mardi 22 décembre 2020

Les géants (avec un dessin d'Eric Doussin)

Eric Doussin

 

Heureux, il allait à son rendez-vous. Dans un bar où il avait ses habitudes, il devait retrouver une jeune fille qu’il courtisait depuis quelques temps. Leur dernière rencontre, ainsi que les quelques baisers fougueux qu’ils avaient échangés réfugiés sous un porche pour échapper à une pluie battante, lui laissaient espérer une soirée des plus agréables ! Et il marchait d’un bon pas, le cœur léger et en réprimant avec peine une envie de chanter… Il y avait du monde à proximité du bar. Nombre de clients, leurs verres à la main, étaient sortis pour discuter sur le trottoir. Alors qu’il s’approchait, une jeune fille qu’il ne connaissait pas, se planta devant lui. « Je t’ai enfin retrouvé », dit la jeune fille, en lui barrant à présent ostensiblement le passage. Etonné, il considéra un moment l’inconnue, avant de s’excuser avec un petit rire. Elle devait se tromper ! Il y avait erreur sur la personne. Pour sa part, il aurait pu en jurer, il ne l’avait jamais rencontrée auparavant : c’était donc une erreur, elle le prenait certainement pour quelqu’un d’autre, cela arrivait tous les jours…

« On dit ça, dit la jeune fille en approchant encore son visage du sien. Tu ne me reconnais donc pas ? Cela ne m’étonne pas, après tout ce que tu m’as fait…

– Décidément vous faites erreur, dit-il en reculant, effrayé. Vous me prenez pour quelqu’un d’autre, je peux vous assurer que je vous vois pour la première fois… »

Il détourna un moment la tête, il avait l’impression que quelqu’un avait prononcé son nom derrière lui. Peut-être était-ce Julie ? Mais à part un ivrogne appuyé contre un mur de l’autre côté de la rue, il n’y avait personne…

« Regarde-moi… » Autoritaire, la voix était celle de la jeune fille inconnue. Il se retourna malgré lui et ne put retenir un cri de surprise. Que se passait-il ? C’était insensé ! La jeune fille avait grandi, poussé, il ne lui arrivait même plus à la taille et il devait lever les yeux pour apercevoir son visage déformé par la colère… De sa longue main, elle le désignait comme elle eût désigné quelque insecte minuscule. Et le plus étonnant était cette impression qu’elle continuait de grandir, au fur et à mesure… « Comme une montagne qui surgirait d’un coup du sol… » Il voulut fuir… Mais il se heurta brutalement à un autre obstacle, dont il comprit avec épouvante la nature exacte : c’était une immense paire de jambes glissées dans un pantalon d’une coupe élégante ! Il y avait en travers de sa route un homme gigantesque lui aussi, un véritable géant, qui se penchait vers lui comme pour l’attraper…

« C’est lui, Maxime, j’en suis certaine, c’est lui qui m’a fait tant de mal…

– Attends, attends, dit l’homme ainsi interpellé, il faut que j’aperçoive son visage… »

Et avec ce qui lui parut une grimace de douleur, comme si cela lui était véritablement un effort de se pencher encore davantage, le géant se baissa. Pour se soustraire à son regard, il se cacha derrière les jambes de la jeune fille, comme il aurait pu se cacher derrière de hautes colonnes…

Il tremblait de tout son corps, il avait le pressentiment que si le géant le reconnaissait à son tour, cela signifierait sa fin… Et avec des mouvements désespérés, il courait dans tous les sens, se jetant sur sa droite, puis sur sa gauche : comme un prisonnier qui veut échapper à la lumière d’un projecteur, la tête baissée et en se cachant le visage dans les mains… Mais comment aurait-il pu faire du mal à une géante ? « Est-ce qu’un moucheron égratigne une montagne… ».

« C’est bien lui, tu as raison… » Fou de terreur, il leva les yeux vers le géant qui, à cet instant précis, sortait de sa veste, une belle veste d’aviateur, un long objet qu’il ne reconnut pas, mais qui semblait très effilé, et avec lequel, il pouvait en être certain, le géant allait d’un coup l’épingler au sol, comme un misérable insecte…

 

 


                              Ce récit a été écrit en 2006. Frédéric Perrot.

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