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Charlie Hebdo - 31 mai 2023 |
le bel de mai
mardi 6 juin 2023
samedi 3 juin 2023
Jean-Louis Murat, Au Mont Sans-Souci (pour Arthur)
Les enfants forment une ronde
Les monos sont jolies
Allez suer belles têtes blondes
Aux Thermes de Choussy
Allez soigner à l’arsenic
Vos souffles affaiblis
L’air est si doux dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci
Dieu les enfants aiment la sieste
- D’eau tout étourdis -
Les filles de Cadet Roussel
Pendant ce répit
Venaient pour une heure à peine
Voir les gars du pays
Venaient chanter dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci
J’en pinçais pour une infirmière
Une brune plutôt jolie
Je suivais comme Davy Crockett
Son large parapluie
Au Ciné Vox elle m’emmenait
Voir un Guitar Johnny
Je n’avais qu'une idée en tête
Le Mont Sans-Souci
J’aimais déjà dire je t’aime
Je t’aime je lui dis
Je savais que dans une semaine
Elle serait loin d’ici
Tous ces amours de courte haleine
Embellissaient nos vies
D’un éclat mauve de bruyère
Au Mont Sans-Souci
Les baisers le doux manège
Viens donc je te suis
Sauras-tu tenir ta promesse
Et m’aimer cette nuit
Quand s’entrouvraient à la lumière
Les Portes du Paradis
J’aurais passé ma vie entière
Au Mont Sans-Souci
Herbe têtue rouge calèche
Toboggans rentrés
Le temps est long qui nous ramène
Les filles avec l’été
Quand l’éclat mauve délétère
N'éclaire plus ma vie
Je vais dormir dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci.
Je ne connaissais pas cette chanson de Jean-Louis Murat,
qui en a tant écrit, avant de lire cette semaine le bel article hommage de
Yannick Haenel dans Charlie Hebdo, « Dormir dans la bruyère ». Un ami
m’a appris que la chanson parlait assez précisément, outre l’évocation
merveilleuse de l’esprit d’enfance, de la Bourboule en Auvergne et de ses cures
thermales pour les personnes dont les enfants, souffrant d’asthme. Frédéric Perrot
Pour écouter la chanson : https://youtu.be/CP0Q4XKxVNY
jeudi 1 juin 2023
Rouge nocturne
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Odilon Redon, Les Yeux clos, 1890 |
Dans
une baignoire, une femme morte. De dos, un homme au téléphone. Son crâne lisse
comme un miroir paraît briller dans le halo jaune pisseux d’une ampoule qui
pend à un fil au-dessus de lui. Un chien, gras cerbère étalé dans la poussière,
grogne et aboie. La cause de cette soudaine effusion sonore est le furet que
tient en laisse une paire de jambes montées sur de hauts talons rouges. Le
reste de la femme ne s’aperçoit pas, dissimulé par un tableau de très grand
format que promènent de droite à gauche deux déménageurs selon un va-et-vient
hasardeux. L’immense toile est un dégueulis de couleurs sans vocation
figurative. Près de la baignoire, dans laquelle repose la pauvre Ophélie, ce
n’est pas drôle, elle semble être morte d’une mort bêtement naturelle, deux
hommes nus exécutent des mouvements de danse compliqués et prétentieux, tels
qu’on peut en voir sur toutes les scènes du monde civilisé. Leurs corps musclés
rivalisent de ténacité et ils roulent des yeux effarés, comme s’ils avaient vu
quelque chose, là-bas, au loin. L’un est néanmoins visiblement plus ému que
l’autre : avec de petits soupirs de plaisir et de douleur mêlés, il
éjacule du sang, à jets continus. La paire de jambes doit retenir le furet de
s’approcher de cette alléchante flaque et de derrière la toile, s’entendent des
cris perçants et agacés : « Mon bichon, c’est sale, c’est très,
très sale… ». Pas sots, les deux déménageurs en profitent pour déposer
l’inepte gribouillis et faire une pause. L’un s’allume un imposant cigare,
tandis que l’autre entonne une romance où par tradition il est question
d’amours anciennes et de longs adieux. Cette scie musicale apparemment gêne
l’homme au téléphone, qui se retourne. Horrible vision ! Au milieu de sa face
cadavérique, ses orbites sont deux trous sans fond, comme sa bouche, d’où, à
défaut de mots, s’échappe un court souffle propre à donner l’idée d’une haleine
fétide. Ce mouvement par lequel il s’est retourné paraît avoir épuisé ses
ultimes efforts pour se donner une contenance et l’homme tombe en poussière sur
le sol comme une vieille momie. « Mon mari, mon pauvre mari ! Lui qui
tenait tant à hisser la voile ! », crie la voix agaçante derrière la
toile. Dans un coin, à grands coups de dents, le furet farfouille dans la chair
du chien, jusqu’à s’y enfoncer tout entier, dans une large gerbe de sang. Comme
le spectateur qui en a assez d’être pris pour un imbécile par ce qu’il voit se
dresse d’un coup de son fauteuil inconfortable et se précipite vers la sortie, je me détourne enfin de ce brillant spectacle.
Frédéric
Perrot
mardi 30 mai 2023
Sur Excursions poétiques de Marie-Anne Bruch
« Paris change !
mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé ! palais neufs,
échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout
pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs
sont plus lourds que des rocs.»
Charles Baudelaire
Le
nouveau livre de Marie-Anne Bruch, Excursions poétiques, semble
s’inscrire dans une tradition clairement identifiée, presque un genre
littéraire en soi : l’errance parisienne.
Inauguré
sans doute par les personnages de Balzac, Baudelaire, qui plus qu’un autre a mis
Paris sur la carte du monde poétique. Poursuivi au vingtième siècle par Rilke, Céline,
Aragon, les dérives situationnistes, jusqu’aux déambulations somnambuliques des
personnages de Modiano.
Hélas,
si on peut dire, Marie-Anne Bruch nous décrit le Paris des années 2020 et le
tableau est très ressemblant. Ce qui domine, c’est le mouvement perpétuel, le
grouillement presque insensé et le bruit… Pour la plaisanterie, le vieux
Voltaire se plaignait déjà, au dix-huitième siècle, que Paris fût une ville si populeuse
et bruyante !
Marie-Anne
Bruch au fil des textes courts qui composent Excursions poétiques, traduit
bien l’épaisseur de son dans laquelle l’individu contemporain flotte
sans en avoir conscience. Une douce musique vous accompagne toujours, ainsi que
les bruits ordinaires, assourdissants, du « trafic automobile »,
du « métro aérien » et des travaux publics. Chansons pop,
rythmes techno, airs de bossa vous invitent à penser que vous vivez dans le
meilleur des mondes ! Ce bruit continuel, ininterrompu enveloppe une
grande laideur publicitaire aux couleurs criardes. Celle du tourisme
international… Tout le monde se presse à Paris, pour y déambuler sans rien
voir.
Marie-Anne
Bruch au contraire fait figure de passante « contemplative »,
qui s’attarde et regarde, quitte à passer pour une personne un peu louche aux
yeux de ses contemporains plus pressés. Elle le répète à plusieurs reprises.
Ce
qui est très intéressant, outre l’envahissement de l’espace public par le
téléphone portable, signe des temps et changement presque anthropologique comme
diraient les pédants, c’est que les véritables parisiens, ceux qui habitent
Paris, ont l’air sous la plume de Marie-Anne Bruch, bien « fatigués »,
mornes, déprimés, une masse aveugle qui ne croit plus depuis longtemps à la
fête obligatoire… D’ailleurs, même les touristes ont l’air de se demander ce
qu’ils font là :
« Il
est possible que cette place soit dédiée à la gaîté mais le visage des passants
n’a rien de réjouissant, qu’ils farfouillent au fond de leur porte-monnaie
dépressif, qu’ils soient affublés d’écouteurs rutilants, de sacs à dos obèses
ou qu’ils fassent rouler leurs valises d’une main malhabile. Tous ces candidats
au voyage et autres tireurs de bagages paraissent à la fois sur le départ, sur
le retour et sur le point de ne pas y arriver. Devant la terrasse où je me
trouve se dresse un kiosque à journaux, où des cartes postales panoramiques et
diverses babioles et colifichets pour touristes étrangers – grands amateurs de
Tour Eiffel – brillent en vain. »
Ceci
dit, passée cette impression de détachement ironique face à la comédie débraillée
du monde, on comprend que cette errance à travers différents lieux de Paris a
une importance existentielle pour l’auteur… Se laissant emporter par « le torrent
de la mémoire », l’auteur est à la recherche d’elle-même et les lieux
où Marie-Anne Bruch retourne ne sont pas indifférents : ce sont
ceux de son enfance, de son adolescence tourmentée, de ses premières amours, de
ses démarches infructueuses dans le monde professionnel. Il y a même des
endroits de Paris où elle se force à aller pour se confirmer qu’elle avait bien
raison de les détester. Déjà à l’époque !
C’est
l’heure des bilans, et ils ne sont pas tous négatifs, loin de là… Même si l’auteur doit bien constater que sa
ville, Paris, est devenue quelque chose qu’elle ne comprend plus vraiment, qu’elle-même
a changé, que du seul fait de son âge et de son vécu elle se sent un peu étrangère au monde
qui l’entoure, elle reste fidèle à certains de ses refus et à son goût
pour la beauté, d’une architecture ou d’un jardin.
Frédéric
Perrot
Marie-Anne Bruch, Excursions poétiques
Z4 éditions
dimanche 28 mai 2023
C'est pas encore ce matin
En hommage à Hervé Prudon (1950-2017)
C’est pas encore ce matin
Que je vais me lancer
Dans l’œuvre d’une vie
J’ai mal à la tête
Ayant vidé avec entrain
Une bouteille de Bordeaux
En écoutant la musique triste
D’un chanteur mort d’un coup le salaud
J’avais déjà pas le moral
Le deuil pour horizon
Je suis le ténébreux le veuf l’inconsolé
On connaît la chanson
El desdichado c’est pas la vie de château !
Bref, c’est pas encore ce matin
Que je vais me lancer
Dans le roman d’une vie
J’ai mal à la tête
Première cigarette
La mort ça s’attrape
Mais t’inquiète mon amour
C’est pas contagieux
Je dis mon amour
Mais c’est pour la forme
Et la ritournelle
Je parle tout seul depuis des lustres
Y a jamais personne ici
La dernière femme à être venue
Illico est repartie
Effrayée par mes espoirs
Mes cathédrales de brumes
Mes châteaux en Espagne !
Passons puisque tout passe
C’est pas encore ce matin
Que je vais me lancer
Dans l’œuvre d’une vie
Comme d’habitude
Je vais faire le seul truc
Que je sais à peu près faire
Et aime bien faire
Lire les bouquins des autres
Nadine Mouque d’Hervé Prudon
Un poète
Un remède
Au bourdon
Frédéric
Perrot
jeudi 25 mai 2023
En position tenace, sur la route du ciel... Jean-Louis Murat (1952-2023)
Publications sur Jean-Louis Murat :
https://beldemai.blogspot.com/2022/02/leonard-cohen-avalanche-traduction-et.html
https://beldemai.blogspot.com/2017/11/en-position-tenace-sur-la-route-du-ciel.html
https://beldemai.blogspot.com/2020/04/ange-plein-de-sante-connaissez-vous-les.html
https://beldemai.blogspot.com/2021/02/jean-louis-murat-portrait-par-vittorio.html
mardi 23 mai 2023
Guillaume Apollinaire, Le pont Mirabeau (pour Adeline)
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Maximilien Luce, Le Quai Saint-Michel et Notre-Dame (1901) |
Sous le pont Mirabeau
coule la Seine
Et nos
amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que
sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en
va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps
passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure