lundi 30 décembre 2024

Sans lendemain (avec un dessin de Valentine)

 

Dessin de Valentine


Autrefois ne m’est rien

Tout hier m’indiffère

Mes regrets sont sans lendemain

 

Je bataille dans un présent informe

Que mes nuits font mine

De rendre discontinu

 

Inutilement je lutte et me débats

Empêtré dans un filet sordide

Pour philosophe 

En tirer quelques considérations

Sur le vide

 

                   15 novembre 2024

 

 

                                                Frédéric Perrot


dimanche 29 décembre 2024

Le 14 décembre 1979, sortait London Calling de The Clash

 


Pour écouter The Guns of Brixton :


https://youtu.be/JcW8VNwYvL0?si=SBwt8d_A-5YnHn0e


Charles Baudelaire, L’Étranger

 

 « Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?

  – Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.

  – Tes amis ?

  – Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu.

  – Ta patrie ?

  – J’ignore sous quelle latitude elle est située.

  – La beauté ?

  – Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.

  – L’or ?

  – Je le hais comme vous haïssez Dieu.

  – Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?

  – J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages ! »


jeudi 19 décembre 2024

Nick Cave and the Bad Seeds, The Hammer Song

 


I set out on Monday

The night was cold and vast

And my brother slept

And though I left quite quietly

My father raged and raged

And my mother wept

 

Now, my life was like a river

All sucked into the ground

And then the hammer came down

Lord, the hammer came down

 

Many miles did I roam

Through the ice and through the snow

My horse died on the seventh day

 

I stumbled into a city

Where people tried to kill me

And I ran in shame

Then I came upon a river  

And I laid my saddle down

And then the hammer came down

Lord, the hammer came down

It knocked me to the ground

And I said, « Please, please

Take me back to my old town »

Lord, the hammer came down

 

Now I’ve been made weak by visions

Many visions did I see

All through the night

 

On the seventh hour an angel came

With many snakes in all his hands

And I fled in fright

 

I pushed off into the water

And the water came around

And then the hammer came around

Lord, the hammer came down

And it did not make a sound

And I said, « Please, please

Take me back to my home ground »

Lord, the hammer came down

 


Pour écouter la chanson de Nick Cave and the Bad Seeds :


https://youtu.be/i4qDTpjYPUE?si=THSYmxWnWaxQPYFX


mercredi 18 décembre 2024

Henri Michaux, Emportez-moi

 



Emportez-moi dans une caravelle,

Dans une vieille et douce caravelle,

Dans l’étrave, ou si l’on veut, dans l’écume,

Et perdez-moi, au loin, au loin.

 

Dans l’attelage d’un autre âge.

Dans le velours trompeur de la neige.

Dans l’haleine de quelques chiens réunis.

Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.

 

Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,

Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,

Sur les tapis des paumes et leur sourire,

Dans les corridors des os longs et des articulations.

 

Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.


mardi 17 décembre 2024

Le secret éventé


    « Votre secret n’en est plus un pour personne. Que puis-je y faire ? Vous auriez dû mieux le protéger, maintenant il est éventé, volette dans les airs, comme un oiseau : on ne le reverra plus d’ici longtemps. Que puis-je y faire ? Je vous avais conseillé de l’entourer de paravents plus hauts et même de le mettre sous cloche.
    C’était votre secret après tout, vous auriez dû y prendre garde. Vous auriez dû tout autour de lui élever des trompe-l’œil, des obstacles, des barrières. Vous auriez dû le cacher et le reléguer dans les loges les plus lointaines de votre théâtre intime. C’était votre secret après tout, vous n’aviez rien de plus précieux…
    Je n’ai pas de leçon à vous donner, j’ai même de la sympathie pour vous comme pour un frère de déchéance : à plusieurs reprises mon âme entière est tombée dans le domaine public…
    Mais vous comprendrez sans peine qu’avec ce que je sais et dont tout le monde parle, dorénavant je ne puis plus vous fréquenter. Ne cherchez plus jamais à me joindre : vous n’existez plus pour moi. »
 

                                                                 Frédéric Perrot

lundi 16 décembre 2024

Arthur Rimbaud, Chanson de la plus haute tour

 

Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.

Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête
Auguste retraite.

J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.

Ainsi la Prairie
À l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.

Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?

Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent !




                                            Mai 1872
 

dimanche 8 décembre 2024

Ingeborg Bachmann, Le temps en sursis

 



Des jours plus durs viennent.

Le temps en sursis révocable

devient visible à l’horizon.

Tu devras bientôt lacer ta chaussure

et renvoyer les chiens dans les fermes du littoral.

Car les entrailles des poissons

ont refroidi dans le vent.

La lumière des lupins brûle chichement.

Ton regard trace dans le brouillard :

le temps en sursis révocable

devient visible à l’horizon.

 

Ta bien-aimée de l’autre côté s’enfonce dans le sable,

il monte autour de ses cheveux flottants,

il lui coupe la parole,

il lui enjoint de se taire,

il la trouve mortelle

et disposée à l’adieu

après chaque étreinte. 

 

Ne regarde pas en arrière.

Lace ta chaussure.

Renvoie les chiens.

Jette les poissons à la mer.

Eteins les lupins !

 

Des jours plus durs viennent.

 

 

 

Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes

Edition, introduction et traduction de l’allemand par Françoise Rétif.