jeudi 27 février 2020

Les êtres à tunnels (dessin de Valentine)

Valentine

Les êtres à tunnels


                                                         Pour Valentine,

J’ai connu des êtres à tunnels.
Leur sexe ? C’est indifférent.
Dans mon dos en douce ourdissaient
Leurs plans…

J’ai connu des êtres à tunnels,
Leur habitude de juger,
De vous faire laper la tasse
Amère…

J’ai connu des êtres à tunnels.
Tordus, se croient des parangons
De vertu, de très fiers maçons
Obscurs…

J’ai connu des êtres à tunnels,
Rois et reines, embaumeurs mortels,
Toujours occupés à élever
Des murs…

         Façonnent
         Rançonnent
         Maltraitent
         Soumettent

         « Mais c’est pour ton bien, mon amour… »

         Cloisonnent
         (Grands princes) pardonnent
         Soumettent
         Maltraitent
        
         « Tu m’en remercieras un jour… »

J’ai connu des êtres à tunnels,
Béant, j’ai vécu sous leur emprise…
Seule la fuite était de mise
Au loin

Au loin
Oh ! loin

Si loin…
                                                                 

       Hambourg, février 2020
                                                                                         Frédéric Perrot

mercredi 26 février 2020

Je vous souhaite de vous noyer (poème d'Ana Hyde avec une encre d'Eric Doussin)

Eric Doussin


Je vous souhaite
de vous noyer
dans ces reflets
sous votre couette
sur votre couche…

Que s'illuminent
toute la nuit
vos cœurs épris
corps désirant
sexe démis

et que dans l'eau
trouble ou bien claire
baignent vos rêves
sur une terre
bleue indigo

flottent vos doigts
et vos organes
qui ne pensent qu’à quoi ?

Le ciel ricane
et puis vous broie…

dimanche 16 février 2020

Leonard Cohen Tower Of Song (Live in London)

La Tour de la Chanson (traduction de Leonard Cohen)


                         Tower of song se trouve sur l’album I’m your man (1988)

Bon, mes amis sont partis et mes cheveux sont gris.
Je souffre en ces lieux où je jouais autrefois
Et si je suis fou d’amour, je reste sans réaction.
Je paie juste mon loyer chaque jour
Dans la Tour de la Chanson.

J’ai demandé à Hank Williams
S’il était toujours aussi solitaire.
Hank Williams n’a pas encore répondu,
Mais je l’entends tousser toute la nuit
Cent étages au moins au-dessus de moi
Dans la Tour de la Chanson.

Je suis né ainsi, je n’ai pas eu le choix,
J’ai reçu une voix d’or en cadeau,
Et vingt-sept anges venus de l’au-delà
M’ont maintenu assis à cette table
Dans la Tour de la Chanson.

Et tu peux enfoncer tes petites aiguilles dans la poupée vaudou,
Je suis désolé, chérie, mais cela ne me ressemble pas du tout.
Je reste près de la fenêtre, où la lumière est vive.
Ils ne laisseront jamais une femme vous tuer,
Pas dans la Tour de la Chanson.

Bon, tu peux dire que je deviens amer,
Mais ce dont tu peux être sûre
C’est que les riches ont leurs caniveaux
Dans la chambre à coucher des pauvres
Et que l’heure du grand jugement approche.
Mais je peux me tromper,
Tu sais parfois on entend de drôles de voix
Dans la Tour de la Chanson.

Je te vois debout de l’autre côté,
Je ne sais comment le fleuve est devenu si large.
Il y a eu un temps où je t’aimais,
Mais brûlent tous les ponts, qui permettraient de nous rejoindre…
Je me sens si proche de tout ce que nous avons perdu,
Nous n’aurons pas à le perdre encore…

Bon là, je dois te quitter, je ne sais pas quand je reviendrai.
Ils nous déménagent demain dans une autre Tour un peu plus loin,
Mais tu entendras parler de moi, longtemps après mon départ,
Et je te parlerai doucement
D’une fenêtre de la Tour de la Chanson.

Bon, mes amis sont partis et mes cheveux sont gris.
Je souffre en ces lieux où je jouais autrefois
Et si je suis fou d’amour, je reste sans réaction.
Je paie juste mon loyer chaque jour
Dans la Tour de la Chanson.

        
                                                                                        Frédéric Perrot

vendredi 14 février 2020

L'amour alors (une chanson de Cyril Noël)

Cyril Noël, au Local, le 21 septembre 2019


Lorsque l’on s’embrasse sur la bouche,
Oh, l’amour ne te dit plus rien.
Sont-ce les moustaches qui te dégoûtent
Ou est-ce mon cul sous ses mains ?
Quelle différence t’interpelle
Lorsque nos sexes noués d'amour
S’évanouissent au même ciel
Que toutes ces âmes depuis toujours ?

Lorsque l’on s'embrasse sur la bouche,
Oh, l'amour soudain te dépasse.
Est ce que tu nous jalouses en douce
Désireux de prendre nos places  ?
Quelle différence t’interpelle ?
Lorsque nos yeux noyés d'amour
S'animent pour un bout d’éternel
Comme un enfant au premier jour

Lorsque l’on s’embrasse...
L’amour alors... oh l’amour...
L’amour s'est rué à nos cous

Lorsque l’on s'embrasse sur la bouche
Amants heureux, bientôt maris,
L’amour alors te paraît louche
Comme hanté de mauvais esprits.
Quelle différence t’interpelle
Lorsque nos sens noués d'amour
S'embrasent à la moindre étincelle
Comme un soleil au petit jour ?

Lorsque l’on s’embrasse...
L’amour alors... oh l'amour...
L’amour s'est rué à nos cous

Lorsque l’on s’embrasse sur la bouche,
Et que l’amour aime tant la nuit
Paraît que je te botte en touche
Je t’ai bien vu, je t’ai bien pris.



Lien d’écoute pour le EP, 5 titres, de Cyril Noël :
 https://cyrilnoel.bandcamp.com/releases

Cyril Noël jouera en première partie de Paul Personne, le vendredi 20 mars à La Laiterie.
https://www.artefact.org/la-laiterie/programmation/paul-personne-cyrilnoel-presentes-par-artefact-prl-en-accord-avec-gerard

Je vous téléphone encore, ivre mort au matin/Car aujourd'hui c'est la Saint-Valentin (Christophe Miossec)

lundi 10 février 2020

Devenir vieux (dessin de Vittorio Papermade)

Vittorio Papermade


Devenir vieux

Ces choses futiles que la jeunesse prise,
Je les ai moi aussi bien longtemps vénérées,
Les boucles, cravates, les casques et épées,
Et puis surtout les petites femmes bien mises.

À présent seulement je comprends clairement,
Maintenant que pour moi, le vieux gamin chenu,
Toutes ces choses-là sont bel et bien perdues.
À présent seulement je comprends clairement
Combien étaient sages ces désirs d’antan.

Les rubans dans les cheveux, les bouclettes,
Et cet enchantement bientôt disparaîtront ;
Mais ce qu’au cours de l’existence j’ai acquis,
La sagesse, la vertu, les bonnes chaussettes,
Sera pour mon malheur bien vite enfui ;
Alors les grands froids sur la terre régneront.

Comme il est merveilleux pour les vieilles gens
De goûter un bourgogne auprès du feu
Et de partir enfin sans adieux douloureux –
Mais pas encore, un peu plus tard, pas maintenant !


Le poème est extrait du livre Éloge de la vieillesse d’Hermann Hesse (1877-1962), écrivain admirable, prix Nobel de littérature (1946) et auteur entre autres des romans : Demian, Siddhartha, Le Loup des steppes, Narcisse et Golmund.

Hermann Hesse, Éloge de la vieillesse
Traduit de l’allemand par Alexandra Cade.

Soleil et chair (titre pour un dessin de Vittorio Papermade)

Vittorio Papermade

Le titre est emprunté à l’un des premiers poèmes d’Arthur Rimbaud, qui commence ainsi :

« Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l’amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d’amour comme dieu, de chair comme la femme,
Et qu’il renferme, gros de sève et de rayons,
Le grand fourmillement de tous les embryons ! »

                                               Arthur Rimbaud, Soleil et chair, mai 1870.

dimanche 9 février 2020

La lumière et les ombres (avec une encre d'Eric Doussin)

Eric Doussin


L’homme ressasse
Crevasse et cadenasse
Sûr de son chagrin
Jusqu’à la nausée
                                    
                                                                                                     Hélène Bischoffe
                                   

La lumière et les ombres conspirent dans un coin déformé de la chambre. La veille, il s’en souviendra plus tard, au dos d’un cliché, il a écrit ses derniers mots, puis a déchiré la preuve manifeste de ce bonheur passé… Le suicide n’étant plus d’actualité, son désir de tuer le temps s’est retrouvé dans une ruelle saugrenue : à côté d’un ivrogne, qui pissait en proférant toutes sortes de malédictions. L’ironie l’a ramené chez lui.
À présent, c’est l’aube, il a mal… Mais comme diraient tous les gens sensés : « Il l’a bien cherché ! »

                                                                       Frédéric Perrot, février 2020

mercredi 5 février 2020

Jump (dessin de Valentine)

Valentine

George Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue (extrait)




Vers 1765, après l’affaire Calas, Voltaire et les gens éclairés de son époque répétaient avec une inébranlable certitude que la torture et toutes les monstruosités infligées aux ennemis du royaume (aussi bien qu’à ses sujets) étaient en train de disparaître à jamais du monde civilisé. Comme la peste et les bûchers des sorcières, ces héritages lugubres des siècles fermés à la raison ne résisteraient pas aux nouvelles lumières européennes. La laïcisation était la clé du problème. La torture, la destruction de communautés entières, soutenaient les philosophes, provenaient en droite ligne du dogmatisme religieux. En vouant à l’enfer certains individus ou certaines sociétés, en ravalant leurs convictions au rang d’hérésies pernicieuses, l’Eglise et l’Etat avaient délibérément lâché la bride au fanatisme et à la sauvagerie, et ceci contre des êtres le plus souvent sans défense. Au fur et à mesure que déclinaient les croyances religieuses, affirmait Voltaire, les haines se dissiperaient, tout comme le désir de détruire l’autre parce qu’il incarne le mal ou le mensonge. L’indifférence allait engendrer la tolérance.
Aujourd’hui, deux cents ans plus tard exactement, nous retrouvons une culture dans laquelle l’usage méthodique de la torture à des fins politiques a droit de cité. Nous sortons à peine d’une période de l’histoire où des millions d’hommes, de femmes et d’enfants furent réduits en cendres. A cette heure, en différents points de la terre, on torture, brûle, déporte une fois de plus. Il n’est point de technique de l’abject qui ne soit pratiquée quelque part, à cet instant précis, sur des hommes ou des groupes d’hommes. Quand on lui demandait pourquoi il s’employait à mobiliser l’Europe entière en faveur d’un seul homme livré aux mains des juges, Voltaire répondait en mars 1762 : « C’est que je suis homme. » A ce régime-là, il pourrait, de nos jours, s’époumoner sans fin.
Il est scandaleux qu’il en soit ainsi. Le retour généralisé à la torture et aux exécutions en masse, le recours universel à la faim et à l’emprisonnement comme moyens d'action politique, marquent non seulement une crise de la culture mais, je ne suis pas loin de le penser, le renoncement à la raison. Peut-être est-ce fatuité ou inconvenance d’agiter le problème d’une définition de la culture au siècle des chambres à gaz, des camps de Sibérie ou du napalm. Un tel sujet n’appartient sans doute qu’à l’ère révolue de l’espoir. Mais nous ne devons pas prendre une telle éventualité pour un fait acquis, une évidence. Il nous faut distinguer clairement l’horreur de sa nouveauté, ou de son retour. Efforçons-nous de cultiver en nous-mêmes une colère assez puissante pour infléchir les traits les plus significatifs de notre personnalité historique et sociale. Nous devons, comme aurait dit Emily Dickinson, attiser dans l’âme un insupportable étonnement. Je n’insisterai jamais assez sur ce point. Aux yeux de Voltaire et Diderot, la jungle de nos conflits sociaux et politiques aurait semblé une régression démente à la barbarie. La plupart des hommes et des femmes évolués du dix-neuvième siècle auraient rangé parmi les plaisanteries sinistres la prédiction selon laquelle la torture et le massacre n’allaient pas tarder à proliférer une fois encore dans l’Europe « civilisée ». Il n’est rien de naturel dans notre condition présente. Il n’y a rien de particulièrement convaincant ou digne dans le fait que nous admettons que « tout est possible ». En fait, semblable état d’esprit abaisse et déforme le seuil d’indignation. (Kierkegaard est le seul à avoir deviné, à mesure qu’elles se précisaient, une telle éventualité et la corruption qui s’ensuit.) Amorphe, envahissante, notre familiarité avec l’horreur représente pour l’humanité une défaite absolue.

George Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue, Notes pour une redéfinition de la culture.  

Traduction de l’anglais  : Lucienne Lotringer


lundi 3 février 2020

Marlon Brando étant un immense acteur (Le Parrain par Vittorio Papermade)

Le Parrain, Vittorio Papermade

Dernier Tango à Paris (dessin de Vittorio Papermade)




Je précise que je ne suis pas grand fan du Dernier Tango à Paris. Outre que tout cela est moralement très contestable – la fameuse scène de sodomie, avec le « beurre », dont on avait oublié de prévenir l’actrice –, quand j’ai regardé le film il y a quelques années, je l’ai trouvé assez laid d’un strict point de vue esthétique et affreusement daté… Enfin, ce portrait de Marlon Brando me paraît excellent. Frédéric Perrot.