mercredi 17 mai 2023

Philippe Forest, Tous les enfants sauf un (extrait)



    

L’expression « travail du deuil » provient d’un article canonique de Sigmund Freud intitulé « Deuil et mélancolie » et que reprend pendant la Première Guerre mondiale, son volume Métapsychologie. La thèse en expose que la personne endeuillée se trouve, en raison de la perte de l’être aimé, placée en demeure de réinvestir sa libido (son désir) dans un nouvel objet qui va venir auprès d’elle prendre la place de l’objet ancien. Le « travail du deuil » consiste très précisément en cette opération de remplacement.

Que Freud lui-même n’ait pas été jusqu’au bout fidèle à sa propre théorie, on dispose de plusieurs raisons de le supposer. Lorsque Sophie, sa propre fille, vient à mourir en 1920, Freud, sans pour autant le reconnaître, revisite sa propre pensée au point de la corriger tout à fait. Dans une lettre adressée à Binswanger, il confie : « On sait que le deuil aigu que cause une telle perte trouvera une fin, mais qu’on restera inconsolable, sans trouver jamais un substitut. » L’horizon pathétique du dernier Freud, son pessimisme tragique, la façon dont il reformule alors tout le système de sa pensée, il y a tout lieu de penser qu’ils dépendent de cet événement-là.

L’idée même qu’un « travail du deuil » soit possible repose sur la conviction qu’un être est substituable à un autre. On pense la mort par analogie avec cette autre expérience de la perte que constitue la rupture amoureuse. Mais il faut ne jamais avoir vraiment aimé pour se convaincre que même l’euphorie érotique dans laquelle plonge l’expérience d’un nouvel amour suffise à effacer le chagrin du départ, l’irréparable sentiment d’absence que laisse en soi le manque de l’être que l’on a un jour tenu contre soi.

Aucun individu n’en remplace jamais aucun autre. Et la mort accuse encore l’impression d’irrémédiable qui s’attache à une telle vérité. Le commerce amoureux, déjà, fait éprouver ce qu’il y a d’impossible dans l’échange des corps, dans le passage de l’un à l’autre qui les tient pour interchangeables, proies indifférentes d’une même jouissance qui se satisfait de la substitution d’un simulacre à un autre. Le deuil, davantage.

 

 

Quatrième de couverture

 

« Tous les enfants, sauf un, grandissent », écrivait James Barrie au début de son Peter Pan.

Dix ans après, Philippe Forest revient sur l’événement qui fut à l’origine de son premier roman. Que peuvent signifier dans notre monde aujourd’hui la maladie et la mort d’un enfant ?

Le chagrin provoqué par la perte, l’effarement devant la vérité crue exigent d’être pensés sans répit. Les mythologies mensongères, le prétendu « travail du deuil », le recours à la religion et à tous ses substituts, la sentimentalité carnassière avec laquelle la société considère la souffrance des enfants forment les questions de fond soulevées dans ce livre.

La mort d’une enfant constitue en soi une exception à la règle de la vie.

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