dimanche 31 mai 2020

Le sens du présent (avec un dessin d'Eric Doussin)


Eric Doussin


En amont

Je ne vois que ruines

Grandeurs surannées

Incompréhensibles

 

En aval

Je ne vois rien

 

Il n’y a que le présent

Que l’on s’efforce

D’habiter

Malhabilement…

 

 

                                                     Juillet 2018 – Mai 2020. Frédéric Perrot

mercredi 27 mai 2020

Féérie


Edouard Manet, Le Fifre

C’est un beau soir d’été. Le jeune tapin joue de la flûte sur le chemin. Il semble un peu éméché, il danse, trébuche plus qu’il ne marche et je reconnais son costume d’arlequin usé et ses cheveux roux en bataille. Ses lèvres se tordent en un vague sourire à mon approche et je vois que son maquillage a un peu bavé. Tout autour, de derrière un arbre, du cœur des broussailles, surgissent des yeux lubriques, des regards intéressés et comme dans un théâtre grotesque, des mains s’activent, des mains s’agitent… Enfin de la poche de mon pantalon à pinces, je sors un billet froissé et il m’indique d’un mouvement d’épaule l’endroit habituel : sous le pont, contre un mur, parmi les bris de verre, dans une âcre odeur d’urine, érotisme de pissotière. Je lui dis que je préfère aller un peu plus loin, dans l’herbe et les roseaux. Sans s’en étonner, il tente une courte plaisanterie sur la nature et les goûts et tourne les talons. Je le suis et lui suggère que mon unique désir est de rompre nos habitudes. Il rit à cette allusion plus concrète. Puis il se remet à jouer de la flûte, il danse, chancelle plus qu’il ne marche sur le chemin…

 

                  Le texte a été écrit en 2014 et revu en décembre 2015. Frédéric Perrot.


dimanche 24 mai 2020

Ivresse

Giambattista Tiepolo - Kunsthalle, Hambourg


Dans mon rêve, tournoyant tel un farfadet, parmi les masques et les femmes fardées, je cherchais mais sans chercher vraiment, de quoi m’étourdir encore un peu un moment : un verre d’alcool fort de préférence, qui sait de la chair fraîche ou quelque stupéfiant !

Tout m’enchantait et j’adressais à tous et à toutes de grands regards souriants, sans oublier de cligner de l’œil à une laide statue de Diane chasseresse sise sous un parasol vert, en feignant d’admirer les baroques motifs des miroirs et de méditer le curieux aphorisme tracé au-dessus à l’encre noire et dans lequel il était question de miracles, ne s’accomplissant pas…  

Cette conclusion peu à mon goût, je la jugeais légère et emporté par les jeux de l’amour, de l’ivresse, les mouvements désordonnés d’une danse d’un coup devenue générale, je préférais songer à des fragments de vers, des bouts de rimes, aux blancs rideaux du grand lit d’Adeline…



Le texte a été écrit en mai 2011 et revu en avril 2015. Les « blancs rideaux du grand lit d’Adeline » sont empruntés à un poème de Paul Verlaine. Frédéric Perrot.

lundi 11 mai 2020

10 fake news (ou non) parmi d'autres

Eric Doussin 



1. Le gouvernement français a remarquablement géré la situation de crise.

2. Il y aura une seconde vague de contaminations. Il n’y aura pas de seconde vague de contaminations.

3. 2+2 =5

4. L’Education Nationale est une administration soviétique qui fait de ses professeurs de petits serviteurs dociles, censés faire de la rétention d’informations, ou en diffuser de fausses.

5. Le dénommé Emmanuel Macron s’envoie décidément trop de coke pour être encore crédible.

6. Sibeth Ndiaye est à la tête du Ministère de la Vérité.

7. Olivier Véran n’est pas un criminel, même indirect.

8. Les banlieues se sont embrasées pendant le confinement. (Faux. Complètement faux. Les quartiers populaires crèvent plutôt de faim ou sous les coups de la police…)

9. Éric Zemmour a subi la plus atroce des agressions. En aucune manière, il ne l’avait cherché.

10. Leïla Slimani est un grand écrivain, pardon, une grande écrivaine. Son dernier roman, Le pays des autres, est une épopée, une fresque, dont aucune phrase n’est plate.

 Etc., Etc.

                                                                                         Frédéric Perrot

samedi 9 mai 2020

55, Journal de confinement (parodie)




Hier, je n’ai pas bu une goutte d’alcool et je n’ai pas fumé la moindre cigarette. Les résultats de ce bel effort ont été immédiats. Entre quatre heures et sept heures du matin, j’ai fait des rêves vraiment pénibles. Boire ou rêver, il faut choisir !

Mon double me reproche mes amours coupables avec Hervé Guibert, dont j’ai relu dans un ordre inversement chronologique L’homme au chapeau rouge et Le protocole compassionnel. J’ai expliqué à mon double que Guibert est un vrai écrivain, souvent cruel. J’ai lu la plupart de ses livres, je ne les aime pas tous, certains n’étant que pornographiques… « Mais ce n’est pas du Christine Angot ! » En fait, je soupçonne mon double d’être simplement jaloux : puisque je lui refuse de venir s’allonger dans mon lit depuis au moins quinze jours.

En revanche, je n’ai toujours pas relu pour la troisième fois À la Recherche du temps perdu. J’ai une excuse : je ne l’ai pas lue une fois.

Je me suis beaucoup ennuyé entre 11 heures 15 et 16 heures 50.

J’ai enfin décrassé ma cafetière. Elle en avait bien besoin. Je me suis félicité de cet exploit.

Je me suis également félicité – les gens se félicitent beaucoup eux-mêmes en confinement – d’avoir répondu à un élève au sujet d’un travail donné. Suivant les consignes officielles, pour ne pas dire rectorales, adjectif qu’avec mon mauvais esprit je trouve vulgaire, et qui nous encouragent lesdites consignes au mensonge par omission, je me suis bien gardé de lui dire que son travail et le mien étaient de toute façon parfaitement inutiles.

Je me suis demandé un instant si Michel Houellebecq avait arrêté de boire, son texte lu sur France Inter cette semaine étant à peu près correct. Quoique partir sur l’opposition de Nietzsche et de Flaubert est à la portée de tout le monde : je l’ai moi-même fait !

Je n’avais pas noté un mot dans mon Journal – le vrai – depuis le 21 mars. J’ai repris un peu. Mais vous n’en saurez rien. Il n’est pas public !

 En ce qui concerne le déconfinement, moi, personnellement, je vais rester chez moi… Moi, personnellement, je : vous admirerez cette triade !


                                                                                          Frédéric Perrot

L'homme au chapeau rouge (Hervé Guibert)




L’homme au chapeau rouge « représente le troisième volet de cette histoire personnelle du sida amorcée par À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, et poursuivie dans Le protocole compassionnel. » Hervé Guibert est mort le 27 décembre 1991, à l’âge de trente-six ans.