mercredi 13 novembre 2024

Louis Aragon, J'aurais voulu parler de cela sans image, Le roman inachevé


 

J’aurais voulu parler de cela sans image

Des amis des amours de ce qu’il en advint

       Montrer ce monde et ses visages

       Dans la couleur des années vingt

 

Et j’aurais retracé le vieil itinéraire

Refait patiemment dans le passé décrit

       Les pas réels qui nous menèrent

       D’un bout à l’autre de Paris

 

D’un bout à l’autre de la nuit et de nous-mêmes

Les yeux perdus le cœur battant la tête en feu

       Pris à notre propre système

       Battus à notre propre jeu

 

Nous qui disions tout haut ce que les autres turent

L’outrage pour soleil et pour loi le défi

       Opposant l’injure à l’injure

       Et le rêve aux philosophies

 

Univers furieux de paille et de paroles

J’ai peine à démêler le délire et la vie

       Il n’y a que des herbes folles

       Sur le chemin que j’ai suivi

 

Je revois ce temps-là sans y plus rien comprendre

Pour qui ne brûle plus la flamme est sans objet

       Le souvenir n’est qu’une cendre

       Une ombre au mur qui me singeait

 

Si je tourne mes yeux vers ces heures premières

Je ne reconnais plus à leurs gestes déments

       Dans l’affolement des lumières

       Ceux que nous fûmes un moment

 

Malgré tout ce qui vint nous séparer ensemble

O mes amis d’alors c’est vous que je revois

       Et dans ma mémoire qui tremble

       Vous gardez vos yeux d’autrefois

 

Nous avons comme un pain partagé notre aurore

Ce fut au bout du compte un merveilleux printemps

       Toutes les raisons tous les torts

       N’y font rien mes amis d’antan

 

Il faut bien accepter ce qui nous transfigure

Tout orage a son temps toute haine s’éteint

       Le ciel toujours redevient pur

       Toute nuit fait place au matin

 

Même si tout cela nous paraît dérisoire

Un avenir naissant nous unit à jamais

       Où l’on raconte des histoires

       Pleines de notre mois de mai

      

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