samedi 3 juin 2023

Jean-Louis Murat, Au Mont Sans-Souci (pour Arthur)

 

Les enfants forment une ronde
Les monos sont jolies
Allez suer belles têtes blondes
Aux Thermes de Choussy
Allez soigner à l’arsenic
Vos souffles affaiblis
L’air est si doux dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci

Dieu les enfants aiment la sieste
- D’eau tout étourdis -
Les filles de Cadet Roussel
Pendant ce répit
Venaient pour une heure à peine
Voir les gars du pays
Venaient chanter dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci

J’en pinçais pour une infirmière
Une brune plutôt jolie
Je suivais comme Davy Crockett
Son large parapluie
Au Ciné Vox elle m’emmenait
Voir un Guitar Johnny
Je n’avais qu'une idée en tête
Le Mont Sans-Souci

J’aimais déjà dire je t’aime
Je t’aime je lui dis
Je savais que dans une semaine
Elle serait loin d’ici
Tous ces amours de courte haleine
Embellissaient nos vies
D’un éclat mauve de bruyère
Au Mont Sans-Souci

Les baisers le doux manège
Viens donc je te suis
Sauras-tu tenir ta promesse
Et m’aimer cette nuit
Quand s’entrouvraient à la lumière
Les Portes du Paradis
J’aurais passé ma vie entière
Au Mont Sans-Souci

Herbe têtue rouge calèche
Toboggans rentrés
Le temps est long qui nous ramène
Les filles avec l’été
Quand l’éclat mauve délétère
N'éclaire plus ma vie
Je vais dormir dans la bruyère
Au Mont Sans-Souci.

 

            Je ne connaissais pas cette chanson de Jean-Louis Murat, qui en a tant écrit, avant de lire cette semaine le bel article hommage de Yannick Haenel dans Charlie Hebdo, « Dormir dans la bruyère ». Un ami m’a appris que la chanson parlait assez précisément, outre l’évocation merveilleuse de l’esprit d’enfance, de la Bourboule en Auvergne et de ses cures thermales pour les personnes dont les enfants, souffrant d’asthme. Frédéric Perrot

 

Pour écouter la chanson : https://youtu.be/CP0Q4XKxVNY

jeudi 1 juin 2023

Rouge nocturne

Odilon Redon, Les Yeux clos, 1890

Dans une baignoire, une femme morte. De dos, un homme au téléphone. Son crâne lisse comme un miroir paraît briller dans le halo jaune pisseux d’une ampoule qui pend à un fil au-dessus de lui. Un chien, gras cerbère étalé dans la poussière, grogne et aboie. La cause de cette soudaine effusion sonore est le furet que tient en laisse une paire de jambes montées sur de hauts talons rouges. Le reste de la femme ne s’aperçoit pas, dissimulé par un tableau de très grand format que promènent de droite à gauche deux déménageurs selon un va-et-vient hasardeux. L’immense toile est un dégueulis de couleurs sans vocation figurative. Près de la baignoire, dans laquelle repose la pauvre Ophélie, ce n’est pas drôle, elle semble être morte d’une mort bêtement naturelle, deux hommes nus exécutent des mouvements de danse compliqués et prétentieux, tels qu’on peut en voir sur toutes les scènes du monde civilisé. Leurs corps musclés rivalisent de ténacité et ils roulent des yeux effarés, comme s’ils avaient vu quelque chose, là-bas, au loin. L’un est néanmoins visiblement plus ému que l’autre : avec de petits soupirs de plaisir et de douleur mêlés, il éjacule du sang, à jets continus. La paire de jambes doit retenir le furet de s’approcher de cette alléchante flaque et de derrière la toile, s’entendent des cris perçants et agacés : « Mon bichon, c’est sale, c’est très, très sale… ». Pas sots, les deux déménageurs en profitent pour déposer l’inepte gribouillis et faire une pause. L’un s’allume un imposant cigare, tandis que l’autre entonne une romance où par tradition il est question d’amours anciennes et de longs adieux. Cette scie musicale apparemment gêne l’homme au téléphone, qui se retourne. Horrible vision ! Au milieu de sa face cadavérique, ses orbites sont deux trous sans fond, comme sa bouche, d’où, à défaut de mots, s’échappe un court souffle propre à donner l’idée d’une haleine fétide. Ce mouvement par lequel il s’est retourné paraît avoir épuisé ses ultimes efforts pour se donner une contenance et l’homme tombe en poussière sur le sol comme une vieille momie. « Mon mari, mon pauvre mari ! Lui qui tenait tant à hisser la voile ! », crie la voix agaçante derrière la toile. Dans un coin, à grands coups de dents, le furet farfouille dans la chair du chien, jusqu’à s’y enfoncer tout entier, dans une large gerbe de sang. Comme le spectateur qui en a assez d’être pris pour un imbécile par ce qu’il voit se dresse d’un coup de son fauteuil inconfortable et se précipite vers la sortie, je me détourne enfin de ce brillant spectacle.

 

                                                          

Frédéric Perrot

 

mardi 30 mai 2023

Sur Excursions poétiques de Marie-Anne Bruch


 

« Paris change ! mais rien dans ma mélancolie

N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,

Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,

Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.»

                        Charles Baudelaire

 

 

Le nouveau livre de Marie-Anne Bruch, Excursions poétiques, semble s’inscrire dans une tradition clairement identifiée, presque un genre littéraire en soi : l’errance parisienne.

Inauguré sans doute par les personnages de Balzac, Baudelaire, qui plus qu’un autre a mis Paris sur la carte du monde poétique. Poursuivi au vingtième siècle par Rilke, Céline, Aragon, les dérives situationnistes, jusqu’aux déambulations somnambuliques des personnages de Modiano.

Hélas, si on peut dire, Marie-Anne Bruch nous décrit le Paris des années 2020 et le tableau est très ressemblant. Ce qui domine, c’est le mouvement perpétuel, le grouillement presque insensé et le bruit… Pour la plaisanterie, le vieux Voltaire se plaignait déjà, au dix-huitième siècle, que Paris fût une ville si populeuse et bruyante !

Marie-Anne Bruch au fil des textes courts qui composent Excursions poétiques, traduit bien l’épaisseur de son dans laquelle l’individu contemporain flotte sans en avoir conscience. Une douce musique vous accompagne toujours, ainsi que les bruits ordinaires, assourdissants, du « trafic automobile », du « métro aérien » et des travaux publics. Chansons pop, rythmes techno, airs de bossa vous invitent à penser que vous vivez dans le meilleur des mondes ! Ce bruit continuel, ininterrompu enveloppe une grande laideur publicitaire aux couleurs criardes. Celle du tourisme international… Tout le monde se presse à Paris, pour y déambuler sans rien voir.

Marie-Anne Bruch au contraire fait figure de passante « contemplative », qui s’attarde et regarde, quitte à passer pour une personne un peu louche aux yeux de ses contemporains plus pressés. Elle le répète à plusieurs reprises.

Ce qui est très intéressant, outre l’envahissement de l’espace public par le téléphone portable, signe des temps et changement presque anthropologique comme diraient les pédants, c’est que les véritables parisiens, ceux qui habitent Paris, ont l’air sous la plume de Marie-Anne Bruch, bien « fatigués », mornes, déprimés, une masse aveugle qui ne croit plus depuis longtemps à la fête obligatoire… D’ailleurs, même les touristes ont l’air de se demander ce qu’ils font là :


« Il est possible que cette place soit dédiée à la gaîté mais le visage des passants n’a rien de réjouissant, qu’ils farfouillent au fond de leur porte-monnaie dépressif, qu’ils soient affublés d’écouteurs rutilants, de sacs à dos obèses ou qu’ils fassent rouler leurs valises d’une main malhabile. Tous ces candidats au voyage et autres tireurs de bagages paraissent à la fois sur le départ, sur le retour et sur le point de ne pas y arriver. Devant la terrasse où je me trouve se dresse un kiosque à journaux, où des cartes postales panoramiques et diverses babioles et colifichets pour touristes étrangers – grands amateurs de Tour Eiffel – brillent en vain. »

 

Ceci dit, passée cette impression de détachement ironique face à la comédie débraillée du monde, on comprend que cette errance à travers différents lieux de Paris a une importance existentielle pour l’auteur…  Se laissant emporter par « le torrent de la mémoire », l’auteur est à la recherche d’elle-même et les lieux où Marie-Anne Bruch retourne ne sont pas indifférents : ce sont ceux de son enfance, de son adolescence tourmentée, de ses premières amours, de ses démarches infructueuses dans le monde professionnel. Il y a même des endroits de Paris où elle se force à aller pour se confirmer qu’elle avait bien raison de les détester. Déjà à l’époque !

 

C’est l’heure des bilans, et ils ne sont pas tous négatifs, loin de là…  Même si l’auteur doit bien constater que sa ville, Paris, est devenue quelque chose qu’elle ne comprend plus vraiment, qu’elle-même a changé, que du seul fait de son âge et de son vécu elle se sent un peu étrangère au monde qui l’entoure, elle reste fidèle à certains de ses refus et à son goût pour la beauté, d’une architecture ou d’un jardin.

 

                                                                       Frédéric Perrot

 

 

     Marie-Anne Bruch, Excursions poétiques

     Z4 éditions

dimanche 28 mai 2023

C'est pas encore ce matin

 

                                En hommage à Hervé Prudon (1950-2017)

 


C’est pas encore ce matin

Que je vais me lancer

Dans l’œuvre d’une vie

J’ai mal à la tête

Ayant vidé avec entrain

Une bouteille de Bordeaux

En écoutant la musique triste

D’un chanteur mort d’un coup le salaud

J’avais déjà pas le moral

Le deuil pour horizon

Je suis le ténébreux le veuf l’inconsolé

On connaît la chanson

El desdichado c’est pas la vie de château !

 

Bref, c’est pas encore ce matin

Que je vais me lancer

Dans le roman d’une vie

J’ai mal à la tête

Première cigarette

La mort ça s’attrape

Mais t’inquiète mon amour

C’est pas contagieux

Je dis mon amour

Mais c’est pour la forme

Et la ritournelle

Je parle tout seul depuis des lustres

Y a jamais personne ici

La dernière femme à être venue

Illico est repartie

Effrayée par mes espoirs

Mes cathédrales de brumes

Mes châteaux en Espagne !

 

Passons puisque tout passe

C’est pas encore ce matin

Que je vais me lancer

Dans l’œuvre d’une vie

Comme d’habitude

Je vais faire le seul truc

Que je sais à peu près faire

Et aime bien faire

Lire les bouquins des autres

Nadine Mouque d’Hervé Prudon

Un poète

Un remède

Au bourdon

 

 

                                           Frédéric Perrot

 


mardi 23 mai 2023

Guillaume Apollinaire, Le pont Mirabeau (pour Adeline)

Maximilien Luce, Le Quai Saint-Michel et Notre-Dame (1901)

 

Sous le pont Mirabeau coule la Seine
            Et nos amours
       Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine
 
     Vienne la nuit sonne l’heure
     Les jours s’en vont je demeure
 
Les mains dans les mains restons face à face
            Tandis que sous
       Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l’onde si lasse
 
     Vienne la nuit sonne l’heure
     Les jours s’en vont je demeure
 
L’amour s’en va comme cette eau courante
            L’amour s’en va
       Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
 
     Vienne la nuit sonne l’heure
     Les jours s’en vont je demeure
 
Passent les jours et passent les semaines
            Ni temps passé 
       Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
 
     Vienne la nuit sonne l’heure
     Les jours s’en vont je demeure