dimanche 22 avril 2018

en mai, au printemps


                                  Et je ne garderai pour habiller mon âme
Que l’idée d’un rosier et qu’un prénom de femme
                                   Jacques Brel


Quelques minutes avant de mourir
Je souhaiterais seulement
Aller poser ma carcasse quelque part
Si possible dans l’herbe au bord du Rhin
Sur un bout de feuille volante
Griffonner quelques phrases pour mon fils
Dans les deux langues qui sont les siennes
En français et avec plus de peine en allemand –
Rien ici ne les sépare –  
Puis prononcer le mot miracle
En pensant à sa mère…
Pour le plaisir
Allumer une cigarette
Guetter le vol des oiseaux
Dans le ciel bleu idéalement
– Je ne consens à mourir qu’en mai au printemps ! –
Et dans les enroulements de ma rêverie
Me souvenir d’un poète
Qui en ce décor rhénan
Croyait voir des femmes aux cheveux verts…
Et s’il me reste encore un peu de temps
Savourer un dernier verre
Un rouge profond de Bourgogne
Plutôt qu’un blanc pétillant
Et même légèrement ivre
Ne rien dire de mémorable
Fermer les yeux
Baisser la tête
Et peut-être à l’instant de
Sentir des larmes
Rire amèrement


                
                            Frédéric Perrot


mercredi 18 avril 2018

sur le principe des "choses à faire avant de mourir"


Le texte a été écrit en 2009. Chaque phrase était alors numérotée. Mais je n’aime pas les chiffres : 1, 2, 3, 4, 5, etc. Georges Perec en proposait trente-six ou trente-sept. Il y en a ici trente-et-une.


Prononcer une fois un mot d’amour vrai.

S’ouvrir les veines par pure curiosité intellectuelle, afin de voir si le sang est vraiment aussi rouge qu’on le dit.

Etrangler sa honte et ne plus croire à la prétendue séparation du corps et de l’âme.

Ecrire une ode à la pornographie et un manifeste pour l’interdiction immédiate de la douleur.

S’entourer de fleurs en raison de leur caractère périssable.

Toujours se souvenir que l’on eût préféré être un oiseau…

Ne plus voir de fantômes.

Devenir un athée paisible.

Faire une fois comprendre à un imbécile qu’il en est un !

Avoir une conversation cohérente et logique avec une personne de l’autre sexe.

Eviter qu’elle se déshabille au terme de cette conversation.

Accueillir les histoires de famille avec le haussement d’épaules qu’elles méritent.

S’éviter le ridicule de devenir propriétaire d’une petite maison individuelle dans un quartier pavillonnaire. Ne rien vouloir savoir des prétendues joies du jardinage. Etre un perpétuel locataire.

Rester sauf accident sans héritiers…

Epeler sans rire le mot espérance. Et sans trembler le mot cancer.

Mépriser jusqu’au bout les cyniques et les blasés.

Répéter à qui veut l’entendre qu’il est plus honorable d’être balayeur que banquier.

Se convaincre que l’on est un excellent nageur chaque fois que l’on s’extrait de sa baignoire. Et bien se garder de toute autre activité sportive.

Oublier sa maladresse et danser une fois sans marcher sur les pieds de sa partenaire.

Bénir la musique, qui guérit de tout. Et réhabiliter tous les plaisirs de paresseux.

Apprendre à cuisiner autre chose que des pâtes au beurre. Aller jusqu’à manger des légumes.

Boire toute une semaine que de l’eau, afin de se convaincre que cela n’a aucun goût.

Sauter une fois en parachute plutôt qu’à l’élastique.

Marcher dans le désert du Sahara sans avoir l’air d’un touriste.

Aimer et la mer et la montagne.

Apprendre vraiment une langue étrangère. 

Bouter hors des dictionnaires toutes les sottises et les mensonges.

Ecrire un seul poème, mais définitif.

Etablir à l’usage des générations futures un palmarès des auteurs les plus ennuyeux.

Savoir que la vérité est dans Le rêve d’un curieux. Et glisser doucement dans un songe heureux, dont on ne se réveillera plus…

Savoir enfin comme Lucrèce, que la mort n’est rien pour nous…

                       
                                                                     « Et voilà, tralala
                                                                     Zut à celui qui le lira ! »
                                                                          (Witold Gombrowicz)


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Pour écouter 36 choses à faire avant de mourir de Georges Perec
https://youtu.be/liGPmh6ca60

penn carn (poème de Kelig Nicolas accompagné d'un dessin d'Eric Doussin)


Penn carn

les têtes dures se font avec le temps
se forgent avec les épreuves
le caractère
elles accusent souvent les mauvais coups
au travail, au chômage, en maladie
en situations précaires elles tiennent de justesse
petits boulots durs, logements incertains rudimentaires
appréhension des lendemains, des factures, des fractures
mais elles se relèvent des blessures
ne renoncent pas
elles laissent de côté
les quand-dira-t-on, avancent
connaissant les coups du sort
libéraux, par corps
elles se plient sans rompre
et sacrifient le confort, la facilité
elles gardent en tête, tête haute, hors de l’eau
ce qui s’est passé
elles payent les conséquences
des engagements
pugnaces
opiniâtres et volontaires
elles résistent, têtues
tombent et se relèvent
elles progressent avec les idées
tenant contre vents et marées
mais à présent les choses changent, on dirait
quelque chose dans l’air, sort de l’ordinaire
la donne n’est plus la même, attention
les têtes dures ne sont plus isolées.

Da’ hent !



Eric Doussin 

lundi 16 avril 2018

approches du découragement


                                            En songeant à Emil Cioran (1911-1995)


         « Les nés-fatigués me comprendront », écrivait drôlement un poète. Pour sa part, il n’irait pas jusqu’à dire qu’il est « né-découragé », mais presque…

        Il arrive qu’on se « laisse aller » au découragement, certes… Mais ce n’est pas un sentiment superficiel ; et ce n’est pas un abus de langage que de parler de découragement profond.

 La fatigue d’exister – « … si las d’être las, de laisser les jours s’émietter dans le désœuvrement, de manquer de goût pour tout, de ne sentir que le seul découragement s’approfondir… »

Tout peut décourager, à commencer par cette « aveugle volonté de vivre », au sujet de laquelle un philosophe allemand a écrit un fort volume, lui-même décourageant…
« Mais il est temps de t’inquiéter, quand même le chant des oiseaux te semble obstiné et absurde… »

Les petites affaires humaines ont cette particularité de rendre le découragement amer... « Et c’est bien pour ne pas verser dans le cynisme, qu’il faut les considérer de loin et leur refuser tout sérieux…»

Plus proche du microbe que de l’étoile. – «… oh, c’est peut-être le seul effet bénéfique du découragement, que de nous donner parfois quelques vagues aperçus métaphysiques ! »

Rire de soi-même est un viatique. – « Et tu es quasiment sorti d’affaires, quand tu parviens à considérer ton propre découragement avec distance et ironie. »

« Qu’as-tu fait aujourd’hui ? » – « J’ai noté quelques phrases rapides sur le découragement, ce qui m’a permis de le surmonter pour un moment… Jusqu’à la prochaine fois. » 


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Le poète dont il est question est Henri Michaux (Face aux verrous) et le philosophe allemand Arthur Schopenhauer.

Dans Aveux et Anathèmes, Cioran écrivait : « La très grande fatigue va aussi loin que l’extase, à cela près qu’avec elle vous descendez vers les extrémités de la connaissance. »


Emil Cioran


Source image 
Metal Gear Wiki Fandom

mercredi 11 avril 2018

un printemps cruel


Le vent d’hiver souffle en avril…
                        Christophe, Les mots bleus


Autour de moi c’est l’hécatombe
Le printemps est cruel redistribue les cartes
Des pertes des peines et des séparations
Des mensonges pour escortes
Et des mots des malheurs
Dont on prend l’habitude

Est-ce l’âge
La sagesse qu’on lui prête
Serais-je plus attentif
Au désir qui se lit
Dans les yeux
D’une consolation…

Ce printemps est cruel

Et seuls les cerisiers en fleurs
Témoignent pour la saison




Le texte est extrait du recueil auto-édité Les heures captives (décembre 2012)

Pour écouter la chanson de Christophe 
https://youtu.be/HXrnVZM-CnA

dimanche 8 avril 2018

sur Soleil plouc de Laurent Bouisset




Pour avoir oublié le mot vouloir sur un caillou


Je tenterai de divaguer un peu sur le second livre de Laurent Bouisset, Soleil plouc, publié par les éditions du Pédalo ivre.

J’ai quelques principes sans doute assez futiles, auxquels j’essaie de me tenir quand il s’agit d’énoncer une opinion – toujours sujette à caution – sur un livre, un film, un disque, enfin ce que notre époque consumériste nomme dans son jargon un produit culturel.
Le premier de ces principes est simple : il ne faut parler que de ce que l’on aime. D’où découle logiquement le second et dernier : il faut taire ses déceptions… Je dois cependant bien reconnaître que je ne m’y tiens pas toujours, en particulier lorsque le vin est bon et que je me plais à épater la galerie, ce qui me vaut une réputation d’amer sceptique, de rouspéteur dédaigneux, voire de parfait cuistre immodeste ! 
Mais assez parlé de moi. Ce n’est pas le sujet !

Je dirai donc que j’aime les poèmes de Laurent Bouisset, quand il est sérieux, pour ne pas dire grave. Il signe alors ses meilleurs textes et ceux avec lesquels je suis en accord complet, Les mots (« les mots d’eux-mêmes dessinent leur gouffre ») ou Combat (« résumer tout à un combat/c’est la défaite »). Ces poèmes ont une dimension réflexive et ce n’est sans doute pas insulter l’auteur de dire qu’ils traduisent un certain pessimisme philosophique et esthétique :
« un coup d’archet ajoute ouvrir/et je tressaille…/je me dis : quel grand verbe !/quelle puissance d’évasion en deux syllabes !/pour ce qui est de l’employer, je reste court… » (Les mots)
Ce pessimisme imprègne nombre de poèmes et aboutit parfois à des formulations délirantes (dans l’apocalyptique Poubelles) que l’on est en droit de trouver tout à fait contestables : « après tout merde, nos vies/se sont accommodées/de la noirceur… ». (Silence gêné)  « Hum… Oui, peut-être, je ne suis pas sûr, j’en doute même fortement ! »

Je préfère à cette amertume, facilité qui consiste à conclure tristement, on l’imagine bien, les éclairs de vraie poésie – qui ne sait qu’il en est beaucoup de fausse ? – qui vous saisissent par surprise et dont je donnerai seulement deux exemples, le premier étant le plus convaincant :
« pour avoir oublié le mot vouloir sur un caillou/j’ai regardé ma vie sans haine » (dans l’excellent Un sourire vrai, que Laurent Bouisset dédie à ses amis guatémaltèques)
« chercher bien sous/ma peau de hyène/le silence apeuré/d’un oiseau frêle » (Lumière)

 Je noterai aussi qu’il y a dans plusieurs poèmes  « un mystère » du meilleur effet, qui en y réfléchissant, était peut-être présent dans le recueil précédent, Dévore l’attente, sans que cela ne m’ait frappé.
Ce sont des poèmes énigmatiques, indécidables, qui résistent. Je pense au très beau Frisson et à son étrange assaut en pleine rue de « poulpes morts », et dont les derniers vers, que je ne prétends pas comprendre, paraissent ouvrir un abîme…
Je préciserai que Laurent Bouisset, contrairement à certains poètes livides – qui croient avoir tout dit en se prétendant mallarméens – ne joue pas au « grand ténébreux » ou à « l’oracle de sous-préfecture ». Le « mystère » est palpable, et non recherché et je rappellerai ici ces quelques lignes toujours utiles d’André Breton :
« Le mystère recherché pour lui-même, introduit volontairement – à toute force – dans l’art comme dans la vie, non seulement ne saurait être que d’un prix dérisoire, mais encore apparaît comme l’aveu d’une faiblesse, d’une défaillance. »

Plus proches du premier livre déjà évoqué, sont les poèmes que je dirai « politiques », faute d’un adjectif meilleur : le très sombre Mexique et le rageur La préfecture des étrangers, qui je ne sais pourquoi me fait penser aux Assis de Rimbaud. Ce sont dans cette veine, celle de l’indignation justifiée, les deux poèmes les plus réussis selon moi.

Je noterai que parmi mes poèmes préférés, il y a ceux que Laurent Bouisset consacre à ses proches : l’amusant Une chose pénible, écrit sur un principe de révélation retardée, emprunté à Madame de Sévigné – oui, oui, vous avez bien lu, Laurent Bouisset connaît aussi ses lettres classiques ! – et qui raconte comment la vie domestique empêche de prendre son propre désespoir au sérieux. Ou le cocasse (« je venais simplement de débouler/guitare au dos comme Kurt Cobain ») et bouleversant Grand-père, un des sommets du recueil. Ou le très beau poème final, dédié à sa femme, Anabel, qui en effet fait événement :
« l’événement stupéfiant que je recherche/(…) il n’attend pas du tout planqué/dans la drogue dure/au bout du monde…/il ne patiente pas non plus dépité/dans l’indicible ou l’inconnu…/il dort à mes côtés tout simplement/et je l’ignore…/je le saurai après ma mort/qu’il avait lieu/tous les jours/devant moi…/l’événement/c’était toi » (L’événement)

« Ah bravo, monsieur Bouisset, j’applaudis des deux mains ! »
Tant il me semble que nombre de poètes contemporains, dans leur désir de se hausser, de balancer au monde leurs quatre pauvres vérités dans des sortes d’ultimatums ridicules – « C’est Moi ou le monde » – comme s’ils étaient sur une estrade, oublient simplement l’amour, ce beau titre d’Eluard (L’amour la poésie) ou encore cette phrase de Breton, qui m’a toujours fait rire et dont l’effet est garanti face à des élèves de collège : « La poésie se fait dans un lit comme l’amour ». Admirable André Breton !

Je ne parle pas au hasard des élèves de collège, mais en pensant à un poème vraiment surprenant, Miroir, dans lequel Laurent Bouisset parvient à écrire quelque chose de juste sur un sujet aussi rédhibitoire (pour moi) que l’Education nationale, l’angoisse et « l’illégitimité » des enseignants ou le néant d’une salle des profs…

Enfin, pour le seul plaisir ironique, ces trois vers que dans une autre vie, j’aurais peut-être attribués à Cioran, ce qui de ma part n’est pas un mince éloge : « imaginez quelle déception/si cherchant Dieu/on le trouvait… » (Sainte-Victoire)

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Voilà, ce sera à peu près tout.

Mais on remarquera que je m’en suis tenu à mes principes et que ma grande modestie m’aura retenu de préciser ce qui me plaît moins, dans ce nouveau livre de Laurent Bouisset ! Gardons pour nous nos petites déceptions. Comme l’écrivait à peu près Maurice Blanchot, la déception sera « toujours insuffisante ».


mardi 3 avril 2018

la force majeure


« Il n’est aucun bien du monde qu’un examen lucide ne fasse apparaître en définitive comme dérisoire et indigne d’attention, ne serait-ce qu’en considération de sa constitution fragile, je veux dire de sa position à la fois éphémère et minuscule dans l’infinité du temps et de l’espace. L’étrange est que cependant la joie demeure, quoique suspendue à rien et privée de toute assise. C’est même là le privilège extraordinaire de la joie que cette aptitude à persévérer alors que sa cause est entendue et condamnée, cet art quasi féminin de ne se rendre à aucune raison, d’ignorer allègrement l’adversité la plus manifeste comme les contradictions les plus flagrantes : car la joie a ceci de commun avec la féminité qu’elle reste indifférente à toute objection. Une faculté de persistance incompréhensible permet à la joie de survivre à sa propre mise à mort, de continuer à parader comme si de rien n’était ; un peu à la façon de ces vers qui, bien que coupés en deux et en quatre, n’en continuent pas moins à se remuer et à progresser vers leur but aveugle, ou encore de ce mandarin merveilleux, mis en musique par Bela Bartok, qu’aucun coup de poignard ne réussit à achever. »
                                        (Clément Rosset, La force majeure)


Grand lecteur de Nietzsche et de Cioran, le philosophe Clément Rosset est mort le 27 mars 2018.




Clément Rosset


Source image 
Clément Rosset - Site Officiel 
https://clementrosset.com/