Lorsque je n’en peux plus d’être le bourreau de moi-même et de
chercher en vain ce que j’ai pu faire pour mériter cela, je sors dans le
quartier, je marche un peu – Comme si je pouvais ainsi me libérer de moi-même,
égarer au hasard des rues les questions insolubles et douloureuses qui me
harcèlent sans cesse…
Mais non, rien n’y fait, ces sorties ne me sont d’aucun bénéfice,
d’aucun secours, je suis nerveux, anxieux, fébrile ; et je ne reste jamais
longtemps hors de l’appartement…
Il faut que j’y retourne, il faut que j’y retourne au plus vite, je ne
sais précisément ce que je crains ou espère, mais il faut que j’y retourne, il
faut que j’y revienne au plus vite et déjà, ayant même oublié que je suis
sorti, comme un automate dont le mécanisme s’affole, je reviens en courant, en
courant à perdre haleine et sans rien voir, et déjà je gravis quatre à quatre
les marches de l’escalier, et déjà je me jette sur la porte de l’appartement
pour l’ouvrir avec des gestes nerveux…
Et je suis tout étonné de me retrouver hors d’haleine au milieu du
vaste salon vide et silencieux comme de toute éternité… Rien n’a changé ;
le salon est vide, la porte de la chambre me demeure fermée : et c’est comme si
notre histoire était une fois pour toute écrite, c’est comme si rien – ô
douleur – ne devait plus jamais changer…
Ce devait être le quatrième ou le cinquième jour, j’ai voulu tendre un
piège à Louise, j’ai fait semblant de
sortir et je suis resté devant la porte de l’appartement, l’oreille tendue,
attendant, attendant que quelque chose se produise… Je n’ignore pas que Louise
profite de mes absences pour se nourrir, aller aux toilettes, éventuellement
passer sous la douche ; enfin tout ce qu’une personne fait et doit faire,
tout ce que son corps lui impose… Et ce jour-là, j’attendais impatiemment
d’entendre la porte de la chambre s’ouvrir et tel un chien de garde aux aguets,
je devais avoir l’air bien ridicule : l’oreille tendue, piaffant
d’impatience devant la porte de mon propre appartement… Je ne sais si quelqu’un
me vit ; pour ma part je ne vis personne… Enfin, la porte de la chambre
s’ouvrit et ce que j’entendis alors me confondit plus que tout le reste :
dans le silence de l’appartement vide, Louise chantait, oui, dans le silence de l’appartement vide, vide de moi, Louise chantait et sa voix
claire s’élevait joyeusement ; et c’était comme si elle s’enivrait de son
propre chant, c’était comme si sa voix ravie et enchantée de sa propre clarté
ne devait plus cesser de s’élever vers des hauteurs et des cimes de ravissement
pour moi inaccessibles… Oui, elle chantait, elle chantait comme une jeune fille
heureuse qui s’abandonne au pur plaisir de chanter ; et de l’entendre
chanter, s’abandonner à cette joie pour
moi écœurante, s’abandonner à cet insolent bonheur – comme si plus rien
n’existait en ce monde que son chant…–, me désespéra plus que tout le reste…
Et je demeurais, béant, devant la porte... Et je ne fis rien, je ne
fis rien d’autre que rester devant cette porte, béant et abattu… L’idée de
surprendre Louise avait simplement disparu… L’idée de tendre un piège à Louise
s’était simplement évaporée…
Car, dois-je le dire, de même que je n’avais jamais vu Louise écrire,
de même jamais jusqu’à ce jour je ne l’avais entendue chanter…
Le texte est un extrait d'une nouvelle écrite en 2005, Le malentendu
Le texte est un extrait d'une nouvelle écrite en 2005, Le malentendu
Frédéric Perrot
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