabina ne connaît rien de plus beau que de partir dans l’inconnu. ».
Et, par un paradoxe qui n’est qu’apparent, c’est justement cette femme qui, en entrant dans une église après avoir fui un moment l’absurde « Chantier de la jeunesse » où elle travaille, découvre que « la beauté est un monde trahi » :

« On célébrait justement une messe. La religion était alors persécutée par le régime communiste et la plupart des gens évitaient les églises. Sur les bancs il n’y avait que des vieillards, car eux n’avaient pas peur du régime. Ils n’avaient peur que de la mort.
Le prêtre prononçait une phrase d’une voix mélodieuse et les gens la reprenaient en chœur après lui. C’étaient des litanies. Les mêmes mots revenaient comme un pèlerin qui ne peut détacher les yeux d’un paysage, comme un homme qui ne peut prendre congé de la vie. Elle s’assit au fond sur un banc ; elle fermait parfois les yeux, rien que pour entendre cette musique des mots, puis elle les rouvrait : elle voyait au-dessus d’elle la voûte peinte en bleu et sur cette voûte de grands astres dorés. Elle cédait à l’enchantement.
Ce qu’elle avait rencontré inopinément dans cette église, ce n’était pas Dieu mais la beauté. En même temps, elle savait bien que cette église et ces litanies n’étaient pas belles en elles-mêmes, mais belles grâce à leur immatériel voisinage avec le Chantier de la jeunesse où elle passait ses jours dans le vacarme des chansons. La messe était belle de lui être apparue soudainement et clandestinement comme un monde trahi.
Depuis, elle sait que la beauté est un monde trahi. On ne peut la rencontrer que lorsque ses persécuteurs l’ont oubliée par erreur quelque part. »

 Derrière Sabina, j’aperçois l’ombre de l’auteur, cet athée paisible, esprit désabusé, mécontent, railleur, mais rarement cynique…
Milan Kundera, comme ses personnages, demeure inconsolable que la beauté peu à peu disparaisse du monde dans l’indifférence générale.


Milan Kundera en 1984 à Paris

Source image : France Culture