mardi 28 novembre 2023

Trouble Déficit de l'Attention, avec ou sans Hyperactivité (texte de Michel Meyer)


 

Je suis allé voir un spectacle récemment, c’était un spectacle bavard, un bon spectacle, mais je n’ai pas tout suivi, j’ai eu de grands blancs. J’ai demandé à S. si elle avait tout suivi. Oui, elle avait tout suivi. Et j’ai à nouveau vérifié mon TDAH. Mais ce nest pas qu’un TDAH, c’est aussi et surtout un dialogue. J’enregistre des informations, coupe la vanne, digère, produis un discours pour moi-même, retourne aux informations. Mais il y a une coupure, il y a toujours une coupure, un moment de saturation, où ça coupe. Les gens parlent mais on n’entend plus rien, on voit qu’ils ouvrent la bouche, que leur visage est traversé de grimaces, on sent bien qu’ils disent des choses, mais c’est dans le vide, il n’y a plus personne pour écouter.

 

Je me disais que le spectacle était trop dense, saturé d’informations, indigeste, que c’était comme le monde contemporain, qu’on n’y comprenait rien, que tout le monde parlait à tort et à travers, mais aussi ma capacité d’écoute est limitée. J’ai noté, par ailleurs, la grande capacité d’écoute de certaines personnes, c’est très étonnant.

 

Ma capacité d’écoute à moi est variable, mais globalement courte, et je suis souvent obligé de faire répéter les gens. C’est énervant, mais ils le font quand même, et je leur en sais gré. Parfois, au moment de la répétition, je suis encore en train de penser à autre chose, de digérer autre chose, et là, généralement, je hoche la tête, j’ajoute même « ah oui, ok », parce qu’il faut que ça avance, même n’importe comment.

 

 

Autre texte de Michel sur le blog

 

Dans la forêt du coin :

https://beldemai.blogspot.com/2021/07/dans-la-foret-du-coin-poeme-de-michel.html


lundi 27 novembre 2023

Waterloo (avec un dessin d'Eric Doussin)

Eric Doussin, Waterloo

 

Nous n’avons aucun goût

Pour la pacotille bonapartiste et les militaires

 

La soldatesque est une passion française

Mille ans de guerre cela devrait forger un caractère

 

Il n’en demeure pas moins que si la France est une épave

– Hypothèse d’école ! –

Nous serons les derniers à le déplorer

 

La grandeur des nations est une niaiserie 

Dont témoignent les cimetières

 

Nous n’avons aucun goût

Pour les batailles et les gesticulations de cloportes

D’hommes mourant dans la boue

 

Mais non sans plaisir

Nous saluons le souvenir de l’Anglais Wellington

 

Tant nous tenons le 18 juin 1815

Pour l’une des dates les plus éclatantes

De l’Histoire de France !

 

…………………

 

A l’occasion de la sortie du film de Ridley Scott, dont je préfère me souvenir qu’il est le réalisateur de l’immense Blade Runner, je republie ce poème écrit en 2015. Frédéric Perrot

dimanche 26 novembre 2023

Arthur Rimbaud, Matin (Une saison en enfer)

 

N’eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d’or, – trop de chance ! Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mérité ma faiblesse actuelle ? Vous qui prétendez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m’expliquer que le mendiant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler !

Pourtant, aujourd’hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C’était bien l’enfer ; l’ancien, celui dont le fils de l’homme ouvrit les portes.

Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l’étoile d’argent, toujours, sans que s’émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le cœur, l’âme, l’esprit. Quand irons-nous, par-delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer – les premiers ! – Noël sur la terre !

Le chant des cieux, la marche des peuples ! Esclaves, ne maudissons pas la vie.  


samedi 25 novembre 2023

Aurore (un poème d'Olivier Saint-Eve)

Hambourg
 

La sueur et le café

Percolés, expectorés

Pour chevaucher la montre jusqu’à la matinée

Encore et encore la draguer

 

Humer, deviner l’espoir

Une heure, une minute en plus à avoir

Feu, qui embrase tout de noir

Ah, douce promesse de la revoir

 

Corps à corps, joute amicale

Je descends, remonte, détruis ton piédestal

T’idolâtre comme une vestale

Puis te prends comme un animal

 

Insomnie : trop tard, ils me fuient

(Souvenirs, toi) ; et puis quoi ?

A la recherche, tel un oiseau de proie

Mais … le travail n’attend pas.

 

vendredi 17 novembre 2023

Lambeaux incertains (pour Valentine)

Hambourg, à l'Aquarium

 

Il s’en prend à sa vie, comme un sculpteur mécontent : à petits coups de marteau précis.

 

D’un thème éculé – Combien nous fatiguent avec leur enfance…

 

Le temps essore les souvenirs. La mémoire est la plus vacillante des facultés.

 

Le désir n’est pas un oiseau fabuleux qui renaît de ses cendres.

 

La mort est lente à venir et nous n’avons pas de mots pour le malheur. Nous n’en avons pas plus pour le bonheur. La plupart du temps, nous n’avons de mots pour rien.

 

La croyance au progrès de l’esprit humain est une croyance assez niaise. Nous sommes certes parvenus à préciser l’âge de l’Univers ; mais nous ne savons guère mieux que nos ancêtres que faire et comment occuper les heures creuses de l’existence !

 

À l’agonie, ce mécréant aurait dit : « Je veux bien admettre l’idée d’un paradis, mais à condition que l’on puisse s’y ennuyer… »

 

Contre les religions – Rien que vos tapis de prière nous embarrassent. Nous avons une autre idée de l’homme : nous préférons les hommes debout.

 

Toutes les religions – Les bouddhistes que l’on nous présente souvent comme de gentils niais inoffensifs dont il faudrait admirer la sagesse, sont comme tous les autres parfaitement capables de perpétrer des massacres.

 

On vit malgré ce que l’on sait et l’on meurt en emportant le peu que l’on aura compris.

 

Oubli est le nom plus doux que nous donnons au néant.

 

Contre le ressentiment et la tentation des paroles haineuses. La haine n’a pas besoin de toi pour se bien porter.  

 

On n’est pas artiste quand on est aigre et que l’on enseigne la résignation : ce « courage ridicule » comme le notait Stendhal.

 

En art et en tout, la vulgarité consiste à flatter les sentiments supposés du plus grand nombre.

 

La revanche des médiocres – Un esprit médiocre se reconnaît à ses efforts pour tout ramener à son lamentable niveau et à son incapacité d’admirer sincèrement quoi que ce soit. Un esprit médiocre ne se soucie pas des œuvres, il ne s’intéresse qu’à leurs auteurs, dont il monte en épingle les ridicules et les défauts. Sa haine de la grandeur trahit le lilliputien.

 

La biographie est un genre faux. Personne n’a jamais accès à la vie intérieure d’un autre ; or, seule compte la vie intérieure…


Emotion à géométrie variable. Il est bien vain de pleurer des morts célèbres et de ne rien éprouver face à la peine de ses proches.

 

Sans amour la vie est sans saveur.

 

Avec certains êtres, il n’y a rien à faire. Ils n’admireront jamais que l’apparat.

 

L’ironie est délicieuse et agréable, quand on s’adresse à une personne qui pense exactement tout ce qu’il faut penser sur tous les sujets possibles. Hélas, pour ne pas paraître « à ses yeux » idiot et superficiel, il faut toujours, à un moment ou à un autre, préciser que l’on était ironique !

 

Ne cède pas à la tentation dangereuse de renoncer.

 

Témoigner de ce que la vie a d’intolérable est une noble et juste ambition. C’est le travail du négatif, qui doit être poursuivi inlassablement. Mais il faut non moins et d’un même mouvement, témoigner de ce que la vie a de merveilleux. Ce n’est que dans ce double mouvement contradictoire que l’on peut espérer toucher au sentiment tragique de la vie, derrière lequel courent tant de philosophes sans y parvenir.

 

Il ne faut pas accorder à la mort des privilèges qu’elle a déjà sans notre accord.

 

La mort est le plus démocrate des juges. Son verdict est le même pour le riche et le pauvre, le puissant et le faible : on pourrait continuer longuement ce jeu d’oppositions. Il est à la source de quelques belles fables consolantes. Mais nous savons bien que cet égalitarisme final est aussi édifiant que faux. Que le riche meure n’a jamais consolé personne des inégalités et des franches injustices sur lesquelles il a prospéré.

 

La mort s’émeut dans la chambre… Comme si une voix, quelque part, disait : « Non, finalement, je reviendrai plus tard… »

 

…………………………………

 

Paul Valéry, cet incrédule délicat, vouait une sorte de culte à l’Esprit, qu’il dotait d’une majuscule. Mais combien souvent l’esprit ne réfléchit qu’aux possibilités concrètes de son anéantissement...

 

Le suicide, comme toute idée fixe, ne mérite ni patience, ni clémence. En théorie, et sans considérer le malheur dans lequel tant d’êtres se débattent…

 

L’alcool devrait être remboursé par la Sécurité sociale : le vin est moins nocif que la pharmacie des psychiatres et permet du moins à quelques solitaires de supporter leur existence !

 

Avoir toujours voulu être le médecin de soi-même et comprendre que sa vie future dépend de quelques spécialistes aux tarifs exorbitants…

 

La probité intellectuelle nous retient de conclure, de quelque façon. Mais surtout pas par un mot de consolation

 

Je ne sais pas plaider ma cause. Mais mérite-t-elle vraiment d’être défendue ?  

 

 

 

 

                                                           Frédéric Perrot. Novembre 2023.

lundi 13 novembre 2023

Personne n'a besoin de me parler de mes écrits (texte d'Alain Minighetti)


 

Personne n’a besoin de me parler de mes écrits – oralement j’entends. C’est inutile car ils prennent naissance dans un monde étrange et méprisable, empli d’une cruauté féroce et animale.

 

On ne palabre pas avec un caïman affamé, on l’esquive, on le fuit puis on l’oublie. Ses écrits perdureront et évolueront par eux-mêmes, tout comme voyagent les livres, au gré de rencontres éphémères ou non.

 

Toutes ces têtes dans mon panier. Tous ces mots rangés là, dans la cervelle, dans des petits tiroirs amovibles. On ne sait pas lorsque cela s’échappe et s’emboîte, ni pourquoi ni comment.

 

Le dernier m’ayant dit qu’il fallait bien être doué pour quelque chose je l’ai pris pour un escargot. Je revendique le droit à davantage de sollicitude à l’égard de mes écrits. Belle utopie rongée par les vers.