lundi 26 mars 2018

l'enseveli vivant


« L’idée la plus naturelle à l’homme, celle qui lui vient naïvement, comme du fond de sa nature, est l’idée de son innocence. » (Albert Camus, La Chute)
                       

Sur une plage oublieuse, l’enseveli vivant proteste encore, non pour la forme, mais d’une voix claire, pour évoquer homme jusqu’au bout, son innocence… Il y a dû y avoir une erreur ; car ce n’est pas par jeu qu’il est enterré ainsi, il n’a pas été la victime amusée et consentante d’une bande d’enfants, il n’y a jamais eu d’enfants ici, ni de châteaux fragiles assiégés par les vagues, la plage est déserte et il est enterré réellement : sa tête seule dépasse du sable blanc qui tout autour de lui semble s’étendre à perte de vue.

Sur son visage qu’il aimerait tendre obstinément vers le ciel et la nuit vers les étoiles, il sent le vent venu du large, ses violentes rafales, qui le harcèlent et le soumettent. Le sable en tourbillonnant lui meurtrit les yeux et la rumeur des vagues qui s’abattent sur le rivage, le chant infini et monotone de la mer, ne le consolent pas de devenir lentement aveugle… Quand le vent tombe, il crie ou pleure mais en ce désert nul ne l’entend, homme jusqu’au bout, protester de son innocence.

(Août 2014)

mercredi 21 mars 2018

The Unforgettable Fire


On ne dira rien de ce qu’est devenu depuis U2, mais en 1984, paraît leur quatrième album, The Unforgettable Fire. C’est le premier album produit par Brian Eno, que l’on peut raisonnablement considérer comme le cinquième membre de U2, tant il a apporté au groupe et tant leur collaboration a été fructueuse.
Leur son, grâce à ce « sorcier » qu’est Brian Eno, gagne en effet en complexité et en profondeur et aux guitares rageuses et à la batterie martiale du bien nommé War, succèdent des arrangements étranges et des morceaux plus atmosphériques comme la chanson-titre, The Unforgettable Fire ou l’instrumental 4th of July.
Si la rage de War est toujours présente sur Wire par exemple, elle se fait hypnotique et l’on serait presque tenté de se dire : « Tiens, une fois n’est pas coutume, un bon morceau de Radiohead ! » Car c’est cela qui frappe le plus rétrospectivement : combien à cette époque, U2 était un groupe fiévreux (Indian Summer Sky) et capable d’entraîner son auditeur dans de très troubles voyages sonores (les six minutes trente du morceau Elvis Presley and America, où la voix de Bono, au bord de la rupture, devient à un moment presque méconnaissable comme si  elle s’était perdue au cœur des ténèbres).
Il y a évidemment des morceaux plus lumineux où éclate le lyrisme parfois naïf du groupe : le beau A Sort of Homecoming en ouverture du disque, les guitares fières et crâneuses de Pride dédiée à Martin Luther King, qui est alors leur chanson la plus pop, et Bad, ma préférée, pour son délire ascensionnel, si je puis dire, son désir de surmonter toute la noirceur dont il est question dans les paroles et que chacun d’entre nous connaît : désespoir, solitude, désolation, dislocation, séparation…
En 1984, U2 n’est pas encore le groupe planétaire qu’il deviendra trois ans plus tard avec The Joshua Tree, mais avec The Unforgettable Fire, les quatre petits irlandais lancés à la conquête du monde signent sans doute leur plus beau disque.





Pour écouter la chanson Bad :
https://youtu.be/HB0Yhj7OMBs

mardi 20 mars 2018

Le plus loin possible de moi


         Un cauchemar l’ayant brutalement réveillé peu avant l’aube, pour échapper à son emprise et à une sensation désespérante, celle que pour lui tout était fini en ce monde, il se leva, s’habilla, remit de l’ordre dans ses cheveux trempés de sueur et sans accorder le moindre regard à son image reflétée dans le miroir mural qui jouxtait la porte d’entrée, il quitta l’appartement. Dans la rue, il avisa une bouche d’égout où il laissa tomber ses clés ; puis il fit signe à un taxi qui s’arrêta à sa hauteur et où il monta sans plus de cérémonie. Au chauffeur qui lui demandait où il devait le conduire, il eût voulu répondre, ce qui était la stricte vérité et la phrase la plus sincère qu’il eût pu jamais prononcer : « Le plus loin possible de moi… ». Mais ce n’était justement pas possible, le chauffeur n’aurait pas compris ou confronté à l’étrangeté de sa réponse cru qu’il se moquait de lui ; et par lassitude, fatigue d’exister, il marmonna une vague phrase à propos de l’aéroport : le taxi démarra. Il ne se faisait guère d’illusions, il n’allait pas monter dans un avion, il ne regarderait pas par le hublot la masse blanche ou grise des nuages, il n’irait nulle part, toutes les destinations lui étaient également indifférentes et aucun avion, ni aucun autre moyen de transport n’était en mesure de le mener où il désirait être, c’est-à-dire le plus loin possible de lui-même…

                                                                                                             (Août 2014)


mercredi 14 mars 2018

le fantôme de l'événement


« Vous pourrez toujours affirmer le contraire, mais vous ne m’avez sans doute pas vu. Une fois n’est pas coutume, j’avais troqué ma défroque de pantin écervelé. Lassé du rôle, je ne voulais pas être le pitre de l’orgie, son bouffon grimaçant. Et une fois n’est pas coutume, je me suis contenté d’être le fantôme de l’événement… Lorsque tout sera oublié, vous pourrez toujours nier l’évidence, mais vous ne m’avez sans doute pas vu, parmi tous ces ectoplasmes réunis pour célébrer le plus fat d’entre eux, dans cette assemblée portant fièrement sa vulgarité et son insignifiance. Pourquoi étais-je venu malgré tout ? Pourquoi n’étais-je pas libre de mes mouvements ? Et pourquoi ne pouvais-je pas échapper à ceux que je méprisais ? »


Johann Heinrich Füssli
(Exposition Die Tiere)

lundi 12 mars 2018

l'homme est partout (quelques lectures...)



Extraits

« En combien d’autres sociétés, d’autres climats, d’autres époques, aurais-tu pareillement été un raté ? Question à te poser. Cela fait peur mais peut guérir de beaucoup d’autosatisfaction injustifiée. »

« Dans une époque d’agités, garde ton « andante ». En toi-même redis-toi toujours : « Davantage, davantage d’andante », tâchant de t’amener où il faut que tu arrives. Sinon, précipité, tout devient superficiel. Les indignés du moment n’y échappent guère, pressés comme ils sont, afin de n’être jamais en retard d’une indignation. Leurs voix ont aussi trop d’aigu. » (Henri Michaux)


« L’homme est partout, partout ses cris, sa douleur et ses menaces. Entre tant de créatures assemblées, il n’y a plus de place pour les grillons. » (Albert Camus, « Prométhée aux Enfers », L’été)


L’écrivain Mathieu Riboulet est mort le 5 février 2018.

dimanche 11 mars 2018