jeudi 31 mars 2022

L'exigence de clarté, hommage à Primo Levi (publication dans le numéro 71 de la revue Lichen, avril 2022)

 


Nous avons peigné la chevelure des comètes,

                               Déchiffré les secrets de la genèse,

                               Foulé les sables de la lune,

                               Construit Auschwitz, détruit Hiroshima.

                               Tu vois : nous ne sommes point demeurés inactifs.

Primo Levi (Procuration)

      

 

Il a écrit pour comprendre et être compris

 

Sa formation d´homme de science

L’a conduit à combattre avec mépris

Le brouillard des consciences

Que les malheurs du siècle

Ont obscurcies

 

Il a écrit pour comprendre et être compris

Et quitte à être démodé

Considéré avec dédain

Il a comme critère esthétique absolu

Exigé la clarté

 

L´incommunicabilité

Dont à son époque

L´avant-garde artistique

A fait une mode frivole

Lui semblait un mot hideux

 

Désagréable à l’oreille

Non moins que dans l’idée

Lui qui l’avait connue et combien

L’incommunicabilité

Réelle…

 

Il a écrit pour comprendre et être compris

Comprendre l´Allemagne et les Allemands

 

Poids des années sa conscience s´est obscurcie

L´ont usé et désespéré son devoir de témoin

Et comme une insulte

À la mémoire des millions d’engloutis

Toutes les infâmes négations…

 

Il a toutefois écrit un jour

Qu´un suicide peut avoir mille raisons

Et l´honnête homme par excellence

De ce siècle vaurien

S’est tué un onze avril au matin




Pour aller lire la revue d'Elisée Bec : http://lichen-poesie.blogspot.com/


Pour la publication : https://lichen-poesie.blogspot.com/p/hommage.html 


 Frédéric Perrot

 

jeudi 24 mars 2022

L'insuffisance

 

                                                           … la vie ne suffit pas.

                                                                  Fernando Pessoa

 

Ce qui le frappe en cette vie, c’est l’insuffisance. Ce sentiment d’une insuffisance quasi universelle est le cœur, le nerf de ce qu’il nomme non sans afféterie, son « atroce » scepticisme… Et par jeu, il se plaît à énumérer toutes les insuffisances qui lui viennent à l’esprit.

 

L’amour est insuffisant, gravement surestimé et n’est jamais ce qu’il devrait être.

L’amitié, ce « romantisme des hommes », est insuffisante, n’étant guère à l’abri de la désillusion et des premiers soucis où elle devrait faire ses preuves.

La plupart des sentiments sont d’ailleurs insuffisants, quand ils ne sont pas simplement d’une banalité confondante.

L’intelligence est insuffisante, toujours prise au dépourvu…

Les livres sont insuffisants, les arts, à l’exception de la musique, non moins.

L’effort humain en général est insuffisant, mais peut-être seulement parce qu’il est mal orienté.

Les rires et les larmes sont insuffisants.

La parole est insuffisante : mais cela qui ne le sait pas ?

 

Cependant son jeu le lasse et le dégoûte, quand il songe soudain, par un retournement dont son esprit est coutumier, à ce qu’il y a de trop… Bêtise, cruauté, violence. Haine, mépris, indifférence. Misères, famines, massacres… Et nauséeux, il renonce, confronté à tout l’excès du malheur humain…

 

 

Le texte a été écrit au cours des années 2000. La citation complète est : « La littérature, comme toute forme d’art, est l’aveu que la vie ne suffit pas. » (Fernando Pessoa, Pages sur la littérature et l’esthétique).

                                                                                               Frédéric Perrot






lundi 21 mars 2022

Le brouillard de l'âme

 

    « L’avenir, toujours, nous est inconnu, mais parfois il s’enveloppe d’une brume particulière, comme si, s’ajoutant à la sournoiserie naturelle du destin, une autre puissance s’efforçait d’épaissir le mystère devant lequel s’effare notre pensée. »

                                                      Vladimir Nabokov, La défense Loujine

 

 

       Lui aussi, malgré son caractère difficile et ses habitudes de solitaire, il eut son grand amour !

       Quand le rêve s’estompa, il fut surpris de la facilité avec laquelle il referma la porte de l’appartement où il avait connu de brefs, mais intenses moments de bonheur. Les marches de l’escalier, les murs d’un jaune sale, pisseux, dansaient cependant devant ses yeux comme pour lui suggérer que cette impression de facilité n’était qu’une illusion.

 

       Il se jeta dans la débauche, comme on se jette à l’eau, non par goût du vice, par désespoir… Et lui, qui n’aimait rien tant que rester dans son appartement pour se livrer à des lectures choisies, il devint un habitué des lieux de perdition, qui sont nombreux.

 

       Titubant à travers toute une foule, en se frayant péniblement un passage, alors qu’il eût voulu aller tout droit selon une diagonale inflexible, il s’approcha de sa conquête d’un soir. Il ne se souvenait plus de son doux prénom et en s’appuyant sur le comptoir dégoulinant de bière, il dut faire un effort pour le retrouver. Oh ! il ne s’agissait certes pas de l’appeler par le prénom d’une autre ! L’ivresse n’excuse pas tout et ces dames, ces reines de quatre sous, enveloppées dans leurs fausses fourrures et leurs faux mystères, ont parfois de ces susceptibilités ! D’un coup, comme si la mémoire lui était revenue, il postillonna son prénom et sa conquête d’un soir, dont le visage était insignifiant, comme il en prit conscience en la regardant, lui sourit niaisement, avant de l’embrasser à pleine bouche, comme s’il convenait de fêter ces retrouvailles… Et, tout en retenant une violente nausée, il songea que cela finirait comme cela devait finir : par un échec lamentable, dans les draps de l’aube…

       On oublie ses fiascos et alors qu’il aurait dû se sentir humilié par certaines remarques cinglantes qui fusaient, sifflaient au matin, imperturbable comme une pièce de bois, une coquille vide, il continua de se perdre de naufrages en naufrages… Ce qui l’étonnait malgré tout, c’était que les partenaires ne manquaient jamais, comme l’étonnait au fond la facilité avec laquelle il les entraînait dans son jeu sans espoir, dont à l’entendre, à le voir, égaré, elles auraient dû soupçonner l’inévitable fin. Il y avait donc une telle solitude et un tel manque d’amour… On se donnait pour une nuit, un court frisson, avant de s’oublier.

 

La débauche est bête, comme l’a écrit un poète… Et le brouillard s’épaississait… Seul son corps, en sueur, protestait durement contre la virulence de ses excès. Son esprit était ailleurs, perdu… C’est à peine s’il percevait les regards narquois qui l’accueillaient, les ricanements dans son dos et comment les femmes emportant leurs manteaux se détournaient de lui, prévenues. C’est à peine s’il percevait combien son visage s’affaissait et combien sa démarche devenait lourde. Le corps ne ment pas, il découvrit sa vérité : douleur et merde…

Il se compromit à plusieurs reprises et insensiblement toutes les portes, même celles des bouges les plus sordides et des endroits les plus louches, se fermèrent devant lui. Il devint persona non grata : empâté, les mains tremblantes, il était un roi vaincu, figurine renversée sur un échiquier vide…

Pris dans les mouvements compliqués que lui inspirait son ivresse, perdu dans le brouillard, il eût pu retourner chez celle qu’inconsciemment il devait tenir pour seule responsable de son malheur et commettre quelque nouvel acte irréparable… Cela n’arriva pas et s’il y songea peut-être, s’il le désira sûrement, le crime passionnel n’eut pas lieu : il n’était pas destiné à la cour d’Assises…

 

Cette sombre période passée, comme tout homme peut-être, il se prit à rêver à un nouvel amour.

 

 

                                                      Le texte a été écrit en 2009. Frédéric Perrot

 

 

dimanche 20 mars 2022

Technique de l'amollissement

 

Les hommes et les choses sont susceptibles de s’amollir. Il serait plus juste de dire qu’il faut les y contraindre. De prime abord, cela semble difficile, mais à force de volonté, en ne mésestimant pas ses capacités, cela ne manque pas d’arriver ; et ce qui n’était encore un instant auparavant qu’un encombrant camion-citerne arrêté sous votre fenêtre et vous empêchant de raser les murs à votre guise, s’écoule dès lors jusqu’au caniveau pour y disparaître. Rien à vrai dire ne résiste à l’amollissement, et il suffit par exemple de se convaincre qu’une cathédrale n’est qu’un assemblage de sable et de pierre prétentieusement élevé vers le ciel, pour que cette gêneuse commence à trembler et frémir comme une crème anglaise dans un plat malencontreusement posé par des domestiques imprudents sur le pli d’une nappe ou le coin d’une table.

Ce qui est possible avec les choses l’est non moins avec les hommes, même si ces derniers, pour on ne sait quelle raison de dignité, y sont plus rétifs. Les hommes font toujours des histoires. Le même destin liquide les attend pourtant. De façon générale, lorsqu’on ne s’est pas encore avisé de les amollir, il est plus difficile de se séparer d’une accaparante canaille que d’un canapé. Car il est notoirement connu qu’un canapé on peut toujours le passer par la fenêtre, alors qu’une accaparante canaille, si on entend lui faire suivre le même trajet, ne manquera pas de rouspéter et de faire valoir ses droits. Rien ne vaut dans ces conditions l’amollissement. Ainsi, sans misanthropie aucune, amollir un architecte ou un huissier-expulseur est un plaisir rare dont on ne se lasse pas ; et tordre au-dessus de l’évier la serpillière avec laquelle on vient d’essuyer leur désolante petite trace baveuse est un délice qui ne peut être comparé qu’à celui que l’on éprouve à voir un enfant pleurer ou un animal blessé…

 

Evidemment, il serait tentant d’abuser de ces belles et bonnes choses. Après tout, les « empêcheurs de vivre » sont légions. Mais il faut savoir raison garder et ne recourir à l’amollissement que lorsqu’on s’est par trop heurté aux dures arêtes du monde et qu’une riposte même formelle à tant de souffrances devient une nécessaire compensation.

 

 

Le texte a été écrit au début des années 2000. Frédéric Perrot.

 

Concert de Cyril Noël à La Bohemia (18 mars)

 


vendredi 11 mars 2022

... il n'y a rien que des mauvais et des très mauvais gouvernements (Charles Bukowski)


 

« Je lis qu’une des bombes (perdues) s’est ouverte et qu’elle a répandu sa merde radioactive dans tous les coins, alors qu’elle est prévue pour me protéger, alors que je n’ai pas demandé qu’on me protège. La différence entre une démocratie et une dictature, c’est qu’en démocratie tu votes avant d’obéir aux ordres. Dans une dictature, tu ne perds pas ton temps à voter. »

 

« La mer est très profonde, beaucoup plus profonde qu’une tête de politicien. »

 

« Que dire de la politique et des grandes affaires internationales ? La crise de Berlin, la crise de Cuba, les avions-espions, les navires-espions, le Vietnam, la Corée, les bombes H perdues, les émeutes dans les villes américaines, la famine en Inde, les purges en Chine rouge ? Y a-t-il des bons et des mauvais ? Des qui mentent et des qui ne mentent pas ? Des bons et des mauvais gouvernements ? Non, il n’y a rien que des mauvais et des très mauvais gouvernements. Et le grand éclair bleu de chaleur qui nous déchirera une nuit où nous serons en train de baiser, de chier, de lire des bédés ou de coller des images dans un album de chocolat ? La mort subite ne date pas d’hier, la mort subite de masse non plus. Nous avons juste affiné le procédé. Des siècles de savoir, de culture et d’expériences, des librairies bien grasses et croulant sous les bouquins ; des tableaux qui se vendent des millions ; la médecine qui transplante le cœur ; impossible de reconnaître un fou d’un homme normal dans les rues, et voilà nos vies entre les pattes d’une bande de crétins. Les bombes ne tomberont peut-être pas ; les bombes tomberont peut-être. P’têt ben qu’oui, p’têt ben que non.

Maintenant oubliez-moi, chers lecteurs, je retourne aux putes, aux bourrins et au scotch, pendant qu’il est encore temps. Si j’y risque autant ma peau, il me paraît moins grave de causer sa propre mort que celle des autres, qu’on nous sert enrobée de baratin sur la Liberté, la Démocratie et l’Humanité, et tout un tas de merdes… »

 

Extraits de « La politique est l’art d’enculer les mouches » : Charles Bukowski, Contes de la folie ordinaire.


Drapeau fantôme (René Guisquet)

René Guisquet (création numérique)

lundi 7 mars 2022

Résilience zéro

 

« La réalité, c’est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d’y croire. »

                                                (Philip K. Dick, Siva)

 

 

(Page manuscrite retrouvée dans le portefeuille du patient après sa neutralisation. Les italiques correspondent aux mots soulignés en rouge par le patient.)

 

« Ma femme jouit dans le lit d’un autre. Plusieurs fois par jour, avec une constance admirable, elle publie des vidéos de ses coïts acrobatiques sur un réseau social baptisé Orgasme et compagnie.

Mon fils aîné, ce crétin, après avoir rêvé pendant quelques mois au djihad, les yeux rivés sur des vidéos ignobles de décapitations et autres atrocités, prétend à présent avoir renoncé à la violence, privilégiant une pratique soft et modérée de sa nouvelle foi. Il porte la barbe, la djellaba et vautré dans le sofa du salon passe ses journées à fumer de l’herbe et à apprendre la langue arabe.

Ma fille cadette, Jeanne, la prunelle de mes yeux, s’est rasé la tête, est devenue végane, milite pour le climat et de son côté passe ses journées à publier sur le Net des tribunes incendiaires contre le patriarcat et les vieux mâles blancs réactionnaires dont à l’entendre je serais une incarnation typique ! Moi le plus tolérant des pères et le plus doux des maris…

Tel est dans ses grandes lignes le résumé de ma triste situation familiale, celle dont je m’entretiens jusqu’à quatre fois par semaine avec mon psychanalyste : le célèbre et très médiatique Frank Herbert. « Vu à la télé » est-il inscrit sur chacun de ses forts volumes de réflexions, qui paraissent à un rythme régulier, à raison de six ou sept par an, si je ne me trompe… Les yeux mi-clos, cette sommité, ce brillant cerveau, ce colosse de la pensée conceptuelle m’écoute, ne dit rien ou presque et j’essaie toujours d’être le plus clair possible avec lui, même quand j’ai l’impression très fâcheuse qu’il s’est endormi le salaud… »

 

(Ce qui suit est la transcription de la houleuse séance du 22 novembre 2021, qui devait se révéler la dernière et précéder de quelques heures le terrible passage à l’acte du patient. Elle nous a été aimablement fournie par notre collègue, le docteur Herbert, qui nous assure que le patient savait fort bien que toutes les séances étaient enregistrées. Chaque mot de ce long monologue – contrairement à ce que pourraient laisser penser certains passages de la transcription, à aucun moment le docteur Herbert n’intervient – prend par conséquent une signification toute particulière.

L’absence de réaction du docteur Herbert, non moins que son silence que l’avocat des parties civiles a jugé « assourdissant », ne cessent d’ailleurs pas d’étonner et d’interroger. L’instruction est toujours en cours.)

 

« Non, je vous le répète pour la millième fois, monsieur Herbert. Je ne me soucie nullement des frasques sexuelles de Clémence… C’est un peu humiliant certes, les vidéos surtout, mais je n’en fais pas toute une histoire. Nous vivons sous le même toit, l’un à côté de l’autre depuis des années et je la soupçonne simplement d’être devenue folle, à force de courir après sa jeunesse enfuie… Pauvre Clémence en guerre avec son âge et refaite de partout à coups de chirurgie esthétique… »

 

(Silence de quelques secondes.)

 

« En revanche, et en suivant vos conseils si avisés monsieur Herbert, j’ai tenté l’autre jour de dialoguer avec mon crétin de fils. Oui, dialoguer ! En m’exhortant au calme, j’ai commencé par lui rappeler qu’à ma connaissance l’herbe était toujours une substance illégale, ce qui est un premier problème, mais qu’en outre en consommer me semblait malgré tout contrevenir aux préceptes de sa foi… Vous remarquerez au passage monsieur Herbert combien je prends des pincettes, pour ne surtout pas l’offenser… Ce crétin a haussé les épaules, en marmonnant que je n’y connaissais rien. Croyant le toucher au cœur, je lui ai alors rappelé son asthme, qui nous a tant inquiétés tout au long de son enfance. Sa réponse m’a paru si consternante que j’ai renoncé à poursuivre…

Le dialogue est un mythe, une fiction, une sinistre invention… Avec un grand sourire, comme soulagé, ce crétin décérébré m’a expliqué que je n’avais pas à m’inquiéter : son dieu qui est béni, illustre etc., dans sa grande mansuétude, l’a guéri de son asthme… Que répondre à une telle insanité franchement ? Plutôt que de le soulever de son sofa et de l’écrabouiller comme l’aurait mérité ce misérable pou, je suis allé dans la cuisine me servir un verre… Car, oui, oui, vous pouvez le noter monsieur Herbert, j’ai un peu recommencé à boire… »

 

(Long silence. Le patient tousse à deux reprises.)

 

« Jeanne, quoi, Jeanne… Je n’ai pas envie de vous parler de Jeanne. Sous vos airs d’endormi, vous êtes un sadique monsieur Herbert… Jeanne était un miracle, la plus belle chose qui nous soit arrivée à Clémence et à moi… Et à présent, elle est maigre, hideuse, toujours sur les nerfs à propos de tout et de rien…

Oui, oui, je la soupçonne d’aimer les filles, et alors monsieur Herbert ? Ce n’est pas du tout le problème… Cela me serait même relativement indifférent, si elle avait meilleur goût… Car, son amie, Coralie, avec laquelle je la soupçonne en effet de ne pas jouer qu’au UNO, désespère la description… Tatouée de partout, lourde, moche. Regard vide, bovin. Cette Coralie, cette grosse vache bonne pour l’abattoir, qui est sans cesse occupée de se curer le nez de la façon la plus révoltante, ne doit pas avoir plus de trois mots de vocabulaire…

Et Jeanne, Jeanne qui est si intelligente et néglige dorénavant ses études, les savoirs académiques n’étant à l’entendre qu’une accumulation de préjugés réactionnaires…  Réactionnaire est le mot que Jeanne a sans cesse en bouche, en même temps que l’une de ses horripilantes sucettes véganes, que j’ai toujours envie de lui retirer, quitte à la lui arracher… Cela va trop loin… Avant-hier, croyant sans doute me faire plaisir, elle a eu cette phrase sidérante, je cite : Ce n’est pas ta faute papa… Maman aussi est réactionnaire avec son goût du phallus… »

 

(Silence d’une trentaine de secondes, ponctué de bruits indistincts.)

 

« Je vous le demande sincèrement monsieur Herbert : suis-je le seul être sensé, dans cet asile de fous qu’est devenue ma propre maison ?

Quoi, la résilience… Qu’est-ce que vous essayez de me vendre au juste monsieur Herbert ? Vous voulez que j’achète des bouquins de votre collègue de plateaux Boris Cyrulnik, c’est ça ? Je devrais prendre sur moi, c’est ça… Surmonter l’épreuve, qui me grandira, c’est ça… Ne renoncez pas au bonheur. Entre vous et le monde, choisissez le monde.  Ce genre de formules creuses qui ne veulent rien dire… Et ne pas m’en faire d’entendre toute la journée ma femme gueuler Orgasme, mon fils Allah est grand et ma fille Réactionnaire !

Vous êtes un escroc, monsieur Herbert ! La résilience, pour ce que j’en sais, c’est trop sucré, c’est comme une pâte de fruits, écœurant et dégueulasse… Philosophie de bazar et slogan publicitaire pour temps consumériste…. Prenez sur vous, adaptez-vous ! Je n’ai pas envie d’être résilient, moi… Ce sera résilience zéro, moi. Quand on entend un même mot partout du matin au soir, qu’un ministre quelconque vous parle même de plans de relance et de résilience, il faut se méfier…

Je n’oublie rien, je ne pardonne rien, moi monsieur Herbert, je ne m’avoue pas vaincu, moi monsieur Herbert, et vous ne me reverrez plus… Je me battrai jusqu’au bout ! Je leur ferai entendre raison à tous, même si je dois en devenir fou… Votre chèque, quoi votre chèque ? Vous voudriez que je vous paie en plus ? »

 

(Bruit d’une chaise qui se renverse, d’un mouvement confus et d’une porte qui claque. Cris du docteur Herbert à l’adresse du patient pour le retenir. Ainsi se termine l’enregistrement.)

 

 

                                                                              Frédéric Perrot

 

mercredi 2 mars 2022

Je suis vivant et vous êtes morts... (Philip K. Dick, 1928-1982)


 

« Je suis certain que vous ne me croyez pas, et ne croyez même pas que je crois ce que je dis. Pourtant, c’est vrai. Vous êtes libres de me croire ou de ne pas me croire, mais croyez au moins ceci : je ne plaisante pas. C’est très sérieux, très important. Vous devez comprendre que, pour moi, le fait de déclarer une chose pareille est sidérant aussi. Un tas de gens prétendent se rappeler des vies antérieures ; je prétends, moi, me rappeler une autre vie présente. Je n’ai pas connaissance de déclarations semblables, mais je soupçonne que mon expérience n’est pas unique. Ce qui l’est peut-être, c’est le désir d’en parler. »

Extrait du discours prononcé par Philip K. Dick à Metz, le 24 septembre 1977


Philip K. Dick vers 1950


Quelques autres publications sur Philip K. Dick : 

http://beldemai.blogspot.com/2017/10/les-androides-revent-ils-de-moutons.html

http://beldemai.blogspot.com/2017/08/est-ce-quune-realite-sordide.html

http://beldemai.blogspot.com/2019/05/sur-le-maitre-du-haut-chateau-de-philip_5.html

mardi 1 mars 2022

Première escale (un poème de Hugues Werlé)

 

       Brother, my cup is empty

       And I haven’t got a penny

       For to buy no more whiskey

       I have to go home

                               Nick Cave

 

 

Comment débuter un si beau voyage,
Avec une Première Escale un peu volage.
Voilà chose faite, sur la planète Naufrage !


Attention ! Attention ! Ceci est un avertissement,
Prends garde voyageur intrépide, dans l’instant
Tu trouveras que les murmures du vent,
Et si tu t’aventures dans le grand temps,
Tu entendras les murmures des sentiments !
Sur moi, Naufrage, tu te noieras et les chants
De mes sirènes t’attireront inexorablement,
Et si tu es un lecteur patient... Passe ton temps !


Alors bannis tes pensées ! Vis ! Sois pur esprit !
Ou sers-toi sans scrupule un double whisky
Carburant et dose recommandée pour un voyage sans soucis !

 

 

Hugues, qui n’a plus bu une goutte d’alcool depuis vingt ans, a lu ce poème lors de L’épuisette à étoiles.

 

Pour écouter le morceau de Nick Cave :

https://youtu.be/IB4p6W5PVuc

L'épuisette à étoiles (soirée poésie, au Divanoo)

 


Si toi aussi tu écris, tu fais de la musique, tu as envie de partager un texte que tu aimes, ou simplement si tu as des oreilles et une forte envie d’être à l’écoute, n’hésite pas à venir tous les premiers mardis du mois au Divanoo.