lundi 30 janvier 2023

C'est tellement bête que ce doit être vrai

 

                                              « C’est tellement bête que ce doit être vrai. »

                                                                            Georges Bernanos

 

 

Un député d’extrême-droite réclame à l’assemblée que tous les enfants à naître se prénomment, selon leur sexe, Joseph ou Marie. Des numéros pourront être à terme utilement ajoutés pour les distinguer. Joseph 28, Marie 34, etc.

 

C’est tellement bête que ce doit être vrai.

 

Un romancier sur le retour prédit une future guerre civile et avoue que son seul regret est de ne pouvoir être cloné, afin d’y assister personnellement en spectateur désenchanté.

 

Un dictateur quelconque menace de faire exploser le Soleil si on ne le laisse pas opprimer sa population comme il l’entend, et cette menace est prise très au sérieux par la communauté internationale, qui ne cache pas son inquiétude.  

 

C’est tellement bête que ce doit être vrai.

 

La chaîne de restauration Junk Food s’excuse auprès de ses clients pour les traces de sperme humain trouvées dans sa viande rouge.

 

La Chine annonce à grands renforts de vidéos qu’elle compte organiser les Jeux olympiques 2048 sur la face cachée de la Lune.

 

Un humoriste notoirement antisémite s’excuse auprès de la communauté juive pour ses débordements passés et promet d’aller se recueillir au printemps prochain à Auschwitz. Des selfies et des prises de parole émues en témoigneront.

 

 C’est tellement bête que ce doit être vrai.

 

Un philosophe grabataire affirme que des hordes extraterrestres se rassemblent aux confins de notre système solaire et attendent leur heure pour nous envahir. « Leur étendard est d’un vert comparable à celui de l’Islam, et je vous le dis avec toute la gravité nécessaire : ce ne peut pas être seulement une coïncidence… »

 

L’intellectuel pakistanais ayant écrit dans son dernier ouvrage que les « vierges promises » n’étaient qu’une métaphore, a été brûlé vif.

 

Un ami m’a raconté qu’il avait entendu sa voisine hurler et supplier son compagnon de la battre, afin que tout redevienne comme avant

 

C’est tellement bête que ce doit être vrai.



                                                                                      Frédéric Perrot

dimanche 29 janvier 2023

François Bégaudeau, Boniments (un extrait)

 


Risque (prendre son)

 

Au commencement il y eut René Char, puis vint Emmanuel Macron.

« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque », avait écrit le poète, et l’aphorisme parvint aux oreilles du brillant élève du lycée jésuite La Providence. Ou bien il l’emprunta à son ami Bayrou, qui le citait à l’envi pendant sa campagne de 2007. Ou bien il l’entendit dans une réunion du conseil de surveillance de Veolia.

Devenu banquier, le clinquant littéraire fait de la suggestion oraculaire de Char un mantra, racontant partout que pour se lancer dans la course présidentielle, lui l’énarque hors système a dû prendre son risque.  

Devenu président, il demeure poète et donc rebelle. Alors que les pisse-froid du Conseil scientifique poussent au reconfinement du pays qu’un variant du Coronavirus menace, il résiste. Tel Pascal, il fait un pari, commentent les commentateurs. Il prend son risque.

C’est souvent que de parfaits conservateurs ayant grandi dans des collèges taillés sur mesure, suivi des filières étrennées par leurs parents, épousé des carrières promises et dues, connu des ascensions programmées dans lesdites carrières, investi des résidences sécurisées dans des quartiers retranchés, inscrit leurs enfants dans des collèges taillés sur mesure d’où s’élanceront leurs ascensions programmées, etc., célèbrent le risque.

Ce n’est pas un paradoxe.

C’est parce que les conservateurs ont des vies balisées qu’ils aiment s’imaginer hors des clous. C’est parce qu’ils restreignent leur pensée à la défense de leurs intérêts qu’ils prétendent penser out of the box.  C’est parce que leur existence est sans risque qu’ils n’ont que ce mot à la bouche. Analogiquement, l’héritier est le meilleur colporteur de la fable du mérite. Certes nous avons eu des facilités, concédait un jour une journaliste politique de télé mariée à un journaliste politique de télé frère d’un journaliste politique de télé officiant aujourd’hui à BFM comme son neveu journaliste politique de télé ; mais nous avons travaillé, retombait-elle sur ses pattes.

Le bas peuple saisissant quand même mal pourquoi une fille d’ouvrier sénégalais hissée au rang d’institutrice en serrant les dents gagne cinquante fois moins qu’un P.-D.G. de la pétrochimie, le concile libéral doit inventer un dogme supplémentaire, un boniment d’appoint : le risque. L’institutrice est sans doute méritante, mais elle ne prend pas de risques. Sauf le respect qu’on lui doit, elle est fonctionnaire. Alors que l’entrepreneur – ne pas confondre avec le patron – s’est lancé dans un business comme on se jette dans le vide. Il a engagé son corps et son prêt bancaire dans la bataille, il a bien pris son risque et non pas simplement un risque. Il aurait pu y laisser sa peau, tel Magellan navigant à vue vers des continents incertains. À la fin, son pari a été gagnant, sa start-up de tandems urbains est rentable, et ce courageux coup de poker de départ rend presque décent le salaire qu’il s’attribue.

Il se trouve qu’il a su convaincre la banque en démontrant que l’aventure de Bike-for-Two était précisément sans risque car il avait les reins solides grâce à la revente fort lucrative d’une boîte de soutien scolaire créée avec l’argent de la revente d’un appartement familial.

Il se trouve assez souvent que ceux qui prennent leurs risques ne courent aucun risque à les prendre.

Quel risque réel prenait Emmanuel Macron en s’opposant à un troisième confinement ? Son pari de janvier 2021 ayant été perdu, on vit la virulente troisième vague saturer les hôpitaux, épuiser les soignants, asphyxier des milliers de pauvres ; on ne vit pas qu’Emmanuel eût à payer personnellement son risque.

À la lumière des diatribes des conservateurs contre le principe de précaution, on comprend encore mieux que leur apologie du risque est la devanture d’une pulsion de produire effrénée et indifférente aux dommages collatéraux sur les gens, les bêtes, les sols, l’air. L’entrepreneur sans précaution fait valoir une balance bénéfice-risque où le bénéfice est privatisé et le risque socialisé. À lui les dividendes du gaz de schiste obtenu en fracturant la roche, aux habitants du coin l’eau viciée et les cancers subséquents. En libéral conséquent, il ne se défausse pas de sa responsabilité. C’est seul et en toute conscience qu’il a pris le risque de la mort des autres.   

 

Eels, Your Lucky Day in Hell (pour Valentine)


 

                Pour écouter le morceau de Eels : https://youtu.be/3RTPwAn7UCE

jeudi 26 janvier 2023

Le Théâtre du Potimarron au Divanoo


 

« Donne, donne-moi le droit d’asile …

Je  voudrais accoster ! »

création Théâtre – Forum 2023.

 

Dans le spectacle, des scènes issues d’histoires vécues, dans lesquelles  l’accueil des étrangers, des réfugiés qui fuient la guerre et la misère,  n’est pas  au rendez- vous.

 

Nous jouerons le spectacle une première fois, puis nous reprendrons certaines scènes afin que des personnes du public, si elles le souhaitent, viennent sur scène  pour jouer leur point de vue et  tenter d’agir, afin que demain les choses ne soient plus tout à fait comme avant.

 

Poèmes et chansons rythment le spectacle.

 

Le titre « Donne, donne-moi… » est un extrait de la chanson de Dominique  Grange LE  DROIT D’ASILE.

 

4 représentations  du spectacle en 2023

Café culturel « Le Divanoo » (où a été créé le spectacle) jeudi 26 janvier  20h

Fête des Cultures, à la salle du Cheval Blanc, samedi 28 Janvier 19h

Emmaüs  Mundo 14, Rue de l’Atome  Bischheim, samedi 4 février 14h30

ASTU 13 A rue du Hohwald Strasbourg, dimanche 5 février 11h


samedi 21 janvier 2023

Tant d'arbres abattus


 

Tant d’arbres abattus

Ne nous contemplent plus

 

Pareils à ces géants déracinés

Du ciel que nous touchions

En silence

Nous avons chu

 

Pour d’obscures raisons

À tant de merveilles

Ont succédé

Tant de jours inféconds

 

Et dans les lits froids

Aux rires d’antan

Les larmes orphelines

 

Tant d’arbres abattus

Ne nous contemplent plus

La lune ronde et pleine

Brille pour rien

 

Et de tout le temps

Qu’il aura fallu

À la pousse fragile

Pour se hisser au ciel

 

Nul ne se souvient plus

 

 

Lors de la soirée du 19 janvier, Les poètes se lisent, j’ai lu : Le marronnier, Jour de fête, Gravité terrestre, En zones inondables, Des fontaines jaillissantes, Dans le brouillard, Tant d’arbres abattus et Zoo humain. Frédéric Perrot.

Je vous maudis bâtisseurs croupissants (un poème de Sylvia Undata)

 


Je vous maudis

bâtisseurs croupissants

d’obéissance insalubre

en distributeurs de monnaie

– de vide –

 

Je vous déchois

cravates obsolètes

figées dans l’amidon

de votre égo insensé

raidissant vos égoïstes poitrines

– fières et inutiles –

 

Je vous enherbe

fous de béton

de baise et de bêlements

Troupeaux insipides

enchaînés consentants

dans les geôles du pouvoir

 

Ah !

Certains dorment

sur des paillasses de billets

Stocks pour empaillage

de leurs frileuses carcasses !

 

Ceux qui meurent de faim

chanteront leurs cantiques

 

 

Sylvia Undata a lu plusieurs extraits de son livre Trash textes et autres crash tests humains lors de la soirée du 19 janvier, Les poètes se lisent.   

 

lundi 16 janvier 2023

Le fantôme éconduit

 

 Sans prévenir, l’autre nuit encore, tu m’as rendu visite. Cela faisait tellement longtemps : je ne pensais plus guère à toi… Si les dates sont difficilement réfutables, vingt ans peuvent passer comme un rêve… Je n’avais pas envie de te voir. Je n’y étais pas préparé. Mais est-on jamais préparé à quoi que ce soit ? Tu étais là, inchangé, malgré ta peau jaunie et tes cheveux mêlés de terre. Tu ne disais rien, tu me regardais avec une curiosité teintée d’espoir, et, plus sourcilleux qu’une pierre tombale, tu paraissais décidé à attendre… Puisque tu ne disais rien, soudain je me suis mis à parler, parler, m’étourdissant de paroles. De quoi pouvais-je donc parler dans ce silence de purgatoire, et avec tant d’éloquence morbide et de frénésie ? De moi, de moi, de moi… Un moment de gêne douloureuse s’en est suivi. Tu as souri tristement, puis tu as eu un geste étrange, comme d’absolution, avant fantôme éconduit, de disparaître dans les ténèbres, comme tu étais venu…

 

Quand ils se rappellent à notre souvenir, les morts, les gentils morts ne nous jugent pas. Ils nous considèrent même avec indulgence, comme des amateurs qui, n’ayant accompli qu’une partie du voyage, peuvent encore se payer de mots et étaler leur vanité d’individus…

 

                              

                                                                               Frédéric Perrot

dimanche 15 janvier 2023

Le train martyr (un poème de René Char)


 

L’argent s’épuise.

L’appétitive excavatrice

N’ira pas plus avant dans le trou frémissant.

Fini, fini, l’argent s’épuise.

Humeur ! L’égout n’assortit plus ses eaux

De neiges éternelles.

 

Paléontologique commerce de la banque,

Les hauteurs de l’argent, dit-on, s’affaissent.

Celui-ci roulotte loin dans ses plaines finales.

Nul Cuvier ne se penche

Sur la manne dispersée.

Biens des vieux océans exhumés

Retournent aux ouragans stériles.

L’homme creuse là ses abris, croit-on,

Mouillé de sang et sec d’espace.

Est-ce le terme, est-ce l’issue ?

 

L’angoisse est pauvre, le désert fier.

Ce qui naît à chaque aube obscure :

Prendre tout et comprendre peu

Réciproquement s’interdisent.

Tu tiens de toi tes chemins,

Aussi leur personne pensive.

La folie est sans destinée.

Où elle sera, tu n’es plus.


vendredi 13 janvier 2023

Two years have passed/Two years of emptiness inside (Pulp, They suffocate at night)

 


His body loved her
His mind was set on other things
Keep your face out of sight
And your thoughts to yourself
And this went on for several nights
Festering in silence, growing in the dark

 

And this they saw as love
Love
So sad to see
They suffocate at night
Oh this they saw as love
Love
So sad to see
To see it slowly die

 

She met his wishes
He found that he had changed his mind
Now the fit is too tight
And the bedroom too warm
The days are filled with things to do
Night-time lies so hollow and memories betray

 

Oh memories of love
Love
So sad to see
They suffocate at night
Those memories of love
Love
So sad to see
To see it slowly die

 

Two years have passed
Two years of emptiness inside
And the grey skies above
Just show how far I went wrong
I wonder if she’s living there
The way that I recall
The way I’ll always think of you

And when I think of you

I think of love
Love
So sad to see
They suffocate at night
You know I think of love
Love
So sad to see
To see it slowly die

 

I wrote you a letter
I threw it away
I wrote you a letter
I threw it away
I need her
I know I don't need her
I need her

They suffocate at night conclut l’album Freaks de Pulp (1986)

 


Pour écouter la chanson : https://youtu.be/UHK465weJ98


jeudi 12 janvier 2023

L'odyssée intime

 

« À propos du sommeil, aventure sinistre de tous les soirs, on peut dire que les hommes s’endorment journellement avec une audace qui serait inintelligible, si nous ne savions qu’elle est le résultat de l’ignorance du danger. »

                   Charles Baudelaire, Journaux intimes

 

 

La fleur d’oubli dûment avalée, calme plat avant la tempête. Des monstres déjà s’agitent dans l’ombre. Mais les Sirènes, vilaines créatures des nuées, rétives à l’ordre universel, ont perdu la mémoire de leur chant. Nul n’accuse plus les dieux des carnages orchestrés et des destructions en cours. Le long délabrement du monde se poursuit dans la morne habitude prise des catastrophes. Le contemporain dispose d’outils autrement efficaces. Le suicide collectif paraît une option raisonnable largement envisagée. Il ne saurait être question de retour au pays natal. Ithaque est désormais un mirage désuet. Inévitablement, l’odyssée intime s’achève dans les remous du silence. Malgré les rêves voluptueux, chaque nuit est une noyade.

 

                                                                                   Frédéric Perrot

jeudi 5 janvier 2023

Emmanuel Carrère, V13 (pour François)


 

   

      Quatrième de couverture

 

V13 : c’est le nom de code du procès des attentats terroristes qui, le vendredi 13 novembre 2015, ont causé 130 morts au Stade de France, sur des terrasses de l’est parisien, dans la salle de concert du Bataclan.

14 accusés, 1800 parties civiles, 350 avocats, un dossier haut de 53 mètres : ce procès hors norme a duré neuf mois, de septembre 2021 à juin 2022. Je l’ai suivi du premier au dernier jour, pour l’hebdomadaire L’Obs.

Expérience éprouvante, souvent bouleversante, fascinante même quand elle était ennuyeuse.

Une traversée.

 


Le livre d’Emmanuel Carrère a été – et de loin ! – selon moi le livre plus important de l’année 2022. Bouleversant – le témoignage des victimes –  est un mot faible… Et les questions essentielles que pose le livre sans prétendre y apporter des réponses définitives – qu’est-ce que le mal, et qu’est-ce que la justice ? – dépassent largement la simple actualité littéraire… Frédéric Perrot.  

mardi 3 janvier 2023

Nocturne

Jimmy Poussière

 

Ne crois pas

Que tu sois cause encore

Du sourire discret de l’endormie :

Elle repose avec son secret…

 

Comme le voyageur des contes,

Tu pourrais des deux poings

Cogner aux portes de ses rêves,

Qu’elle ne l’entendrait pas

Tant des mondes vous séparent…

 

Retourne à ton silence,

Dans la chambre de l’enfant

Qui aux premières heures de l’aube,

Viendra t’étourdir de son babillage

Et de sa joie

 

 

                                           Frédéric Perrot

lundi 2 janvier 2023

Rilke et Paul Valéry

Rilke avec Paul Valéry, Anthy-sur-Thonon, septembre 1926

   La photographie est extraite de la biographie de Catherine Sauvat, Rilke, Une existence vagabonde.