dimanche 17 septembre 2023

Henri Michaux, Deux extraits de Mes propriétés


 

           Mes occupations

 

    Je peux rarement voir quelqu’un sans le battre. D’autres préfèrent le monologue intérieur. Moi, non. J’aime mieux battre.

       Il y a des gens qui s’assoient en face de moi au restaurant et ne disent rien, ils restent un certain temps, car ils ont décidé de manger.

       En voici un.

       Je te l’agrippe, toc.

Je te le ragrippe, toc.

Je le pends au porte-manteau.

Je le décroche.

Je le repends.

Je le redécroche.

Je le mets sur la table, je le tasse et l’étouffe.

Je le salis, je l’inonde.

Il revit.

Je le rince, je l’étire (je commence à m’énerver, il faut en finir), je le masse, je le serre, je le résume et l’introduis dans mon verre, et jette ostensiblement le contenu par terre, et dis au garçon : « Mettez-moi donc un verre plus propre. »

Mais je me sens mal, je règle promptement l’addition et je m’en vais.

 

 

La simplicité

 


Ce qui a manqué surtout à ma vie jusqu’à présent, c’est la simplicité. Je commence à changer, petit à petit.

Par exemple, maintenant, je sors toujours avec mon lit, et quand une femme me plaît, je la prends et couche avec aussitôt.

Si ses oreilles sont laides et grandes ou son nez, je les lui enlève avec ses vêtements et les mets sous le lit, qu’elle retrouve en partant ; je ne garde que ce qui me plaît.

Si ses dessous gagneraient à être changés, je les change aussitôt. Ce sera mon cadeau. Si cependant je vois une femme plus plaisante qui passe, je m’excuse auprès de la première et la fais disparaître immédiatement.

Des personnes qui me connaissent prétendent que je ne suis pas capable de faire ce que je dis là, que je n’ai pas assez de tempérament. Je le croyais aussi, mais cela venait de ce que je ne faisais pas tout comme il me plaisait. 

Maintenant j’ai toujours de bonnes après-midi. (Le matin, je travaille.)

 

6 commentaires:

  1. Réponses
    1. En effet ! Ce qui m'amuse, c'est cette manière d'écrire sur le ton de l'évidence les plus incroyables absurdités ! C'est très belge, surréaliste. A bientôt !

      Supprimer
  2. J'aime également ces deux textes. Ils figurent ds le livre en photo ? (Que j'ai prévu de lire dps de longues, longues, longues années...ainsi que Poteaux d'Angle...). Je ne savais même pas que Michaux était belge, c bien ça ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Salut Alain, les deux textes appartiennent en effet à ce livre. Mes propriétés est un ensemble de textes publié à l'origine en 1930. Michaux est né à Namur, mais il n'aurait sans doute pas aimé qu'on le dise belge, ou français, ou quoi que ce soit ! A bientôt.

      Supprimer
    2. Oui, sinon Michaux était belge, comme Hergé, Magritte ou Jacques Brel.

      Supprimer