Ce continent solitude
(Une page de Journal)
« Sad
reminders of what seems years ago »
(Mark
Kozelek, Evil)
26 août 2015 – J’ai envoyé à Patrice
quelques morceaux des Red House Painters, le groupe du malheureux Mark Kozelek,
dont j’ai tant écouté le second et troisième album parus à quelques mois
d’écart (1993) sur le label anglais 4AD – Rollercoaster,
Bridge. Ce sont des disques désespérés, étranges, qui installent souvent
une atmosphère d’attente inquiète, angoissée, comme si le pire, l’effroyable
devaient toujours se produire d’un instant à l’autre (Helicopter). La lenteur est ici presque une philosophie, l’expression
d’un sentiment existentiel et les morceaux sont parfois d’une longueur
déraisonnable. Avec sa voix d’enfant de chœur, atone par moments, le chanteur chante la folie, la peur, le
cauchemar américain, ce continent solitude… Il y a de languides chansons pop
sentimentales et mélancoliques (Bubble),
des morceaux folk bizarres et mal foutus, des ballades à la manière de Lou Reed
sur le troisième album du Velvet Underground (Katy Song). Et il y a d’autres morceaux plus expérimentaux,
déstructurés, effrayants comme un film de David Lynch passé au ralenti, du Pink
Floyd sous valium ou du Cure trempé dans les eaux boueuses du rock indépendant
américain (Funhouse, Mother). A une chanson déchirante (Uncle Joe) peuvent succéder les
hurlements d’un fou qui semble chercher sa camisole (Blindfold). Une reprise austère et quasiment new wave des doux
Simon and Garfunkel (I am a Rock)
voisine avec les chœurs psychédéliques de leur morceau le plus intrigant (Evil). L’écoute de ces deux disques
siamois n’est jamais confortable. Les
paroles sont terribles, décourageantes ou cruelles. Il y est question
d’accidents de voiture ou d’un hélicoptère qui tombe ou d’une amante qui n’est
pas assez mystérieuse (Mistress). Le
chanteur supplie qu’on le sauve de sa folie (Grace Cathedral Park) ou raconte comment on devient rapidement un
inadapté social aux Etats-Unis, quand on ne sait pas, quand on a peur de
conduire une voiture, sur l’amère et autobiographique Strawberry Hill :
He’s
not like the other boys/Around here/He says nothing and sits/In his room/And
he’s afraid to/And he’s afraid to drive a car/ So sad he is/ It’s our duty/As
we’re respected/It’s our duty/As Californians/To show him new life…
Sur ce morceau emblématique, comme sur
d’autres, la voix du chanteur s’étrangle de colère impuissante, au souvenir de
ce qu’il a vécu au sein de sa propre famille...
Les
Red House Painters (1992-2001) sont un grand groupe oublié de San-Francisco, Californie…
Mark Kozelek, qui au sortir de l’enfance a connu l’enfer – l’alcoolisme
précoce, les drogues, les internements –
est bien vivant, sa discographie tend à être pléthorique et son groupe
actuel se nomme Sun Kil Moon.
Frédéric Perrot
Pour écouter Evil
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