samedi 6 janvier 2024

Mathieu Jung, The Doors, L.A. Woman

 



Pour moi, qui n’ai jamais prétendu être un spécialiste ou un fan des Doors, leur préférant les Velvet Underground ou les Stones (Let it bleed), le précieux petit ouvrage de Mathieu Jung permet de remettre quelques pendules à l’heure. Selon le principe de la belle collection Discogonie des éditions Densité, Mathieu Jung se concentre principalement sur un seul album du groupe, à savoir leur dernier disque avec Jim Morrison, L.A. Woman (1971), dans lequel il refuse de voir « un opus testamentaire », mais tout simplement « un grand album de rock ». C’est d’ailleurs tout le mérite du livre de Mathieu Jung que de ne jamais verser dans une mythologie un peu poisseuse et parfois franchement abjecte, celle qui entoure les icônes du rock trop vite disparues : Ian Curtis, Kurt Cobain, la liste serait longue… Mathieu Jung ne dissocie pas Jim Morrison des trois autres musiciens qu’il présente à tour de rôle dans la première partie de l’ouvrage, et rappelle à plusieurs reprises que s’il y a une « alchimie » des Doors, elle est celle d’un groupe et non celle d’un « poète » accompagné par une sorte d’orchestre ! Il faut donc considérer chaque album des Doors comme une œuvre collective et j’ai ainsi appris que les paroles n’étaient pas toutes signées Jim Morrison, ce que je croyais un peu naïvement. Cela est particulièrement vrai de L.A. Woman qui, après quelques disques décevants, sonne comme un retour aux sources : le blues – une obsession pour Jim Morrison –, le jazz et une brutalité rock tout à fait réjouissante. Dans la seconde partie de l’ouvrage, toujours selon le principe de la collection, Mathieu Jung présente et analyse chaque morceau de l’album. Pour les fans et les néophytes dans mon genre, c’est une mine d’informations précises et éclairantes : dates et conditions d’enregistrement, instruments utilisés, etc. Si chaque morceau est décortiqué comme il se doit, c’est un fait que L.A. Woman est un album sans moments faibles, les pages les plus remarquables sont bien sûr consacrées aux deux morceaux emblématiques : ce pur condensé d’énergie rock déglingué qu’est la chanson éponyme – L.A. Woman – et le merveilleux et mystérieux Riders on the Storm, que l’on peut tenir pour le chef-d’œuvre du groupe. Cela pourra sembler futile, mais il est à noter que le livre de Mathieu Jung est fort bien écrit : cela se dévore, tout y est clair, documenté – sans ce côté fastidieux que peut avoir l’érudition – et précis, cette précision que Paul Valéry tenait pour une qualité cardinale d’un écrivain. Et bien sûr, à peine le livre refermé, preuve de sa réussite, le premier mouvement de tout lecteur un brin mélomane sera de réécouter aussitôt, en sirotant peut-être un verre de whisky, ce grand album de rock qu’est L.A. Woman !

                                                                                                                                                                               Frédéric Perrot


Mathieu Jung, The Doors L.A. Woman

Éditions Densité


Extrait (p.54-55) 

    Lorsqu’on découvre « The Changeling », on est surpris sinon heurté. D’emblée, dès les premières notes de ce morceau, L.A. Woman se veut différent des albums qui l’ont précédé. L’attaque efficace de la batterie de John Densmore tire brutalement « The Changeling » du silence, tandis qu’un glissando assez agressif effectué au Hammond par Ray Manzarek – semblable à des coups de poignard –, la basse bien marquée de Jerry Scheff ainsi que les beuglements de de Jim Morrison nous emportent dans un espace surprenant, que vient ponctuer une guitare assez surprenante, aux accents funky. Le morceau doit en effet beaucoup à la guitare du « Say It Loud – I’m Black and I’m Proud » de James Brown, comme le reconnaît Robby Krieger. On aperçoit d’ailleurs un exemplaire du Live at the Apollo (1963) posé au sommet d’un des claviers de Manzarek sur une des photos prises par Frank Lisciandro lors de l’enregistrement de L.A. Woman, qui fut en quelque sorte placé sous l’égide de Mister Dynamite. Une autre influence à ce morceau semble être le « Tramp » de Lowell Fulson (1966).

 « Notre œuvre, nos performances sont des tentatives de métamorphose », expliquait un jour Morrison à un journaliste. L.A. Woman peut justement être perçu comme l’album de tous les changements.


Pour écouter « The Changeling » :

https://youtu.be/qtN8UPjN5WU?si=1dpFKBTls6yrbW6m

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