« L’avenir, toujours,
nous est inconnu, mais parfois il s’enveloppe d’une brume particulière, comme
si, s’ajoutant à la sournoiserie naturelle du destin, une autre puissance
s’efforçait d’épaissir le mystère devant lequel s’effare notre pensée. »
Vladimir
Nabokov, La défense Loujine
Lui aussi, malgré son caractère difficile et ses habitudes de
solitaire, il eut son grand amour !
Quand le rêve s’estompa, il fut surpris de la facilité
avec laquelle il referma la porte de l’appartement où il avait connu de brefs,
mais intenses moments de bonheur. Les marches de l’escalier, les murs d’un
jaune sale, pisseux, dansaient cependant devant ses yeux comme pour lui
suggérer que cette impression de facilité n’était qu’une illusion.
Il se jeta dans la débauche, comme on se jette à l’eau, non
par goût du vice, par désespoir… Et lui, qui n’aimait rien tant que rester dans
son appartement pour se livrer à des lectures choisies, il devint un
habitué des lieux de perdition, qui sont nombreux.
Titubant à travers toute une foule, en se frayant péniblement
un passage, alors qu’il eût voulu aller tout droit selon une diagonale inflexible, il s’approcha de sa conquête d’un soir. Il ne se souvenait plus de
son doux prénom et en s’appuyant sur le comptoir dégoulinant de bière,
il dut faire un effort pour le retrouver. Oh ! il ne s’agissait certes pas
de l’appeler par le prénom d’une autre ! L’ivresse n’excuse pas tout et
ces dames, ces reines de quatre sous, enveloppées dans leurs fausses fourrures
et leurs faux mystères, ont parfois de ces susceptibilités ! D’un coup, comme si
la mémoire lui était revenue, il postillonna son prénom et sa conquête d’un
soir, dont le visage était insignifiant, comme il en prit conscience en la
regardant, lui sourit niaisement, avant de l’embrasser à pleine bouche, comme
s’il convenait de fêter ces retrouvailles… Et, tout en retenant une violente
nausée, il songea que cela finirait comme cela devait finir : par un échec
lamentable, dans les draps de l’aube…
On oublie ses fiascos et alors qu’il aurait dû se sentir
humilié par certaines remarques cinglantes qui fusaient, sifflaient au matin,
imperturbable comme une pièce de bois, une coquille vide, il continua de se
perdre de naufrages en naufrages… Ce qui l’étonnait malgré tout, c’était que
les partenaires ne manquaient jamais, comme l’étonnait au fond la facilité avec
laquelle il les entraînait dans son jeu sans espoir, dont à l’entendre, à le
voir, égaré, elles auraient dû soupçonner l’inévitable fin. Il y avait donc une
telle solitude et un tel manque d’amour… On se donnait pour une nuit, un court
frisson, avant de s’oublier.
La
débauche est bête, comme l’a écrit un poète… Et le brouillard s’épaississait…
Seul son corps, en sueur, protestait durement contre la virulence de ses excès.
Son esprit était ailleurs, perdu… C’est à peine s’il percevait les regards
narquois qui l’accueillaient, les ricanements dans son dos et comment les
femmes emportant leurs manteaux se détournaient de lui, prévenues. C’est à
peine s’il percevait combien son visage s’affaissait et combien sa démarche
devenait lourde. Le corps ne ment pas, il découvrit sa vérité : douleur et
merde…
Il
se compromit à plusieurs reprises et insensiblement toutes les portes, même
celles des bouges les plus sordides et des endroits les plus louches, se
fermèrent devant lui. Il devint persona non grata : empâté, les
mains tremblantes, il était un roi vaincu, figurine renversée sur un échiquier
vide…
Pris
dans les mouvements compliqués que lui inspirait son ivresse, perdu dans le
brouillard, il eût pu retourner chez celle qu’inconsciemment il devait tenir
pour seule responsable de son malheur et commettre quelque nouvel acte
irréparable… Cela n’arriva pas et s’il y songea peut-être, s’il le désira
sûrement, le crime passionnel n’eut pas lieu : il n’était pas destiné à la
cour d’Assises…
Cette
sombre période passée, comme tout homme peut-être, il se prit à rêver à un
nouvel amour.
Le texte a été
écrit en 2009. Frédéric Perrot
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