mardi 30 janvier 2024

Arthur Rimbaud, Le Mal

 

Tandis que les crachats rouges de la mitraille

Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu ;

Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,

Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

 

Tandis qu’une folie épouvantable, broie

Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ;

– Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,

Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !.. –

 

– Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées

Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ;

Qui dans le bercement des hosannah s’endort,

 

Et se réveille, quand des mères, ramassées

Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,

Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

 


                                  Octobre 1870

mardi 23 janvier 2024

Suede, She still leads me on (pour Valentine)


 

Listen...
Sometimes just
When I think of other things
Other things
Think about...
I still

When I think of all the things my mother said
When I think of all the feelings I hid from her
Oh, in many, many ways, I’m still a young boy
Waiting patiently for 4 p.m.

But I loved her with my last breath
And I loved her with a love that was strong as death
And I loved her when she was unkind
And I loved her, I loved her, a dangerous mind

Sometimes when I look up at the sky
She leads me on, she still leads me on
Sometimes when I stare up at the ceiling
She leads me on, she still leads me on

I wonder if her touch will ever fade
Is she waiting in the garden for us to play
Yes, in many many ways I’m still a young boy
With all those questions in my petrol-blue eye

But I loved her with my last breath
And I loved her with a love that was strong as death
And I loved her when she was unkind
And I loved her, I loved her, with a dangerous mind

Sometimes when I look up at the sky
She leads me on, she still leads me on
Sometimes, oh, when I just feel like screaming
She leads me on, she still leads me on

Sometimes when I don’t know what is mine
She leads me on, she still leads me on
Sometimes when I can’t control my feelings
She leads me on, she still leads me on

One, two
Sometimes when I look up at the sky
She leads me on, she still leads me on

 

Pour écouter la chanson de Suede :

https://youtu.be/KHJd1Z1G3M4?si=f-C6LwPPS_7IMM4_

samedi 20 janvier 2024

Bolloré n'est pas mon ami (pour Mathieu)

 

Bolloré n’est pas mon ami.

Désolé, j’ai déjà donné :

Franchement la famille,

Qui ne sait que c’est la cellule,

Où tout se prépare ?

 

Bolloré n’est pas mon ami.

Je ne vais pas à la messe,

Le dimanche, je m’ennuie,

Et j’en oublie même de maudire

Les Maures, je veux dire les Arabes,

Qui sont trop nombreux,

Et viennent nous voler, car c’est dans leurs gènes,

Comme le disent sans gêne

Christine Kelly ou Élisabeth Lévy :

Je les confonds un peu toutes les deux !

 

Bolloré n’est pas mon ami,

Zemmour son trublion non plus.

Comme commissaire politique,

Pascal Praud n’est pas très crédible :

Déjà sur le foot, mais j’ai mauvais esprit !

 

Bolloré n’est pas mon ami,  

Tant je sais que pour ses sbires,

J’ai tous les défauts, tous les vices :

Fonctionnaire, paresseux, cultureux,

De gauche, me voilà ennemi !

 

Bolloré n’est pas mon ami,

Tant je sais que c’est une ordure,

Qui s’enrichit en Afrique

Dans des trucs sales et moches :

La rime comme tout finit dans sa poche !

 

Bolloré n’est pas mon ami,

Tant la société qu’il désire

Est à peu près mon cauchemar :

Travail, famille, patrie, Dieu, ordre, sécurité –

Pardonnez-moi, j’étais parti vomir !



                                    Frédéric Perrot

 

vendredi 19 janvier 2024

Crayon noir (Samuel Paty, histoire d'un prof)

 


                            « Raconter, c’est empêcher que la mort ait le dernier mot. »

                                                                              Yannick Haenel

 

Quatrième de couverture :

 

       Dans l’après-midi du 16 octobre 2020, Samuel Paty est assassiné par un islamiste tchétchène. Il venait d’avoir 47 ans. Il était père d’un petit garçon.

Samuel Paty aimait la musique, le rock des années 80, surtout Sigur Ros, U2, Goran Bregovic, Pink Floyd et Apocalyptica.

Il était passionné d’histoire, appréciait la poésie, lisait Baudelaire, Balzac, Maupassant, Zola, Flaubert et Julien Green. Il jouait souvent aux échecs. Au tennis et au ping-pong aussi. Dans la salle des professeurs, il déambulait avec sa tasse « Star Wars » à la main.

Ses élèves l’appréciaient pour son enseignement… et pour ses blagues consignées dans un carnet jamais loin de son cahier de classe.

Un jour, il avait dit à une ancienne élève : « Je voudrais que ma vie et ma mort servent à quelque chose. »


mardi 16 janvier 2024

Colloque sentimental (un poème de Paul Verlaine)


 

Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux formes ont tout à l’heure passé.
 
Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles,
Et l’on entend à peine leurs paroles.
 
Dans le vieux parc solitaire et glacé,
Deux spectres ont évoqué le passé.
 
        Te souvient-il de notre extase ancienne ?
        Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ?
 
        Ton cœur bat-il toujours à mon seul nom ?
Toujours vois-tu mon âme en rêve ? – Non.
 
        Ah ! les beaux jours de bonheur indicible
Où nous joignions nos bouches ! – C’est possible.
 
        Qu’il était bleu, le ciel, et grand, l’espoir !
        L’espoir a fui, vaincu, vers le ciel noir.
 
Tels ils marchaient dans les avoines folles,
Et la nuit seule entendit leurs paroles.


lundi 15 janvier 2024

Une fin légère

 

L’esprit clair, rêve l’utopie,

Au lieu de simplement consigner le désastre,

 

Qui est si évident,

Que tirer à la ligne est un brin indécent. 

 

Je suis bien informé,

J’ai compris la leçon :

 

Récite ta prière en attendant la fin,

 

Voilà ce qu’on me dit

De toutes les façons.

 

Renonce, à genoux, tais-toi, c’est la loi du Nombre :

Inégal combat !

 

Ils ont raison, j’ai tort

Mais ne m’en soucie pas.

 

Je tombe le masque : je suis futile,

Inconséquent, et je veux une fin légère…

 

 

Le poème appartient à mon nouveau recueil, Dans les marges du temps. Frédéric Perrot.


mardi 9 janvier 2024

Nietzsche contre le Surhomme : un extrait d'Aurore


 

49. Le nouveau sentiment fondamental :
Nous sommes définitivement éphémères.

    
    Autrefois on cherchait à se donner le sentiment de la majesté de l’homme en invoquant son origine divine : c’est devenu aujourd’hui une voie interdite, car sur le seuil se dresse le singe, entouré d’un bestiaire à faire peur : compréhensif, il grince des dents comme pour dire : par là vous n’irez pas plus loin ! On fait donc maintenant des tentatives en direction opposée : le chemin où s’engage l’humanité doit servir à prouver sa majesté et sa filiation divine. Hélas, de nouveau l’effort est vain ! Au bout de cette route se dresse l’urne funéraire du dernier homme, du fossoyeur (portant l’inscription : nihil humani a me alienum puto). Aussi haut que son évolution puisse porter l’humanité – et peut-être se retrouvera-t-elle à la fin plus bas qu’au commencement ! – elle ne peut accéder à un ordre supérieur, pas plus que la fourmi et le perce-oreille ne s’élèvent, au terme de leur « carrière terrestre », à la filiation divine et à l’éternité. Le devenir traîne à sa suite l’avoir été : pourquoi ferait-il dans ce spectacle éternel une exception en faveur d’une vague planète, et ensuite de la vague espèce qui l’habite ! Assez de ce genre de sentimentalité !


    On résume souvent la pensée de Nietzsche à deux mythes : celui de « l’éternel retour » et celui du « surhomme ». Or, comme le remarquait Maurice Blanchot dans L’écriture du désastre, ce paragraphe d’Aurore constitue un net démenti du second : « Nous sommes définitivement éphémères » et l’humanité « ne peut accéder à un ordre supérieur ». Frédéric Perrot

nihil humani a me alienum puto : « je considère que rien d’humain ne m’est étranger », Térence.

Nietzsche, Aurore, Pensées sur les préjugés moraux
Traduction de l’allemand : Julien Hervier

samedi 6 janvier 2024

Mathieu Jung, The Doors, L.A. Woman

 



Pour moi, qui n’ai jamais prétendu être un spécialiste ou un fan des Doors, leur préférant les Velvet Underground ou les Stones (Let it bleed), le précieux petit ouvrage de Mathieu Jung permet de remettre quelques pendules à l’heure. Selon le principe de la belle collection Discogonie des éditions Densité, Mathieu Jung se concentre principalement sur un seul album du groupe, à savoir leur dernier disque avec Jim Morrison, L.A. Woman (1971), dans lequel il refuse de voir « un opus testamentaire », mais tout simplement « un grand album de rock ». C’est d’ailleurs tout le mérite du livre de Mathieu Jung que de ne jamais verser dans une mythologie un peu poisseuse et parfois franchement abjecte, celle qui entoure les icônes du rock trop vite disparues : Ian Curtis, Kurt Cobain, la liste serait longue… Mathieu Jung ne dissocie pas Jim Morrison des trois autres musiciens qu’il présente à tour de rôle dans la première partie de l’ouvrage, et rappelle à plusieurs reprises que s’il y a une « alchimie » des Doors, elle est celle d’un groupe et non celle d’un « poète » accompagné par une sorte d’orchestre ! Il faut donc considérer chaque album des Doors comme une œuvre collective et j’ai ainsi appris que les paroles n’étaient pas toutes signées Jim Morrison, ce que je croyais un peu naïvement. Cela est particulièrement vrai de L.A. Woman qui, après quelques disques décevants, sonne comme un retour aux sources : le blues – une obsession pour Jim Morrison –, le jazz et une brutalité rock tout à fait réjouissante. Dans la seconde partie de l’ouvrage, toujours selon le principe de la collection, Mathieu Jung présente et analyse chaque morceau de l’album. Pour les fans et les néophytes dans mon genre, c’est une mine d’informations précises et éclairantes : dates et conditions d’enregistrement, instruments utilisés, etc. Si chaque morceau est décortiqué comme il se doit, c’est un fait que L.A. Woman est un album sans moments faibles, les pages les plus remarquables sont bien sûr consacrées aux deux morceaux emblématiques : ce pur condensé d’énergie rock déglingué qu’est la chanson éponyme – L.A. Woman – et le merveilleux et mystérieux Riders on the Storm, que l’on peut tenir pour le chef-d’œuvre du groupe. Cela pourra sembler futile, mais il est à noter que le livre de Mathieu Jung est fort bien écrit : cela se dévore, tout y est clair, documenté – sans ce côté fastidieux que peut avoir l’érudition – et précis, cette précision que Paul Valéry tenait pour une qualité cardinale d’un écrivain. Et bien sûr, à peine le livre refermé, preuve de sa réussite, le premier mouvement de tout lecteur un brin mélomane sera de réécouter aussitôt, en sirotant peut-être un verre de whisky, ce grand album de rock qu’est L.A. Woman !

                                                                                                                                                                               Frédéric Perrot


Mathieu Jung, The Doors L.A. Woman

Éditions Densité


Extrait (p.54-55) 

    Lorsqu’on découvre « The Changeling », on est surpris sinon heurté. D’emblée, dès les premières notes de ce morceau, L.A. Woman se veut différent des albums qui l’ont précédé. L’attaque efficace de la batterie de John Densmore tire brutalement « The Changeling » du silence, tandis qu’un glissando assez agressif effectué au Hammond par Ray Manzarek – semblable à des coups de poignard –, la basse bien marquée de Jerry Scheff ainsi que les beuglements de de Jim Morrison nous emportent dans un espace surprenant, que vient ponctuer une guitare assez surprenante, aux accents funky. Le morceau doit en effet beaucoup à la guitare du « Say It Loud – I’m Black and I’m Proud » de James Brown, comme le reconnaît Robby Krieger. On aperçoit d’ailleurs un exemplaire du Live at the Apollo (1963) posé au sommet d’un des claviers de Manzarek sur une des photos prises par Frank Lisciandro lors de l’enregistrement de L.A. Woman, qui fut en quelque sorte placé sous l’égide de Mister Dynamite. Une autre influence à ce morceau semble être le « Tramp » de Lowell Fulson (1966).

 « Notre œuvre, nos performances sont des tentatives de métamorphose », expliquait un jour Morrison à un journaliste. L.A. Woman peut justement être perçu comme l’album de tous les changements.


Pour écouter « The Changeling » :

https://youtu.be/qtN8UPjN5WU?si=1dpFKBTls6yrbW6m