vendredi 26 avril 2019

Tiens ferme ta couronne (Yannick Haenel)



À cette époque, j’étais fou. J’avais dans mes valises un scénario de sept cents pages sur la vie de Melville : Herman Melville, l’auteur de Moby Dick, le plus grand écrivain américain, celui qui, en lançant le capitaine Achab sur les traces de la baleine blanche, avait allumé une mutinerie aux dimensions du monde, et offert à travers ses livres des tourbillons de prophéties auxquels je m’accrochais depuis des années ; Melville dont la vie avait été une continuelle catastrophe, qui n’avait fait à chaque instant que se battre contre l’idée de son propre suicide et, après avoir vécu des aventures fabuleuses dans les mers du Sud et connu le succès en les racontant, s’était soudain converti à la littérature, c’est-à-dire à une conception de la parole comme vérité, et avait écrit Mardi, que personne n’avait lu, puis Pierre ou les Ambiguïtés, que personne n’avait lu, puis Le Grand Escroc, que personne n’avait lu, avant de se cloîtrer pour les dix-neuf dernières années de sa vie dans un bureau des douanes de New York, et de déclarer à son ami Nathaniel Hawthorne : «  Quand bien même j’écrirais les Evangiles en ce siècle, je finirais dans le ruisseau. »   

Telles sont les premières lignes du roman de Yannick Haenel, Tiens ferme ta couronne, roman d’une drôlerie rare dans la littérature française contemporaine. Qui aime Melville, le plus grand écrivain américain et peut-être l'un des plus grands écrivains tout court, m’intéresse ! 
Ceci dit, cet incipit comme disent les littéraires, bien que séduisant, est tissé d’erreurs. Le silence de Melville est un mythe : même après l’échec des livres dans lesquels il avait placé tous ses espoirs, Melville a continué d’écrire. Et même s'il est beau de le penser, quand il était employé au bureau des douanes de New York, Melville ne correspondait plus depuis des années avec Nathaniel Hawthorne, mort en 1864.

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