mercredi 30 août 2017

derrière les volets clos

Derrière les volets clos

J’ai fermé les volets. La pénombre m’est profitable. J’aimerais fermer les yeux aussi. Mais une pensée me tracasse et me tracasse d’autant plus que je ne parviens pas à me la formuler clairement, à la saisir en tant que pensée. Cela est irritant, comme une douleur indistincte et pourtant existante.

J’ai eu raison de fermer les volets. Le soleil isole et il meurtrit les yeux. De toute façon, dans ma rue, il n’y a rien à voir, et passer sa journée à la fenêtre, pour épier ses contemporains, c’est un peu une habitude de vieillard. Il faut se méfier des habitudes qui ont plus que notre âge…

Oh comme j’aimerais fermer les yeux une bonne fois… Mais il y a cette pensée informulée qui me tracasse et que je ne peux faire cesser, pas plus qu’on ne décide de faire cesser une douleur… Il me semble que si je parvenais à la saisir, à l’enfermer dans quelques mots qui la rendraient objective, je pourrais considérer plus sereinement certains aspects de mon existence.

Mais cela aussi sans doute n’est qu’une illusion…



Parc de l'Orangerie

vendredi 25 août 2017

le jugement interrompu (autres fragments)

Le jugement interrompu

Tout est plus reposant, dès que l’on sort de l’homme et de la psychologie… « Mais en sort-on jamais ? »           

Vue de l’extérieur – « Vue de l’extérieur, sa vie peut sembler assez brouillonne, voire confuse… Tout le monde en juge à peu près ainsi ; mais pour sa part, il s’accorde encore le bénéfice du doute ; car comment pourrait-il faire autrement ? »

Juges de nous-mêmes – « Le tribunal intérieur est sans indulgence. Si l’on voulait être lourd, on pourrait ajouter qu’il n’admet aucune circonstance atténuante… C’est pourquoi le jugement des autres sur notre petite personne, quoique justifié, nous semble toujours fâcheux et superfétatoire. Si au moins, ils nous apprenaient quelque chose… Mais tel n’est pas leur but ! »

Sombre humeur – « Parfois nous sommes si préoccupés et d’une humeur si sombre, que nos proches ne nous reconnaissent plus et nous jugent différents… Cela les inquiète et les trouble : ils ont le sentiment, ô combien désagréable, de se trouver en présence d’un inconnu… »

Ou : «  Ce matin, par inadvertance, tu as vu mon âme inscrite sur mon visage et tu as eu comme un mouvement de recul inconscient… Tu ne savais plus à qui tu t’adressais.»

Contre un absurde impératif – « … oh ! Moi, je me connais déjà bien trop moi-même : je me suis percé à jour, j’ai déchiré le voile et je ne peux décemment plus nourrir la moindre illusion à mon endroit… Je connais le ressort de mes actes, je sais ce qui m’agit ; mais à ce sujet, je ne dirai pas un mot.»

Sur la voie de la guérison – On lui conseille, on lui demande de se libérer de ses lubies et de certaines de ses obsessions, qui tout bien considéré, ne torturent que lui… « Comme si cela pouvait se faire en un claquement de doigt ! Une obsession est justement ce dont on ne se débarrasse pas. La raison y travaillerait en vain… »

Sagesse des nations – « Pour retrouver une certaine forme de santé, il vous faudra vous armer de patience et laisser le temps agir…» – « À supposer qu’il agisse véritablement et que ce ne soit pas simple illusion que d’accorder au temps, un quelconque pouvoir réparateur… »

Le jugement interrompu – « … très cher ami, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vous propose à cet instant d’interrompre nos jugements ! Certes, ce vin est excellent ! Parmi les raisons qui font que la vie mérite d’être vécue, n’oublions jamais les vins de Bourgogne !... Mais nous ne sommes que de piètres buveurs et il nous échauffe l’esprit, rend notre langue pâteuse, et si nous avons bien ri, des ridicules et des petites vanités de tel ou tel, nous pouvons par respect de nous-mêmes changer de ton et de registre…Tant il me semble que celui qui juge son époque et ses contemporains avec trop d’acrimonie, prouve seulement qu’il n’a rien approfondi… »

jeudi 24 août 2017

Est-ce qu'une réalité sordide...



« J’ai essayé d’en prendre, je l’avais pratiquement dans la bouche… mais comme vous, je n’ai pas pu. Est-ce qu’une réalité sordide ne vaut pas mieux que la meilleure des illusions ? Mais est-ce bien d’illusion qu’il s’agit, Barney ? Je ne connais rien à la philosophie. Expliquez-moi, car tout ce que je connais c’est la foi religieuse et j’ai peur que cela ne m’aide guère à comprendre ces drogues de translation.» (Philip K. Dick, Le Dieu venu du Centaure

vendredi 11 août 2017

à rebrousse-temps





            – Mais où suis-je ? chevrota la voix qui s’affaiblissait. Quel est-ce lieu ?
            – Vous êtes enterré.
            Sebastian avait l’habitude : chaque fois, un certain laps de temps s’écoulait entre le moment où le mort se réveillait et celui où l’on parvenait jusqu’à lui. Oui, il en avait l’habitude et, pourtant, il ne s’y accoutumait pas.  
– Vous êtes mort. On vous a enterré. Mais le temps est reparti en arrière et vous êtes revenu à la vie.
– Le temps, répéta la voix. Pardon ? Je… je ne comprends pas. Le temps… de quoi ? Je voudrais sortir d’ici. Je n’aime pas cet endroit. Je veux retrouver mon lit, ma chambre à l’hôpital général de La Honda.  
                                                            (Philip K. Dick, À rebrousse-temps)


jeudi 10 août 2017

La Montagne magique




 « … un seul aspect de ce temps lui échappait pourtant : sa durée réelle, en admettant que le temps soit chose naturelle et qu’il soit admissible de lui appliquer la notion de réalité. » (Thomas Mann, La Montagne magique)

riche de souffrance mais pauvre en mots



« Par ces lamentations, elle exprimait son amour de la vie, cette vie sans grâce ni charme et presque sans dignité, mais d’un dessein irréprochablement conforme à lui-même, jusques et y compris dans l’assassinat. Et, comme il arrive souvent aux lamentations de la malheureuse humanité, riche de souffrance mais pauvre en mots, la vérité, le cri même de la vérité, se fit entendre sous une forme usée et artificielle trouvée parmi les formules galvaudées par les sentiments imités. » (Joseph Conrad, L’Agent secret)

l'or du temps (paru dans le numéro 17 de la revue Lichen, août 2017)

L’or du temps


L’or du temps – « Le temps est ton bien le plus précieux ; c’est pourtant celui que tu dépenses avec le plus de légèreté, voire de frivolité, dans de vaines occupations, une dispersion infinie… Quand tu n’es pas simplement occupé par tes chimères et la satisfaction de tes vices.»

Une pensée qui nous rebute – Nous nous figurons toujours la mort devant nous. Mais si l’on en croit Sénèque – qui se révèle difficile à suivre sur ce point, tant cette pensée nous rebute –, la mort serait « en grande partie » derrière nous ; et, tout ce que nous avons déjà  vécu – ces innombrables jours et ces longues années –, « tout l’espace franchi est à elle…».

Naissance tardive – « Je suis né si tard, que je trouve inadmissible de devoir mourir en plus…»

Foi en l’avenir – « La tombe sera le plus imprenable des abris ; nous n’aurons plus à redouter la violence et le fanatisme de nos contemporains.»

Ou : « Il ne vivait pas dans la peur de la mort, idée trop abstraite. Il vivait dans la crainte plus précise d’être tué

            Contre le temps « biographique » – « Plus jeune, tu tenais des discours de vieillard, tu jouais au grand sage ; or plus tu prends de l’âge, et plus dans tes pensées du moins, tu rajeunis ; mais c’est peut-être seulement une illusion commune…»

Paradoxe temporel – Il n’a aucun sens historique, mais par la pensée et la rêverie, il voyage à travers les époques. Toutes lui semblent égales, car il s’y perçoit toujours dans la peau d’un esclave.


Un impatient – « Je ne suis pas seul à attendre ; d’autres attendent aussi, assis sur un banc, tandis que je fais les cent pas, excédé par le silence qui règne en ces lieux, non moins que par celui, résigné, de ceux qu’il me répugne de nommer mes semblables et qui assis sur leur banc ne daignent même pas remarquer mon agitation, perdus qu’ils sont dans le néant de leur vie intérieure. Peut-être serait-il plus juste de dire que ces quatre vieillards sont simplement exténués par l’attente… Mais je ne me soucie pas d’être juste. Je fais les cent pas et je n’en peux plus de cette attente sans objet, car si au moins je savais ce que dans ce couloir insalubre, nous attendons depuis si longtemps… »





pour aller voir la revue Lichen 
https://lichen-poesie.blogspot.fr.