lundi 16 janvier 2023

Le fantôme éconduit

 

 Sans prévenir, l’autre nuit encore, tu m’as rendu visite. Cela faisait tellement longtemps : je ne pensais plus guère à toi… Si les dates sont difficilement réfutables, vingt ans peuvent passer comme un rêve… Je n’avais pas envie de te voir. Je n’y étais pas préparé. Mais est-on jamais préparé à quoi que ce soit ? Tu étais là, inchangé, malgré ta peau jaunie et tes cheveux mêlés de terre. Tu ne disais rien, tu me regardais avec une curiosité teintée d’espoir, et, plus sourcilleux qu’une pierre tombale, tu paraissais décidé à attendre… Puisque tu ne disais rien, soudain je me suis mis à parler, parler, m’étourdissant de paroles. De quoi pouvais-je donc parler dans ce silence de purgatoire, et avec tant d’éloquence morbide et de frénésie ? De moi, de moi, de moi… Un moment de gêne douloureuse s’en est suivi. Tu as souri tristement, puis tu as eu un geste étrange, comme d’absolution, avant fantôme éconduit, de disparaître dans les ténèbres, comme tu étais venu…

 

Quand ils se rappellent à notre souvenir, les morts, les gentils morts ne nous jugent pas. Ils nous considèrent même avec indulgence, comme des amateurs qui, n’ayant accompli qu’une partie du voyage, peuvent encore se payer de mots et étaler leur vanité d’individus…

 

                              

                                                                               Frédéric Perrot

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