Et votez bien !
gueula Didier, le grand frère célibataire déjà passablement éméché.
Des
gens trouvèrent ça drôle, d’autres moins.
Depuis
que Marine Le Pen s’était qualifiée au second tour, cette phrase était devenue
le mantra du pays. Dans les journaux, sur les réseaux, à la télé, importants
divers et leaders d’opinions présumés se succédaient sans trêve pour
décortiquer les causes du désastre et gourmander la nation. Le maire de Cornécourt
lui-même, qui était sans étiquette et ne faisait pas de politique (dixit),
y était allé de son petit couplet après la cérémonie. Il fallait faire barrage,
pour la République et nos enfants, on ne pouvait pas jouer avec le feu comme
ça, d’autant que les regards du monde entier étaient braqués sur la France,
même si bien sûr il fallait entendre la colère, les difficultés des gens, etc.
Les invités l’avaient écouté poliment avant de vider les lieux dans un piétinement
calme émaillé de murmures sombres. Les vieux surtout semblaient s’alarmer de la
situation, eux qui pourtant étaient les moins concernés par l’avenir. Chez les
plus jeunes en revanche, et les hommes surtout, ce remue-ménage suscitait une
sorte de jubilation mauvaise. C’était tout de même beau pour une fois de voir
la panique en haut lieu, le prêchi-prêcha affolé des bien lotis. Leur tour de
sentir le sol meuble sous leurs pieds. Pour deux semaines, l’ordre des choses
semblait suspendu, les forces inversables.
Au
mariage comme ailleurs, on ne pouvait éviter longtemps d’aborder ce sujet. Les
têtes étaient si farcies de sondages, les esprits tellement gavés d’analyses et
de chiffres. Cette interminable campagne avait tordu les nerfs de tout un
peuple. Mais dans cette immense rafle des consciences, il demeurait presqu’autant
de vues que de Français. Ainsi, certains avaient regardé le débat de l’entre-deux-tours,
d’autres pas. Il y en avait qui ne loupaient jamais un JT et d’autres qui ne
voulaient plus en entendre parler. Macron avait ses fans, Le Pen ses
sympathisants. Les militants s’obnubilaient chacun dans son couloir. Les
niches, les variantes, les groupuscules, les singularités pullulaient sous le microscope
des analystes qui feignaient de tout comprendre. Des gens bien intentionnés
plaidaient pour plus d’éducation, de moyens, de temps, d’écoute. D’autres plus sévères
ne voyaient que déclin, minage, recul et prônaient de cruels tours de vis. Les
blasés n’y croyaient plus. Les optimistes compulsifs rêvaient pour la millième
fois d’hypothétiques refondations. De part et d’autre de ces lignes de partage
qu’on croyait morales et qui, bien souvent, relevaient plus platement de l’origine,
de la géographie, du niveau scolaire ou de la fortune, des acharnés crachaient
leur dégoût du camp d’en face, symétriques dans le rejet, également convaincus,
tous malheureux et crevant de certitudes. Le pays était devenu cette
épouvantable cocotte-minute prête à sauter, où mijotait depuis des décennies le
ragoût terrible des dénis et des surdités, du dépit et de la peine, de la crainte
du lendemain et des nostalgies inguérissables. Chaque jour, il était question
des musulmans, de l’Europe, du climat un peu, d’argent sans cesse, de la dette
qui devenait une plaie personnelle et empêchait de dormir des gens qui de leur
vie n’avaient pas été une seule seconde à découvert. Mais au fond, le seul
sujet était celui du monde qu’on voulait faire à sa main, selon sa puissance,
protégé des choses telles qu’elles tournaient, ce radeau où l’on serait finalement
entre soi. Et les tenants de l’ouverture, s’ils se donnaient l’air universel et
positif, ne faisaient rien d’autre que de circonscrire eux aussi leur atoll idéal,
accueillant en théorie, partageable en rêve. Quant aux suppôts présumés du
repli, ils se contentaient en général d’osciller entre le besoin d’un havre et
le fantasme d’une revanche.
Le
bon roman de Nicolas Mathieu, Connemara, s’achève à la veille du second
tour de la présidentielle de 2017, en ce jour, où un journal prétendument de
gauche, avait cru intelligent et subtil de barrer sa Une, d’un inoubliable :
« Faites ce que vous voulez mais votez Macron ». Depuis, on a eu tout
le temps de voir ce que valait ce sinistre arriviste, qui dans son Olympe rêve
sans doute d’une élection du même genre, gagnée d’avance face à un quelconque
candidat de la droite la plus rance… Frédéric
Perrot.
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