vendredi 29 septembre 2017

à l'isolement

À l’isolement

            « Nous sommes bien dans la caverne de Platon. Le problème, c’est que les films qu’on nous passe sont pourris. » (Philip K. Dick)


Martial se réveilla brutalement, dans une chambre qu’il ne reconnut pas. Il était tout habillé, allongé en travers d’un grand lit à baldaquins, qui lui parut anachronique et en contradiction avec le reste du mobilier qui était fonctionnel, comme celui de sa cellule. Il avait la tête lourde, comme s’il avait une sévère gueule de bois, mais la première chose dont il se rappela, était sa fonction. Il était scribe, scribe dans un ministère ou une administration, et son bureau où il écrivait des rapports pour le gouvernement, était couramment nommé entre collègues une cellule…
Sur une chaise d’une forme artistique étonnante et d’une couleur vive, il y avait une valise ouverte. Martial se leva pour en inspecter le contenu. Il n’y avait rien d’autre qu’un carnet, dont les premières pages se couvraient de phrases très courtes, apparemment indépendantes les unes des autres et qui lui semblèrent toutes dépourvues de sens. Il sourit à la pensée que l’on avait bien de l’argent à dépenser, dans son ministère ou son administration, si on le payait pour noter de telles inepties, car il lui semblait que c’était son écriture…
L’anachorète se méfie du tournesol. C’était la première phrase notée, et toutes les autres étaient de la même eau… Enigmatiques sans l’être vraiment et agaçantes pour la même raison, comme les effusions automatiques d’un poète de seconde zone, aveuglé par sa confiance absurde dans les mots… Mais le plus étonnant était qu’il n’avait aucun souvenir de les avoir notées et que lui-même se demandait ce qu’elles pouvaient signifier ; car c’était son écriture à coup sûr et s’il avait voulu crypter des informations importantes, afin qu’elles ne tombent pas entre les mains de l’ennemi, le code à présent lui manquait…
Anachorète était un clair archaïsme et il n’aurait pas juré du sens du mot ; quant au tournesol, il avait le sentiment que ce devait être une fleur de couleur jaune, par déduction sémantique. Il n’y avait plus aucun végétal depuis si longtemps... Il avait cependant l’impression d’avoir aperçu, dans son enfance, au bord d’une large route, des fleurs qui auraient pu se nommer tournesol ; il n’en était pas certain, ce n’était peut-être qu’un souvenir construit… Il sourit une nouvelle fois à la pensée qu’on ne le payait pas pour rien, puisqu’il était bien occupé à essayer de comprendre des traces manuscrites.
« Vos notes vous laissent perplexe ? »
Martial sursauta malgré lui.
Une femme se tenait à quelques pas de distance et le considérait avec une attention soucieuse. Toute son attitude traduisait un semblant d’intérêt maternel ou sororal parfaitement imité. Elle portait un uniforme d’un blanc impeccable. Ses cheveux raides étaient d’une blondeur irritante et il eut le sentiment d’être face à une infirmière…
Ou que du moins telle était l’idée, qu’on voulait lui donner de la fonction de cette femme, qui pour le reste n’était qu’un pur cliché d’un érotisme conventionnel, comme sorti d’un magazine pour hommes ; ce qui devait amoindrir ses capacités de réflexion en ajoutant à la scène une vague promiscuité d’ordre sexuel…
C’était toujours la même technique, on ne faisait aucun effort et Martial commençait enfin à comprendre où il était précisément… Il était revenu, ou plutôt il se trouvait toujours dans l’enceinte qu’il n’avait pas un instant quittée réellement…
Comme il ne disait rien, au bout d’un moment, l’infirmière obéissant sans doute à quelque impulsion programmée, tenta de relancer ce simulacre de conversation, en expliquant d’une voix mécanique que ces notes avaient également laissé perplexes les plus brillants experts.
« J’imagine, s’écria Martial soudain ulcéré par le manque de subtilité de la manœuvre, puisqu’elles ne veulent rien dire… Ce ne sont que des mots, agencés au hasard et le sens de la plupart d’entre d’eux m’est inconnu…Vous espériez sans doute, en me torturant le cerveau comme vous savez si bien le faire, que je livrerai des informations d’importance sur le mouvement d’opposition, auquel contre toute vraisemblance vous croyez que j’appartiens, et qui n’existe même pas… Mais apparemment mon pauvre cerveau ne manque pas de ressources ! Puisque je n’ai écrit que des stupidités dépourvues de sens, mais qui pouvaient encore donner l’illusion qu’elles en avaient un et vous faire bûcher un peu, en vain… Votre grande victoire, je dois l’admettre, est de m’avoir fait croire pendant un moment que j’étais un scribe d’un quelconque ministère, que ce que j’avais écrit était important pour le gouvernement, que je devais le comprendre et me l’expliquer à moi-même…Mais tout ça, tout ça c’est de la foutaise ! »

Martial criait, en faisant de grands gestes, comme s’il défiait une assemblée invisible, des puissances obscures et maléfiques ; et presque aussi soudainement qu’elle l’avait saisi, sa colère retomba… Haletant, il se sentit un peu honteux et ridicule, mais cela était sans importance. Il n’y avait jamais eu personne, ni infirmière, ni rien… Ce n’était qu’une grossière manipulation. Le lit à baldaquins avait disparu, comme le fantasme anachronique qu’il était. Il ne portait pas de beaux habits, même chiffonnés, il ne portait qu’une tenue de prisonnier… Il était bien dans une cellule, et il n’y avait rien d’autre qu’un seau d’aisance et un carnet, ainsi qu’un stylo, posés à même le sol, dans la poussière. Depuis combien de temps se trouvait-il dans l’enceinte ? Et pendant combien de temps encore devrait-il souffrir, avant qu’ils ne parviennent à le briser ?


                                                                        
                                                                               Frédéric Perrot 

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