Un prince qui se prétend philosophe ajoute
au discrédit de la fonction le ridicule de l’ambition.
Sous tous les règnes, les plus vils parasites
sont les courtisans, les laudateurs, les flatteurs, les flagorneurs, qui
espèrent plaire au prince et en retirer un bénéfice. Ils ne reculent devant
aucune hyperbole, afin que l’œil du prince descende et s’abaisse jusqu’à leur
misérable existence de vers de terre. Mais ceci est très injuste pour les vers
de terre, qui ont leur utilité.
Les peuples de la Terre participent chacun
à leur manière au progrès du génie humain. On dit que les Chinois ont inventé
la poudre et les échecs, les Arabes les nombres. Les Russes ont offert Tolstoï
et Dostoïevski. On doit reconnaître aux Allemands la musique et aux Portugais
une forme particulière de nostalgie. La contribution de la France semble de
moindre importance : la vanité, comme concept et en pratique.
Il est curieux de vouloir être loué pour
son humilité. De la part d’un fat épris de lui-même, ce n’est qu’une nouvelle
arrogance.
Si en société tous les hommes sont un peu
comédiens, il y a de plus mauvais acteurs que d’autres. Leur jeu ne passe pas.
Face à ce spectacle ridicule, on ricane, on se pousse du coude, on tousse
poliment.
Il ne faut jamais priver un imbécile du
plaisir de croire qu’il a eu le dernier mot.
Quand un prince pousse le délire jusqu’à
se prendre pour un dieu, chacun de ses sujets se rêve en déicide.
Un prince a le privilège de pouvoir se payer
de mots. Les discours creux succèdent aux discours creux. Les mots perdent leur
sens… Mais un prince ne veut pas être écouté et discuté, il veut être acclamé.
La « déchéance des élites »
est une idée si communément admise qu’il serait mortifère d’en rajouter. On n’applaudit
pas à une mise en terre…
La France aime à se revendiquer de l’héritage
des Lumières. Il n’en demeure pas moins que l’on y préfère les beaux récits mythologiques
à l’Histoire et que son avenir semble fort ténébreux.
Lucrèce a écrit des pages saisissantes sur
la peste ravageant Athènes. Mais il ne l’a pas fait pour de futiles raisons
littéraires et rechercher l’admiration de son lecteur : il voulait
inspirer l’horreur et l’effroi… Un tel « désastre » contredisait
son système philosophique et son livre demeure inachevé.
L’optimisme est la gaieté des imbéciles.
Les amateurs de catastrophes ne valent guère mieux.
On en fait toute une affaire, mais mourir
guérit de tout.
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Nicolas de Chamfort (1741-1794) est un
poète, journaliste et moraliste français, qui s’engagea avec passion pour la
Révolution française. Esprit amer et sauvage, pourfendeur misanthrope des « vices »
de la société de son temps, il devait mettre fin à ses jours, dans une folie d’autodestruction
qui relève plus du massacre, comme l’a montré Albert Camus dans sa préface pour
Maximes et Pensées, Caractères et Anecdotes.
Frédéric Perrot
Nicolas de Chamfort |
Source
image : academie-française.fr
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