dimanche 31 décembre 2017

chercheurs d'échos (publié dans le numéro 22 de la revue Lichen, janvier 2018)


Encre Eric Doussin



Chercheurs d’échos

Dans des systèmes éloignés
À des distances inconcevables
Ils cherchent des ombres et des échos
Sont en quête de la connaissance et de la beauté 

Font tant de découvertes déconcertantes
Des mondes prodigieux
Et des planètes géantes
Insoupçonnées

Donnent à l’imaginaire
De plus vastes horizons
Et des objets nouveaux
À notre réflexion

Sous la surface glacée d’Encelade
Sixième lune de Saturne
Aux mystérieux anneaux
Il semble qu’il y ait un océan




Pour aller voir la revue d'Elisée Bec 

samedi 30 décembre 2017

Europe by Train




« Je n’ai plus une seule idée en tête. Il y a longtemps que je ne sais plus ce qui se passe dans le monde, ni en Russie, ni ici. Tenez, j’ai traversé Dresde et j’ai oublié à quoi ressemblait cette ville. Vous savez bien ce qui m’absorbait. Comme je n’ai aucun espoir et suis un zéro à vos yeux, je parle franchement : je ne vois que vous partout et le reste m’est égal.» (Dostoïevski, Le Joueur

vendredi 15 décembre 2017

la lumière la plus pure (accompagné d'un dessin de Jimmy Poussière)

Jimmy Poussière 


Si vous êtes confrontés
Au malheur le plus grand
Rares sont les livres
Qui ne vous tombent pas des mains

La philosophie les romans
Fatras poussière

Seule la poésie parfois
Si elle n’est pas ésotérique
Peut être un viatique
Une clairière

Moi qui ne la goûte guère
Et n’ai pas de si grandes peines
J’aimerais pourtant
Tracer les quelques mots
D’un fragile poème
Qui sur ces temps obscurs
Jetterait la lumière la plus pure
Et nous réconcilierait



Le texte est extrait du recueil auto-édité Les heures captives (décembre 2012)

mercredi 13 décembre 2017

une étape à gagner (autre fragment de Jimmy Poussière)



Nus dans la nature
Ils s’étaient vautrés
Parmi les nuées d'insectes songeurs

Ils voulaient être innocents
Mais il était bien trop tard
Vivre ne servait qu'à vivre à rien

Pourtant tous demeuraient
De façon quasi exclusive
La tête dans le guidon

Allez savoir
Peut-être y avait-il
Une étape à gagner


ils courent tous vers la lumière (fragments choisis de Jimmy Poussière)



Cette tristesse infinie et insondable qui te broie c’est ton sang.

***        

Toujours la même histoire
Ton histoire
Cette histoire qui
Ne t’intéresse plus
Et dont
Tu te désolidarises

***

Chaque page écrite ou dessinée est un petit cercueil.

*** 

Le moteur serait de croire en quelque chose.

***

Tu es insignifiant. Tu portes une peau et une odeur que les autres ne comprennent pas. Tu es cet homme que personne n’a jamais vu.

***

Meurtri
Par tes souvenirs
Par un chagrin
Abstrait

***  

Rien ne t’habite. Tu dois te remplir d’absurdité.

***
Depuis plusieurs jours même la musique t’est insupportable – et tu crèves dans ton silence.
***

Efface-toi, ils n’y verront que du feu –  ils courent tous vers la lumière.

***

Quand tu allais à la découverte avec l’envie
Et non pas la peur au ventre
Tu avais presque le droit
De vivre sans gêner 

***  

L’amertume, ça c’est quelque chose qui se rumine et se cultive très bien en solitaire.

***  

Tu n’étais
Qu’un simple chaînon manquant
Entre une génération
Et une autre

Pour qu’un sang perdure
Qu’une lignée
Continue de se battre
Juste pour survivre

*** 


dimanche 10 décembre 2017

les heures captives




Les heures captives

Neige matin brumeux
J’ai l’habitude des heures captives


À celui
Qui trop longtemps
Est demeuré penché
À sa table de travail
Afin de traduire
Dans une langue
Accessible
Les illusions
Et les absences
De sa pensée

Il peut arriver aussi
D’être saisi par le désir
De soudains départs
De brusques mouvements

Qui témoigneront
De son existence
Parmi les vivants…


jeudi 7 décembre 2017

Joy Division

Jimmy Poussière



But if you could just see the beauty
These things I could never describe

                        Ian Curtis, Isolation 


Pour écouter le morceau Isolation : 


mercredi 6 décembre 2017

tableau vivant (accompagné d'un dessin de Jimmy Poussière)

Jimmy Poussière



Tableau vivant

Quand je suis rentré, ma femme était une nouvelle fois accroupie aux pieds de son amant, dont je pouvais admirer le corps glabre et la position hiératique. Nus tous les deux, nudité banale. Tout était silencieux, comme dans un temple déserté. La pendule détraquée du salon ne ponctuait plus les secondes. Un semblant d’éternité… Comme je n’ignorais pas que pendant que je me tuais au travail, afin d’éviter la faillite de mon entreprise, ils passaient leurs journées à composer toutes sortes de tableaux vivants, ne voulant pas les importuner, je suis passé dans la cuisine et me suis servi un verre d’eau, avec lequel j’ai avalé une des pilules que m’avait vendues le petit dealer aveugle qui vivait dans ma cage d’escalier. J’en étais déjà à ma cinquième pilule, j’avais payé le prix fort, mais le sentiment de bien-être était tout relatif et le monde qui m’entourait, où je me débattais, me semblait toujours aussi atroce. La douleur seule était atténuée. La souffrance semblait sans rémission. Pas d’alternative. Nul autre monde pour toi. Seulement la réalité dans toute sa laideur mesquine… Las, un instant, j’ai fermé les yeux. Une plage, l’été, ma femme, moi… Ce n’était pas vrai. Ce n’était qu’une illusion, provoquée par les pilules. Une pauvre contrefaçon, un cliché… Les cachets du bonheur, comme les appelait le petit dealer en riant affreusement, ne fonctionnaient pas avec moi. Quand j’ai rouvert les yeux, ma femme, vaguement rhabillée pour l’occasion, une feuille de vigne sur le pubis, se tenait près de moi et m’a demandé si cela ne me dérangeait pas que Georges reste pour la soirée. Je ne suis pas un Othello, ai-je dit, sans écouter la rapide description qu’elle me faisait du tableau à venir, qui devait être une fois encore une pietà. Il est vrai que cela m’était parfaitement indifférent. Je jugeais leurs habitudes un peu morbides, c’est tout. À ma connaissance, il n’était nullement question de sexualité ou de plaisir. Ma femme jugeait toute forme de pénétration dégradante et son amant, galeriste en vue, était notoirement impuissant. Ce n’était que gestes, postures, tout un cérémonial, dont je ne pouvais même pas être jaloux. La jalousie, ses tourments, cette plaie que l’on irrite à plaisir, c’eût été une forme de promotion, un espoir de changement… Il n’y avait pas de changement. Je ne pouvais rien du tout… Et je devais seulement, l’affreux mot, me résigner, accepter que ce qui était dégradé, se dégraderait encore et toujours…



Le texte est extrait du recueil auto-édité Les heures captives (décembre 2012)

mardi 5 décembre 2017

l'amour est mort (accompagné d'un dessin de Jimmy Poussière)

L’amour est mort (dans mes bras)


L’amour est mort dans mes bras. Je me suis allongé près de toi, en songeant que tout, toujours se passe dans une autre pièce, où nous ne sommes pas.

L’amour est mort dans mes bras. J’ai allongé mon fantôme près du tien et dans le fouillis des draps, j’ai cherché la raison de tes soupirs et des mots menteurs murmurés dans l’étreinte.

L’amour est mort dans mes bras au terme de gesticulations contraintes.

L’amour est mort dans mes bras. J’ai allongé mon cadavre près de ton cadavre et ce fut comme si deux agonisants se démenaient en vain. Il n’y avait plus ni soupirs, ni mots menteurs murmurés dans l’étreinte : il n’y avait plus qu’un lourd silence animal et comme en souvenirs d’une vie perdue d’absurdes mouvements…

Lorsque je me suis réveillé, il n’y avait que la douleur, diffuse dans mes membres et terrible à l’arrière de mon crâne. Repoussant les draps, j’ai titubé jusqu’à la lumière du jour… J’ai regardé autour de moi, et j’ai hélas tout reconnu.



 Le texte est extrait du recueil auto-édité Les heures captives (décembre 2012)


Jimmy Poussière

carnages végétariens

Carnages végétariens

                                                                       Do you know how animals die ?
The Smiths, Meat is murder


Longeant les murs des anciens abattoirs, je songeais à la mort des animaux, à la manière dont, pour éviter aux poules affolées de se déchirer entre elles dans leurs cages, les industriels de l’agroalimentaire avaient eu un jour la judicieuse idée de leur faire couper le bec. Tout l’homme est dans ce genre d’ingéniosités.
Ma pensée dérivant, je songeais plus obscurément à d’autres carnages. Aux boucheries familiales au cours desquelles on gave l’enfant écœuré, sous prétexte qu’il faut bien finir son assiette. Aux boucheries internationales au cours desquelles, entre autres miracles, on cimente le vagin des femmes en gésine pour des raisons hygiéniques – C’est que les viols collectifs nécessitent du temps et de la sueur et supposent de s’accoupler malgré tout avec la vermine… Or, qui couche avec les chiens, n’est-ce pas ?

Il tombait une pluie froide, dégoûtante, probablement empoisonnée par tout un siècle de révolution industrielle ; et j’étais las de la laideur de mes pensées, j’étais las de toute cette encre…
Opportunément, je songeais à toi et à d’autres carnages plus pacifiques, sans haine, végétariens comme nous les nommions en manière de plaisanterie. Désordre des draps, souffles, râles. Douces offensives, tendres batailles, brusques embardées pour l’origine du monde… Comme des animaux affamés, assoiffés et qui jamais ne connaîtraient les tristesses de la satiété ?…

Oubliant un moment cette saleté de pluie, grisé par ces soudaines visions, je rentrais chez moi, heureux, heureux, comme on peut l’être malgré tout, dans un monde où l’on cimente le vagin des femmes et où l’on coupe le bec des poulets.


Le texte est extrait du recueil auto-édité Les heures captives (décembre 2012)

pour écouter le morceau des Smiths, Meat is Murder