En
complément à la publication précédente consacrée au roman de Yannick Haenel,
j’extrais de mon Journal, ces notes
(avril 2014). Frédéric Perrot
Mumford suggère que ce qui a été nommé
« le silence » de Melville
est tout relatif. La période la plus sombre de son existence – son « Cap-Horn » – après l’écriture de Moby Dick et de Pierre ou les
ambiguïtés et leur échec retentissant, quoique désastreuse pour sa santé,
ne fut pas si longue et Melville ne
cessa jamais d’écrire pendant « les
quarante années suivantes », même si le temps des romans et des œuvres
longues était achevé et même si l’indifférence de ses contemporains pour ses
livres devenait toujours plus colossale. À sa mort, Melville était un écrivain totalement
oublié, que l’on commencerait à
redécouvrir trente ans plus tard.
Une anecdote amusante. Au début du
vingtième siècle, Freud se targuait d’apporter « la peste » sur le continent nord-américain en y installant la
psychanalyse. Mais cet élément délétère, anxiogène, lancé du Vieux Monde pour
pervertir le Nouveau, ce fut aussi,
si j’en crois le livre de Mumford, « le
roman psychologique subtil » à la « Balzac ou Sand » dont un critique anglais, approuvé « dans l’ensemble » par ses collègues
américains, déplorait l’influence parmi « les écrivains psychologiques d’Amérique » ; des romans
qui « au lieu de développer une
saine histoire avec des personnages et des motivations simples »
abandonnent le lecteur « dans les
méandres secrets, dans les remous de forces et d’incitations malsaines et
anormales » (p.253). L’adjectif « subtil », que la subtilité puisse être perçue comme une
menace, m’amuse beaucoup !
Ce que son époque ne pardonna pas à
Melville et lui fit même chèrement payer, c’était sa « noirceur ».
Mumford néglige Bartleby ; auquel il n’accorde qu’une petite page – l’important
n’était sans doute pas là, en ces temps de redécouverte de l’œuvre dans son
intégralité –, Bartleby, qui ne
devait commencer à être considéré à sa juste valeur que vingt ou trente ans
plus tard encore, grâce notamment aux études approfondies de Maurice Blanchot
ou de Gilles Deleuze et qui depuis est devenu une pièce « maîtresse »
de l’œuvre de Melville, peut-être la plus célèbre, la plus commentée.
Dans son approche très mesurée de Pierre ou les ambiguïtés, s’il insiste
sur les défauts littéraires évidents
de ce roman écrit à la va-vite, comme une ultime tentative vouée à l’échec, son
jugement n’est pas sans appel. C’est de la critique littéraire dans le sens
noble de cette expression ; on ne juge pas l’homme, l’auteur : on
tente de le comprendre à travers ses
œuvres, en montrant ce en quoi il a échoué, mais aussi ce qu’il a réussi.
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