Risque
(prendre son)
Au
commencement il y eut René Char, puis vint Emmanuel Macron.
« Impose
ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque », avait écrit le
poète, et l’aphorisme parvint aux oreilles du brillant élève du lycée jésuite La
Providence. Ou bien il l’emprunta à son ami Bayrou, qui le citait à l’envi pendant
sa campagne de 2007. Ou bien il l’entendit dans une réunion du conseil de surveillance
de Veolia.
Devenu
banquier, le clinquant littéraire fait de la suggestion oraculaire de Char un
mantra, racontant partout que pour se lancer dans la course présidentielle, lui
l’énarque hors système a dû prendre son risque.
Devenu
président, il demeure poète et donc rebelle. Alors que les pisse-froid du
Conseil scientifique poussent au reconfinement du pays qu’un variant du
Coronavirus menace, il résiste. Tel Pascal, il fait un pari, commentent
les commentateurs. Il prend son risque.
C’est
souvent que de parfaits conservateurs ayant grandi dans des collèges taillés
sur mesure, suivi des filières étrennées par leurs parents, épousé des
carrières promises et dues, connu des ascensions programmées dans lesdites
carrières, investi des résidences sécurisées dans des quartiers retranchés,
inscrit leurs enfants dans des collèges taillés sur mesure d’où s’élanceront
leurs ascensions programmées, etc., célèbrent le risque.
Ce
n’est pas un paradoxe.
C’est
parce que les conservateurs ont des vies balisées qu’ils aiment s’imaginer hors
des clous. C’est parce qu’ils restreignent leur pensée à la défense de leurs intérêts
qu’ils prétendent penser out of the box. C’est parce que leur existence est sans risque
qu’ils n’ont que ce mot à la bouche. Analogiquement, l’héritier est le meilleur
colporteur de la fable du mérite. Certes nous avons eu des facilités, concédait
un jour une journaliste politique de télé mariée à un journaliste politique de
télé frère d’un journaliste politique de télé officiant aujourd’hui à BFM comme
son neveu journaliste politique de télé ; mais nous avons travaillé,
retombait-elle sur ses pattes.
Le
bas peuple saisissant quand même mal pourquoi une fille d’ouvrier sénégalais
hissée au rang d’institutrice en serrant les dents gagne cinquante fois moins
qu’un P.-D.G. de la pétrochimie, le concile libéral doit inventer un dogme
supplémentaire, un boniment d’appoint : le risque. L’institutrice est sans
doute méritante, mais elle ne prend pas de risques. Sauf le respect qu’on lui
doit, elle est fonctionnaire. Alors que l’entrepreneur – ne pas confondre avec
le patron – s’est lancé dans un business comme on se jette dans le vide. Il a
engagé son corps et son prêt bancaire dans la bataille, il a bien pris son
risque et non pas simplement un risque. Il aurait pu y laisser sa peau, tel
Magellan navigant à vue vers des continents incertains. À la fin, son pari a été gagnant, sa start-up de tandems urbains est
rentable, et ce courageux coup de poker de départ rend presque décent le
salaire qu’il s’attribue.
Il se trouve qu’il a su convaincre la banque en
démontrant que l’aventure de Bike-for-Two était précisément sans risque car il
avait les reins solides grâce à la revente fort lucrative d’une boîte de
soutien scolaire créée avec l’argent de la revente d’un appartement familial.
Il se trouve assez souvent que ceux qui prennent
leurs risques ne courent aucun risque à les prendre.
Quel risque réel prenait Emmanuel Macron en s’opposant
à un troisième confinement ? Son pari de janvier 2021 ayant été perdu, on
vit la virulente troisième vague saturer les hôpitaux, épuiser les soignants,
asphyxier des milliers de pauvres ; on ne vit pas qu’Emmanuel eût à payer
personnellement son risque.
À la lumière des diatribes des conservateurs contre
le principe de précaution, on comprend encore mieux que leur apologie du risque
est la devanture d’une pulsion de produire effrénée et indifférente aux dommages
collatéraux sur les gens, les bêtes, les sols, l’air. L’entrepreneur sans
précaution fait valoir une balance bénéfice-risque où le bénéfice est privatisé
et le risque socialisé. À lui les dividendes du gaz de schiste obtenu en
fracturant la roche, aux habitants du coin l’eau viciée et les cancers subséquents.
En libéral conséquent, il ne se défausse pas de sa responsabilité. C’est seul et
en toute conscience qu’il a pris le risque de la mort des autres.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire