samedi 30 septembre 2017

Nous ne sommes pas assez métaphysiciens (publié dans le numéro 19 de la revue Lichen, octobre 2017)



Nous ne sommes pas assez métaphysiciens

Pour Gilles,

« Pourquoi y-a-t-il quelque chose
Plutôt que rien ? » 

« Est-ce hasard ou nécessité ? »
Toutes ces interrogations

Nous semblent hors de portée
Et comme telles vaguement inutiles…

« Pourquoi les hommes font-ils leur malheur
Et meurent-ils
Sans pouvoir s’en consoler ? »
           
« Pourquoi ravagent-ils leur planète
Et n’ont-ils d’autre but
Que de se détruire en pure perte ? » 

Tels seraient sans doute
           
Dans les ténèbres de l’insomnie 
Les cauchemars et les douleurs de l’alcoolisme

Des commencements
De questionnements
Plus pertinents…

           
                        Frédéric Perrot


Pour aller lire la revue d'Elisée Bec 


nouveaux délits poétiques

Affiche subtilisée dans Strasbourg
Nouveaux Délits numéro 58 (octobre 2017)



vendredi 29 septembre 2017

à l'isolement

À l’isolement

            « Nous sommes bien dans la caverne de Platon. Le problème, c’est que les films qu’on nous passe sont pourris. » (Philip K. Dick)


Martial se réveilla brutalement, dans une chambre qu’il ne reconnut pas. Il était tout habillé, allongé en travers d’un grand lit à baldaquins, qui lui parut anachronique et en contradiction avec le reste du mobilier qui était fonctionnel, comme celui de sa cellule. Il avait la tête lourde, comme s’il avait une sévère gueule de bois, mais la première chose dont il se rappela, était sa fonction. Il était scribe, scribe dans un ministère ou une administration, et son bureau où il écrivait des rapports pour le gouvernement, était couramment nommé entre collègues une cellule…
Sur une chaise d’une forme artistique étonnante et d’une couleur vive, il y avait une valise ouverte. Martial se leva pour en inspecter le contenu. Il n’y avait rien d’autre qu’un carnet, dont les premières pages se couvraient de phrases très courtes, apparemment indépendantes les unes des autres et qui lui semblèrent toutes dépourvues de sens. Il sourit à la pensée que l’on avait bien de l’argent à dépenser, dans son ministère ou son administration, si on le payait pour noter de telles inepties, car il lui semblait que c’était son écriture…
L’anachorète se méfie du tournesol. C’était la première phrase notée, et toutes les autres étaient de la même eau… Enigmatiques sans l’être vraiment et agaçantes pour la même raison, comme les effusions automatiques d’un poète de seconde zone, aveuglé par sa confiance absurde dans les mots… Mais le plus étonnant était qu’il n’avait aucun souvenir de les avoir notées et que lui-même se demandait ce qu’elles pouvaient signifier ; car c’était son écriture à coup sûr et s’il avait voulu crypter des informations importantes, afin qu’elles ne tombent pas entre les mains de l’ennemi, le code à présent lui manquait…
Anachorète était un clair archaïsme et il n’aurait pas juré du sens du mot ; quant au tournesol, il avait le sentiment que ce devait être une fleur de couleur jaune, par déduction sémantique. Il n’y avait plus aucun végétal depuis si longtemps... Il avait cependant l’impression d’avoir aperçu, dans son enfance, au bord d’une large route, des fleurs qui auraient pu se nommer tournesol ; il n’en était pas certain, ce n’était peut-être qu’un souvenir construit… Il sourit une nouvelle fois à la pensée qu’on ne le payait pas pour rien, puisqu’il était bien occupé à essayer de comprendre des traces manuscrites.
« Vos notes vous laissent perplexe ? »
Martial sursauta malgré lui.
Une femme se tenait à quelques pas de distance et le considérait avec une attention soucieuse. Toute son attitude traduisait un semblant d’intérêt maternel ou sororal parfaitement imité. Elle portait un uniforme d’un blanc impeccable. Ses cheveux raides étaient d’une blondeur irritante et il eut le sentiment d’être face à une infirmière…
Ou que du moins telle était l’idée, qu’on voulait lui donner de la fonction de cette femme, qui pour le reste n’était qu’un pur cliché d’un érotisme conventionnel, comme sorti d’un magazine pour hommes ; ce qui devait amoindrir ses capacités de réflexion en ajoutant à la scène une vague promiscuité d’ordre sexuel…
C’était toujours la même technique, on ne faisait aucun effort et Martial commençait enfin à comprendre où il était précisément… Il était revenu, ou plutôt il se trouvait toujours dans l’enceinte qu’il n’avait pas un instant quittée réellement…
Comme il ne disait rien, au bout d’un moment, l’infirmière obéissant sans doute à quelque impulsion programmée, tenta de relancer ce simulacre de conversation, en expliquant d’une voix mécanique que ces notes avaient également laissé perplexes les plus brillants experts.
« J’imagine, s’écria Martial soudain ulcéré par le manque de subtilité de la manœuvre, puisqu’elles ne veulent rien dire… Ce ne sont que des mots, agencés au hasard et le sens de la plupart d’entre d’eux m’est inconnu…Vous espériez sans doute, en me torturant le cerveau comme vous savez si bien le faire, que je livrerai des informations d’importance sur le mouvement d’opposition, auquel contre toute vraisemblance vous croyez que j’appartiens, et qui n’existe même pas… Mais apparemment mon pauvre cerveau ne manque pas de ressources ! Puisque je n’ai écrit que des stupidités dépourvues de sens, mais qui pouvaient encore donner l’illusion qu’elles en avaient un et vous faire bûcher un peu, en vain… Votre grande victoire, je dois l’admettre, est de m’avoir fait croire pendant un moment que j’étais un scribe d’un quelconque ministère, que ce que j’avais écrit était important pour le gouvernement, que je devais le comprendre et me l’expliquer à moi-même…Mais tout ça, tout ça c’est de la foutaise ! »

Martial criait, en faisant de grands gestes, comme s’il défiait une assemblée invisible, des puissances obscures et maléfiques ; et presque aussi soudainement qu’elle l’avait saisi, sa colère retomba… Haletant, il se sentit un peu honteux et ridicule, mais cela était sans importance. Il n’y avait jamais eu personne, ni infirmière, ni rien… Ce n’était qu’une grossière manipulation. Le lit à baldaquins avait disparu, comme le fantasme anachronique qu’il était. Il ne portait pas de beaux habits, même chiffonnés, il ne portait qu’une tenue de prisonnier… Il était bien dans une cellule, et il n’y avait rien d’autre qu’un seau d’aisance et un carnet, ainsi qu’un stylo, posés à même le sol, dans la poussière. Depuis combien de temps se trouvait-il dans l’enceinte ? Et pendant combien de temps encore devrait-il souffrir, avant qu’ils ne parviennent à le briser ?


                                                                        
                                                                               Frédéric Perrot 

dimanche 24 septembre 2017

épiphanie (accompagné d'un premier dessin d'Eric Doussin)

Epiphanie

À l’instant précis – 14 heures 37, indiquait son horloge murale – où les trois bombes nucléaires explosèrent au large, à un kilomètre environ de la luxueuse villa qu’il avait louée pour l’été, l’écrivain vieillissant nommé Raphaël de Valentin – ce n’était qu’un pseudonyme emprunté à une lecture de jeunesse et qu’il conservait pour des raisons sentimentales –, mettait justement un point final à la quatorzième version de ce qui devait être le plus fameux sonnet de toute son œuvre, « son couronnement », celui dans lequel en tous cas en quelques vers admirables, il avait condensé son expérience de la vie et qu’il avait titré, malgré son peu de goût pour les métaphores religieuses, Epiphanie… Il se leva péniblement et en grimaçant – car c’était cela la vieillesse, la monotonie de la douleur –, et par la vaste baie vitrée de la villa – « Vue imprenable sur l’ancienne mer Méditerranée ! », proclamait le prospectus publicitaire de l’agence –, il regarda les trois immenses champignons grisâtres s’élever dans le ciel d’un gris semblable. C’était terrible à dire, songea-t-il, mais le spectacle ne manquait ni de beauté, ni de poésie, comme une rapide vision de rêve… Les trois explosions simultanées provoquèrent une vague prodigieuse qui, à une vitesse non moins phénoménale, se dirigeait vers la côte et au moment où la baie vitrée vola en éclats, il eut juste le temps de se dire sans tristesse particulière, qu’il était parvenu à mettre un point final à son œuvre, même si c’était un peu tard…



vendredi 22 septembre 2017

ces banalités plus ou moins philosophiques...


« Chacun fait l’épreuve de voir disparaître ce qu’il aime, sans doute. C’est la règle et elle ne souffre pas d’exception durable. Si comblé que l’on soit par la vie, il faut à un moment ou à un autre se dessaisir de tout ce qu’elle vous a donné. Le temps qui passe, la mort qui vient exécutent la besogne. On le sait et on l’ignore. Si l’on y réfléchit, rien n’est plus étonnant que cette formidable faculté d’oubli que mobilisent mentalement tous les hommes afin d’ignorer ce qu’ils savent pourtant. Ils construisent des demeures et accumulent des biens, s’unissent et se reproduisent, constituant tous comme un petit empire à leur mesure qu’ils font prospérer autant qu’ils le peuvent et sur lequel ils se donnent l’illusion éphémère de régner. Mais il leur faudra  tout rendre au néant, dans lequel, à leur tour, ils disparaîtront enfin. Je n’exprime ces banalités plus ou moins philosophiques que parce qu’elles se trouvent systématiquement méconnues. L’existence l’exige, et c’est très bien ainsi, aucune conscience ne pouvant supporter la perspective, au fond assez terrible, dont je parle ici.» (Philippe Forest, Crue)

Philippe Forest est romancier, essayiste. Il a entre autres écrit une biographie de Louis Aragon.

A lire de Philippe Forest, un des plus importants écrivains français contemporains, selon moiL'enfant éternel (1997) et Tous les enfants sauf un (2007)

lundi 18 septembre 2017

Chercheurs d'échos (accompagné d'une encre d'Eric Doussin)

Chercheurs d’échos


Dans des systèmes éloignés
À des distances inconcevables
Ils cherchent des ombres et des échos
Sont en quête de la connaissance et de la beauté 

Font tant de découvertes déconcertantes
Des mondes prodigieux
Et des planètes géantes
Insoupçonnées

Donnent à l’imaginaire
De plus vastes horizons
Et des objets nouveaux
À notre réflexion

Sous la surface glacée d’Encelade
Sixième lune de Saturne
Aux mystérieux anneaux
Il semble qu’il y ait un océan




mercredi 6 septembre 2017

le rêve d'Icare (publié dans le numéro 18 de la revue Lichen, septembre 2017)


                                                               Fernando Zobel, Icare


Le rêve d’Icare

                        Pour Laurent,

« Pour un moderne, qui ne croit ni aux dieux ni au ciel, Icare est mort d’avoir oublié les sages conseils de son père, d’avoir été un fils au sens fort du terme ; et ses ailes brisées qui flottent à la surface ne sont que les émouvantes traces d’une révolte inutile.» 1
                                                                                    

Pour des raisons qui n’ont rien de frivole
L’homme envie l’oiseau

Et dans ses imaginations les plus folles
Ses rêves joyeusement il vole

Se désenglue décolle

Oh comme il est faux de dire
Qu’il aime le sol 

Ce qui accroche et s’enfonce
Les racines et les ronces !

« Avoir les pieds sur terre »
Est l’idéal médiocre par excellence

 « Descends de ton nuage » 
Ce qu’on nous a seriné toute l’enfance…

Or même un instant un enfant est comme Icare
Lui-même fils de Dédale

(Architecte de génie
C’est tout ce qu’on sait de lui :
Cette imposante filiation…)

Il regarde vers le haut !
Et durant toute sa vie

Aura la nostalgie
Des envols inaccomplis

De l’étoile
Et du ciel natal !



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1- Pour le plaisir de la citation fictive


pour aller voir la revue d'Elisée Bec 




samedi 2 septembre 2017