lundi 6 décembre 2021

Sur des cordes (pour Fatiha)

 

                              Comme la main du musicien

                               Sur sa mandole

                               Je me promène sur des cordes

 

 

       Toute la sainte journée, je me promène sur des cordes que d’autres ont tendues avant moi au-dessus des eaux boueuses du marécage. Leur curieux agencement peut faire songer à la toile d’une araignée, mais mon filet, comme j’aime à l’appeler, est un assemblage beaucoup plus rustique : il est constitué de lianes noueuses suffisamment solides pour supporter le poids d’un être tel que moi et l’ensemble témoigne d’une ingéniosité technique assez rudimentaire. C’est ici que je vis, que j’ai grandi. Tel est mon monde. Il ne me semble pas en avoir connu d’autres. Je me nourris de feuilles et de petits insectes. Je bois l’eau tiède des pluies. L’essentiel de mon temps, je le consacre à ce que je nomme le travail d’entretien. Car si toute la sainte journée, je me promène sur des cordes, c’est qu’il s’agit pour moi de perfectionner mon filet qui est ancien, m’a précédé, que d’autres ont construit, tendu au-dessus du marécage et qui connaît l’usure. Mes nuits, je les passe dans l’une de ces niches suspendues parmi les branches, qu’il me semble avoir toujours connues, au point de supposer peut-être arbitrairement que j’ai dû naître dans l’une d’entre elles. En tous cas ces niches m’incitent à penser qu’à une certaine époque, un petit groupe au moins d’êtres semblables à moi a vécu ici au-dessus du marécage, avant de disparaître pour une raison que j’ignore. Je n’en ai aucun souvenir, il me semble avoir toujours été seul et que j’ai simplement reçu leurs constructions, leur petit monde, en héritage.

 

 

                                           Le texte a été écrit en mars 2014. Frédéric Perrot.

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