Eric Doussin |
Notre seule religion est celle des parchemins. Il est
difficile de la faire comprendre à un étranger, dans toute sa beauté et sa
sagesse et nombreux sont ceux qui la jugent simplement archaïque.
À l’origine il y avait trois parchemins, mais le
premier, le plus précieux, a malheureusement disparu dans le grand incendie qui
a dévasté il y a plus de mille ans notre capitale et réduit en cendres
l’ancienne bibliothèque et les milliers d’ouvrages qui s’y trouvaient
conservés.
Comme ces événements dramatiques semblent se perdre
pour des esprits bornés dans la nuit des temps, nos ennemis ont beau jeu de
prétendre que ce premier parchemin n’a jamais eu d’autre existence que
légendaire et qu’il serait donc raisonnable de ne s’en tenir qu’au texte des
deux restants, qu’ils jugent d’ailleurs fort obscurs.
Or, c’est justement dans cette absence du premier
parchemin que réside toute la beauté de notre religion. Nos théologiens
s’accordent en général pour penser que ce premier parchemin était tout
bonnement une méthode de lecture, qui devait permettre même au plus ignorant
des hommes de comprendre les sentences énigmatiques des deux suivants et de
prévenir toutes les interprétations abusives ou erronées. En l’absence de cette
méthode, tout notre effort consiste donc à tenter de retrouver un sens originel
qui s’est perdu et l’esprit qui a pu l’inspirer.
À cette tâche, nous passons nos nuits et nos jours,
inlassablement nous relisons les vingt préceptes que compte chacun des deux
autres parchemins et pour éviter que ne se reproduise une catastrophe qui
serait fatale à notre foi, nous les connaissons par cœur, nous nous les
répétons à voix basse, nous cherchons à les comprendre, notre désir de savoir
ne sera peut-être jamais satisfait, mais dans cette longue et patiente étude
nous trouvons de grandes joies ; car ce que nos ennemis nomment obscurité,
nous le nommons poésie.
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La religion
des parchemins – Un fidèle défend sa
foi qu’il sent menacée de toutes parts. Le mot catastrophe est celui par lequel les palestiniens désignent la fin
du mandat britannique et la proclamation de l’Etat d’Israël : la catastrophe, « Nakba »
(14 mai 1948). Ce que le texte ne dit pas, mais suggère – Les ennemis de cette
religion ont déjà triomphé. Note de mon Journal,
mai 2012.
Le texte appartient au recueil autoédité Les heures
captives (décembre 2012). Frédéric Perrot
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