vendredi 17 janvier 2025

Charles Baudelaire, L'Ennemi (pour Alain)

 

Charles Baudelaire, par Alain Minighetti


Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,

Traversé çà et là par de brillants soleils ;

Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,

Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

 

Voilà que j’ai touché l’automne des idées,

Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux

Pour rassembler à neuf les terres inondées,

Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

 

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve

Trouveront dans ce sol lavé comme une grève

Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

 

   Ô douleur, ô douleur ! Le Temps mange la vie,

Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cœur

Du sang que nous perdons croît et se fortifie !  

 

jeudi 16 janvier 2025

David Lynch (1946-2025)

 


Pour écouter « I’m Deranged » de David Bowie (Lost Highway, Soundtrack, 1997)

https://youtu.be/aepBpZ3kXek?si=MPblksObh6aSwnc


Pour lire mon article consacré au livre de Pierre Tevanian sur Mulholland Drive

     https://beldemai.blogspot.com/2019/04/mulholland-drive-la-clef-ddes-songes.html


mercredi 8 janvier 2025

Nietzsche, Par-delà bien et mal (quatrième section, extraits)

 


78

 

Qui a pour soi du mépris s’accorde encore du prix comme auteur de ce mépris.

 

94

 

Maturité de l’homme : cela veut dire avoir retrouvé le sérieux qu’enfant, on mettait dans ses jeux.

 

97

 

Comment ? Un grand homme ? Je n’y vois jamais que le comédien de son idéal personnel.

 

100

 

Nous nous faisons passer à nos yeux pour plus simples que nous ne le sommes : nous nous reposons ainsi de nos semblables.

 

112

 

Qui se sent prédestiné à voir et non à croire trouve tous les croyants trop bruyants et importuns : il s’en protège.

 

120

 

La sensualité précipite souvent la croissance de l’amour, de sorte que la racine reste faible et s’arrache facilement.

 

133

 

Qui ne sait trouver le chemin menant à son idéal vit une vie plus frivole et plus impudente que l’homme sans idéal.

 

146

 

Que celui qui lutte avec des monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre. Et si tu regardes longtemps au fond d’un abîme, l’abîme aussi regarde au fond de toi.

 

153

 

Ce qui se fait par amour s’accomplit toujours par-delà bien et mal.

 

156

 

La folie est chose rare chez les individus, – mais dans les groupes, les partis, les peuples, les époques, c’est la règle.

 

157

 

La pensée du suicide est un vigoureux réconfort : elle aide à bien traverser plus d’une mauvaise nuit.

 

158

 

À notre pulsion la plus forte, au tyran qui nous habite se soumet non seulement notre raison, mais même notre conscience.

 

160

 

On n’aime plus assez sa connaissance sitôt qu’on la communique.

 

161

      

Les poètes traitent leurs expériences de manière éhontée : ils les exploitent.

 

168

 

Le christianisme fit boire du poison à Éros : – il n’en mourut pas, mais dégénéra, en vice.

 

175

 

C’est finalement son désir qu’on aime, et non l’objet désiré.

 

179

 

Les conséquences de nos actes nous empoignent aux cheveux, en se moquant bien que nous nous soyons « améliorés » entre-temps.

 

 

 

 

Nietzsche, Par-delà bien et mal

Traduction et édition de Patrick Wotling

 

dimanche 5 janvier 2025

Le surhomme de canapé (fantaisie)

 

« On ne peut penser et écrire qu’assis (G. Flaubert). – Je te tiens là, nihiliste ! Rester assis, c’est là précisément le péché contre le Saint-Esprit. Seules les pensées qui vous viennent en marchant ont de la valeur. »

                                                                  Nietzsche, Le Crépuscule des idoles

 

 

Le surhomme de canapé

Prêt à en découdre

Avec le monde entier

Se laisse volontiers filmer

Devant une bibliothèque

Aux dimensions pharaoniques

Dont les milliers d’ouvrages

Doivent assoir son autorité

Ce dont est capable

N’importe quel imbécile

Onfray ou Pierre-Yves Rougeyron  

Comme s’il était difficile

D’accumuler des livres

Mais passons !

 

Dans ce décor convenu et bourgeois

Notre surhomme de canapé

Oubliant ce que l’on apprend de Nietzsche

En deuxième année

Vomit sa haine de tout et n’importe quoi

Le ressentiment suinte par tous ses pores

C’est très pénible à voir

Et les mots creux succèdent aux mots creux

Deviennent étirables comme des élastiques

Ou un chewing-gum dégueulasse

Déjà passé par mille et mille bouches…

Une véhémence confuse tient lieu de pensée

 

Chacun a sa petite boutique

Son explication globale de tous les maux

Soral c’est les juifs quel que soit le libelle

Onfray Maastricht et la modernité critique

Rougeyron les filles aux cheveux bleus

Les pédales et les bandits de Bruxelles ! 

 

Ce sont des Assis comme les nommait Rimbaud

Dans leur canapé ou sur un plateau

Des logopathes qui monologuent discourent

Et s’aiment monologuant d’un vibrant amour !

 

Mais quelle soif de désastre

Et quelle soif de sang !

Ils partiraient en guerre

Contre l’humanité entière…

S’ils n’étaient pas séniles

Ou juste impuissants !

 

 

                               Frédéric Perrot