mardi 3 avril 2018

la force majeure


« Il n’est aucun bien du monde qu’un examen lucide ne fasse apparaître en définitive comme dérisoire et indigne d’attention, ne serait-ce qu’en considération de sa constitution fragile, je veux dire de sa position à la fois éphémère et minuscule dans l’infinité du temps et de l’espace. L’étrange est que cependant la joie demeure, quoique suspendue à rien et privée de toute assise. C’est même là le privilège extraordinaire de la joie que cette aptitude à persévérer alors que sa cause est entendue et condamnée, cet art quasi féminin de ne se rendre à aucune raison, d’ignorer allègrement l’adversité la plus manifeste comme les contradictions les plus flagrantes : car la joie a ceci de commun avec la féminité qu’elle reste indifférente à toute objection. Une faculté de persistance incompréhensible permet à la joie de survivre à sa propre mise à mort, de continuer à parader comme si de rien n’était ; un peu à la façon de ces vers qui, bien que coupés en deux et en quatre, n’en continuent pas moins à se remuer et à progresser vers leur but aveugle, ou encore de ce mandarin merveilleux, mis en musique par Bela Bartok, qu’aucun coup de poignard ne réussit à achever. »
                                        (Clément Rosset, La force majeure)


Grand lecteur de Nietzsche et de Cioran, le philosophe Clément Rosset est mort le 27 mars 2018.




Clément Rosset


Source image 
Clément Rosset - Site Officiel 
https://clementrosset.com/

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