dimanche 28 avril 2019

sur le silence de Melville

En complément à la publication précédente consacrée au roman de Yannick Haenel, j’extrais de mon Journal, ces notes (avril 2014). Frédéric Perrot

 

Mumford suggère que ce qui a été nommé « le silence » de Melville est tout relatif. La période la plus sombre de son existence – son « Cap-Horn » – après l’écriture de Moby Dick et de Pierre ou les ambiguïtés et leur échec retentissant, quoique désastreuse pour sa santé, ne fut pas si longue et Melville ne cessa jamais d’écrire pendant « les quarante années suivantes », même si le temps des romans et des œuvres longues était achevé et même si l’indifférence de ses contemporains pour ses livres devenait toujours plus colossale. À sa mort, Melville était un écrivain totalement oublié, que l’on commencerait à redécouvrir trente ans plus tard.

 

Une anecdote amusante. Au début du vingtième siècle, Freud se targuait d’apporter « la peste » sur le continent nord-américain en y installant la psychanalyse. Mais cet élément délétère, anxiogène, lancé du Vieux Monde pour pervertir le Nouveau, ce fut aussi, si j’en crois le livre de Mumford, « le roman psychologique subtil » à la « Balzac ou Sand » dont un critique anglais, approuvé « dans l’ensemble » par ses collègues américains, déplorait l’influence parmi « les écrivains psychologiques d’Amérique » ; des romans qui « au lieu de développer une saine histoire avec des personnages et des motivations simples » abandonnent le lecteur « dans les méandres secrets, dans les remous de forces et d’incitations malsaines et anormales » (p.253). L’adjectif « subtil », que la subtilité puisse être perçue comme une menace, m’amuse beaucoup !

 

Ce que son époque ne pardonna pas à Melville et lui fit même chèrement payer, c’était sa « noirceur ».

 

Mumford néglige Bartleby ; auquel il n’accorde qu’une petite page – l’important n’était sans doute pas là, en ces temps de redécouverte de l’œuvre dans son intégralité –, Bartleby, qui ne devait commencer à être considéré à sa juste valeur que vingt ou trente ans plus tard encore, grâce notamment aux études approfondies de Maurice Blanchot ou de Gilles Deleuze et qui depuis est devenu une pièce « maîtresse » de l’œuvre de Melville, peut-être la plus célèbre, la plus commentée. Dans son approche très mesurée de Pierre ou les ambiguïtés, s’il insiste sur les défauts littéraires évidents de ce roman écrit à la va-vite, comme une ultime tentative vouée à l’échec, son jugement n’est pas sans appel. C’est de la critique littéraire dans le sens noble de cette expression ; on ne juge pas l’homme, l’auteur : on tente de le comprendre à travers ses œuvres, en montrant ce en quoi il a échoué, mais aussi ce qu’il a réussi.





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