lundi 27 septembre 2021

À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie (un extrait du roman d'Hervé Guibert)

 


En l’espace d’une semaine, les choses avaient eu le temps de profondément changer, car en sortant la première fois du centre de la rue du Jura où nous venions, Jules et moi, de faire le test, j’avais été contraint à l’honnêteté d’une pensée inavouable : que je tirais une sorte de jubilation de la souffrance et de la dureté de notre expérience, mais cela je ne pouvais pas le partager avec Jules, il eût été obscène de vouloir le torturer dans cette complicité. Depuis que j’ai douze ans, et depuis qu’elle est une terreur, la mort est une marotte. J’en ignorais l’existence jusqu’à ce qu’un camarade de classe, le petit Bonnecarère m’envoyât au cinéma le Styx, où l’on s’asseyait à l’époque dans des cercueils, voir L’enterré vivant, un film de Roger Corman tiré d’un conte d’Edgar Allan Poe. La découverte de la mort par le truchement de cette vision horrifique d’un homme qui hurle d’impuissance à l’intérieur de son cercueil devint une source capiteuse de cauchemars. Par la suite, je ne cessai de rechercher les attributs les plus spectaculaires de la mort, suppliant mon père de me céder le crâne qui avait accompagné ses études de médecine, m’hypnotisant de films d’épouvante et commençant à écrire, sous le pseudonyme d’Hector Lenoir, un conte qui racontait les affres d’un fantôme enchaîné dans les oubliettes du château des Hohenzollern, me grisant de lectures macabres jusqu’aux stories sélectionnées par Hitchcock, errant dans les cimetières et étrennant mon premier appareil avec des photographies de tombes d’enfants, me déplaçant jusqu’à Palerme uniquement pour contempler les momies des Capucins, collectionnant les rapaces empaillés comme Anthony Perkins dans Psychose, la mort me semblait horriblement belle, féériquement atroce, et puis je pris en grippe son bric-à-brac, remisai le crâne de l’étudiant de médecine, fuis les cimetières comme la peste, j’étais passé à un autre stade de l’amour de la mort, comme imprégné par elle au plus profond je n’avais plus besoin de son décorum mais d’une intimité plus grande avec elle, je continuais inlassablement de quérir son sentiment, le plus précieux et le plus haïssable d’entre tous, sa peur et sa convoitise.


 

À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie est un roman autobiographique d’Hervé Guibert paru en 1990. Il devait par la suite devenir le premier volet d’une « histoire personnelle du sida ».

Outre la découverte de sa séropositivité et l’espoir d’être sauvé de la maladie par un riche « ami » (Bill) qui se révèlera être un imposteur, Hervé Guibert y raconte les derniers mois du philosophe Michel Foucault (rebaptisé Muzil). Hervé Guibert est mort le 27 décembre 1991, à l’âge de trente-six ans.

mardi 21 septembre 2021

Soulagement dans l'inconnu

 


Minces îlots de blancheur

Dans un lit de ténèbres

Des oiseaux délétères

Autour de moi volaient

 

Telles des apparitions

Auréoles de mystère

Des femmes voluptueuses

Une à une dansaient

 

Terrassé par l’alcool

Ô visions éphémères

Je tombais à genoux

Dans le sable mouillé

 

C’était un soir d’été perdu

Sur le front de mer

Il n’y avait ni oiseaux morts

Ni femmes dans les nuées

 

Ce fut un court soulagement

Dans l’inconnu

 

 

 

    Le poème appartient au recueil autoédité Les Fontaines jaillissantes (avril 2021). Il n’a rien de personnel. Il est avant tout un souvenir de la scène finale de La Strada de Federico Fellini, où le personnage interprété par Anthony Quinn, une brute épaisse, s’écroule en larmes sur une plage, face à la mer. Frédéric Perrot.

 

Source image : Télérama.fr


Pour voir la scène finale de La Strada : 

https://youtu.be/rR-JvfjXS9M

mardi 14 septembre 2021

Interlude (pour Birte et Arthur)

 



Pause prophylactique

Le vent dans l’herbe rase

 

Dès le matin

Le chat revient

Avec un pigeon

Qu’il a égorgé

 

Sous nos regards navrés

Il s’acharne encore

Accroît le carnage

Gâchis sanglant

 

Le voisin nous dispense

De nous occuper de l’oiseau

Nous lui en sommes

Reconnaissants  

 

Puis soucieux de finir

Ce qu’il a commencé

Il retourne élaguer

 

Il aura demain soixante-dix ans

Tu iras lui acheter

Un bouquet ou du vin

 

Plus tard reviennent

Des fragments de vers

Le loup les belles plumes

De son repas de volailles –

Comme ce fuyant animal

Le poète se consume

 

Fin de l’interlude

Bref et paisible

 

Juste encore une touche

De couleur

 

Notre petit garçon est à croquer

Dans son tricot de lutin vert

 

 

Le poème a été écrit en 2016. C’est ici une version légèrement revue. Les vers évoqués sont d’Arthur Rimbaud (« Faim », Alchimie du verbe) :

 

« Le loup criait sous les feuilles

En crachant les belles plumes

De son repas de volailles :

Comme lui je me consume. »

vendredi 10 septembre 2021

I'm gonna stop wasting my time (Lou Reed, Sad song)

Le laconisme du bien (pour Guillaume)

 

Musée des Arts et Métiers, Hambourg


 

Les assauts en retour

Les violences soudaines

Les perfides butins

Le serpent de la douleur

Son étrange venin

Nous font vils et mesquins

Avares de nos paroles

Laconisme du bien

 

En ce rêve

La mort incarnée

Est un homme

Au visage glabre

D’une quarantaine d’années

Habillé comme un escroc

Fleur rouge piquée

 

Nos rêves aussi

Sont tissus de clichés

La foule est si dense

Jusqu’à l’insensé

C’est jour de marché

Et l’homme la mort

Se fraie un passage

 

Un brusque sursaut balaie

Tous ces enfantillages

 

La mort n’est pas

Un personnage

 

Mais la frayeur intacte

Accompagne longtemps

 



Ce poème a été écrit en 2016. L’expression très abstraite qui lui donne son titre est de l’ami Guillaume. Elle signifie que lorsque la parole se déploie, c’est rarement pour dire le bien ou même ce qui est aimable en cette vie. Il y a un drame de la parole, qui n’est souvent que bavardage, médisance, redite, délire, monologue, mensonge… Frédéric Perrot.  

mercredi 8 septembre 2021

Visions Vagabondes (exposition de Murielle Tavernese)


 

Visions vagabondes

Texte de présentation de Murielle Tavernese :

 

« Une souche, une branche, un tronc, une roche… Les éléments organiques se dessinent au gré des décors bucoliques. La forêt abonde de paysages naturels laissant libre cours à des visions de peuplades imaginaires, d’esprits de la nature, d’êtres surnaturels.

En longeant les chemins de traverses, j’aperçois au loin des silhouettes, des formes, des profils humains ou d’animaux. Ici une tête de chien, là l’ombre d’un dragon en plein vol, là-bas un gnome se bouchant les oreilles, ou plus loin encore, un phœnix qui renaît de ses cendres…

Je m’approche alors du sujet et mon regard se pose sans forcer sur ces habitants fictifs et pourtant bien visibles, sculptés par la force du vent, l’abondance de la pluie ou l’érosion du temps.

Pour témoigner des surprises que m’offre l’horizon, j’ai cristallisé par le biais du Nikon ou du Smartphone ces clichés hors du commun. Laissez-vous donc porter par cette exposition de photos et votre subjectivité vous jouera des tours. Vous découvrirez ici les secrets de Mère Nature qui se cachent dans votre intimité psychique. »


Mercredis de la poésie

Musée des Arts et Métiers, Hambourg

 

    Dans le cadre des mercredis de la poésie, le Foyer de l’Etudiant Catholique (F.E.C.) et Pierre Louis Aouston ont le plaisir de vous inviter à découvrir cinq plumes le mercredi 29 septembre à 18h30 :

Tlaloc Linder
Apolline Fontaine
Pierre Louis Aouston
Julien Miavril
Hugues Werlé

Le F.E.C.
Salle Léon XIII
17 place Saint-Étienne
67000 Strasbourg

mercredi 1 septembre 2021

Un coup d'épée dans l'eau (publication dans le numéro 64 de la revue Lichen, septembre 2021)

 

Le passeur, homme taciturne, faisait avancer la barque d’un bras ferme. Je lui avais abandonné tout ce que j’avais et son mutisme m’était pénible. Le brouillard étant tombé, je ne distinguais rien et grandissait en moi le sentiment que ma traversée devenait plus symbolique que réelle.

 Jamais je n’aurais soupçonné que le fleuve fût si large… Jamais je n’aurais cru que pût exister un tel silence…

 

Le passeur, calme bloc impavide, se tenait à l’avant et j’aurais tant aimé établir avec lui un semblant de contact. Malgré nos différences, malgré mon dénuement, nous étions tous les deux selon moi des êtres humains… Mais comme je ne parlais pas sa langue, je ne soufflais mot et attendais anxieusement.

 

Je ne pouvais me résoudre à l’idée que mon désir ne demeure une fois de plus qu’un coup d’épée dans l’eau.

 

                                                                  Frédéric Perrot

 

 

Pour aller lire la revue d’Elisée Bec :

http://lichen-poesie.blogspot.com/