vendredi 12 août 2022

De l'assassinat considéré comme une forme d'art

 

Il y a différentes façons de procéder pour qui veut tuer une jeune personne très tendre. Pour choisir sa victime, le plus simple est de laisser faire le hasard, qui est le meilleur des juges, tant il est certain qu’il ne s’agit en vérité que de sortir dans la rue par un bel après-midi et de se décider pour la première qui en quelque manière vous plaira. Chacun a ses critères et aucun n’est méprisable. Celui-là appréciera une épaisse chevelure noire où enfouir son visage, tel autre sera sensible à un nez comme un bec d’oiseau sur lequel est posée une paire de lunettes rondes et tous deux auront raison : la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Il est ensuite très sain et excellent pour la santé de suivre votre élue à travers les rues de la ville. Voir une jeune personne flâner est un plaisir rare, que ne peut qu’approfondir l’idée qu’elle ne soupçonne rien de ce qui l’attend : est-il en effet plus beau spectacle que celui de l’innocence qui ignore encore qu’elle sera sacrifiée ? Un esprit raffiné ne se lasserait pas de suivre ainsi sa promise des heures durant : l’observant à la dérobée, attentif à ses moindres gestes, ébloui par la soudaine bêtise d’une expression… Si la chance vous sourit, l’exquise aura peut-être ce jour-là décidé de s’acheter des vêtements dans quelque grand magasin où vous pourrez sans peine la suivre en vous mêlant à la foule des clients. (Il est à noter par parenthèses qu’il serait en revanche très imprudent de la suivre dans quelque petite boutique exclusivement féminine où la moindre présence masculine sans compagnie ne peut passer inaperçue). Dans les grands magasins, l’époque n’aimant rien tant qu’à être indiscrète, il est ce que l’on nomme des cabines d’essayage, à proximité desquelles il vous sera fort loisible de rester sans avoir l’air de rien. Un simple rideau de toile vous séparera alors du corps hautement désirable de votre aimée et il est à noter d’ailleurs que les miroirs couvrant murs et plafonds vous seront d’une aide précieuse, en vous permettant de vous livrer à votre vice de la plus innocente des façons. Vice est un mot bien fort soit dit en passant : voir sans être vu est après tout le secret fantasme de tout à chacun. Il est à parier que la divine après avoir perdu quelques courtes heures dans les cabines d’essayage aura le désir de rentrer chez elle en fredonnant quelque petit air entendu dans le magasin : ce qui est la marque chez ces êtres simples du plus pur contentement. Peut-être fera-t-elle encore un détour auparavant dans quelque café, mais cela n’a rien de grave : il vous sera à vous aussi très agréable de vous rafraîchir et vous sustenter, avant de passer aux choses sérieuses. Rien n’est plus désobligeant que de tuer le ventre vide et la bouche sèche, et les pauvres en cela comme en tout, sont bien à plaindre. Il s’agira pour vous après cet intermède plaisant de la suivre jusque chez elle. Si l’exquise habite un immeuble, vous pourrez respectueusement vous signer et remercier ce Dieu d’amour et de bonté qui quelque part dans les nuées veille à ce que tout se passe comme vous le souhaitez : car rien n’est plus facile que d’entrer dans un immeuble. Vous pourrez sans peine lui emboîter le pas ou évoquer si cela vous chante des clés oubliées, un ami dont le nom ne figure pas sur la sonnette, les prétextes les plus futiles constituant toujours les meilleurs mensonges. Ce sera alors un plaisir enivrant de la suivre dans les escaliers ou de partager avec elle l’ascenseur et vous pourrez même vous offrir le luxe de lui adresser poliment la parole. Elle s’arrêtera par exemple au sixième et vous aurez alors tout loisir soit de sortir directement à sa suite après l’avoir galamment laissé passer, soit de monter jusqu’au septième pour redescendre au plus vite par les escaliers. Le plus difficile dans les deux cas sera de la pousser à l’intérieur de son appartement en l’empêchant de crier. En plus des indispensables gants, il peut être très utile à cet égard de vous munir d’un ruban de bande adhésive : outre que les cris d’une femme sont passablement agaçants, une bonne éducation et un certain savoir-vivre exigent de ne pas déranger le voisinage. Par ailleurs, il n’est pas spectacle plus fascinant que celui d’une jeune personne qui empêchée de crier roule des yeux paniqués. La belle en effet, même si elle n’est pas des plus futées, est tout à fait capable d’imaginer très rapidement ce qui va lui arriver : la littérature à deux sous, la télévision et le cinéma entre autres lui en ont donné d’innombrables aperçus. À cet endroit, il faut préciser qu’il est très nécessaire que votre jeune victime demeure toujours consciente. Si vous commencez à la rouer de coups et qu’elle s’évanouit, il ne tiendra qu’à vous de vous apaiser et d’attendre qu’elle reprenne ses esprits : cela sera beaucoup plus amusant. Il serait fort indélicat en vérité qu’elle soit aux premières loges et privée du spectacle. Torturer un corps évanoui est en outre très ennuyeux : il faut qu’il se débatte et vous résiste, cela fait partie du jeu et vous donnera encore l’occasion de l’attacher amoureusement avec quelque corde ou quelque fil fin susceptible de lui lacérer les poignets. Il faut d’un mot que votre jeune victime sache à tout instant, ait toujours à l’esprit qu’elle va mourir, que cela est injuste, qu’elle ne l’a pas plus que personne mérité, que vous l’avez choisie par hasard et que la vie n’est qu’une farce odieuse :  ce que vous pourrez lui murmurer à l’oreille, si vous vous sentez d’humeur sentimentale. Vous pourrez également si vous le désirez la déshabiller et la contraindre sexuellement comme on le dit de nos jours avec un sens de l’euphémisme plaisant. Mais ne perdez pas de vue que rien ne ressemble plus à un corps de femme qu’un autre corps de femme, qu’à la longue cela est lassant et qu’il est des plaisirs plus sophistiqués que le simple rut animal. Cependant si cela peut vous soulager, n’hésitez pas. Il sera en tout cas plus divertissant de la faire souffrir de mille et une façons. L’imagination des hommes en ce domaine touche parfois au sublime Si elle peut par exemple s’enorgueillir d’une épaisse chevelure noire, commencez par lui raser le crâne avant de l’épiler impeccablement de haut en bas, sans oublier de la blâmer de sa négligence. Ses yeux que la terreur agite vous agacent ? Retirez-en lui un et faites-le choir de son orbite : cela est très simple en y enfonçant les doigts et ne fera qu’augmenter la terreur de l’autre. De même, il est un endroit du cou où la peau est si fine que l’on peut en y passant simplement la lame d’un couteau trancher promptement une gorge et par suite, si cela vous tente, détacher la tête du torse. Mais ne cédez pas à l’impatience : l’important pour vous est de justement garder la tête froide et de jouir de sa souffrance le plus longtemps possible. Si vous vous sentez quelque don de plasticien comme on dit de nos jours, vous pourrez lui dessiner sur tout le corps ou tel un créateur consciencieux sculpter longuement sa chair au couteau ou avec quelque autre instrument dont le choix vous appartient. De même si vous vous sentez quelque talent de vidéaste, autre vilain néologisme, vous pourrez également la filmer. Il est à noter néanmoins qu’une telle pratique est des plus vulgaires, puisque tout à chacun –  de l’ouvrier dans ses parties de jambes en l’air avec mémère jusqu’au bourgeois cultivé dans ses partouzes – peut s’y livrer, s’il dispose d’une caméra : cet œil des borgnes… Comme tout ce qui est commun, filmer n’a donc guère d’intérêt. Mais il est vrai, cela est humain, que vous conserverez ainsi quelques souvenirs de votre après-midi. Il est non moins vrai que vous pourrez par la suite vendre et diffuser votre bande auprès de ce que l’on nomme des publics avertis : hommes et femmes respectables toujours friands de sensations fortes et de ces meurtres filmés en direct. Si par contre plus impérieusement vous vous sentez d’un coup l’estomac dans les talons comme on le dit de si élégante façon, n’hésitez pas à lui manger, qui sait un orteil, un doigt, quelque organe sanglant par vos soins retiré : l’amour est aveugle, la passion dévorante et après tout il s’agit bien de consommer dans tous les sens du terme. Une jeune personne très tendre est un mets délicat que seuls peuvent apprécier des palais lassés de l’affreuse cuisine moderne. Et si vous vous sentez d’humeur badine, vous pourrez toujours lui murmurer à l’oreille qu’un certain poète pouvait à une époque hélas révolue prétendre qu’une cervelle d’enfant doit avoir comme un goût de noisette. Il est certain qu’elle appréciera même en ces circonstances fâcheuses pour elle votre culture subtile, votre sens de l’humour et vous saura gré de l’envoyer dans l’autre monde sur un mot d’esprit. Viendra en effet hélas le temps où il faudra en finir. Vous aurez alors une fois encore toute latitude d’agir selon votre désir. Si vous êtes las, l’étranglement, le couteau planté dans la gorge pourront utilement et rapidement vous débarrasser de cette gêneuse. Si vous vous sentez encore relativement en forme, il vous sera très agréable de la couvrir de quelque substance inflammable pour l’embraser, non de vos ardeurs, mais en laissant tomber presque à regret quelque allumette purificatrice et susceptible encore d’effacer nombre de traces. N’oubliez pas de même de la remercier de vous avoir consacré un peu de son temps et jurez lui non moins que vous la retrouverez dans l’Eternité. Il ne vous restera plus dès lors qu’à rentrer chez vous pour dormir d’un sommeil parfaitement paisible, après avoir quelques instants encore médité sur la fugacité des êtres et des choses.

 

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Ce texte écrit à la fin du siècle précédent (!) est bien sûr un exercice de style, presqu’un pastiche, à la manière de Baudelaire – le poète qui se plaisait à imaginer le goût de la cervelle des enfants – et de Sade, pour l’ironie sans interruption… J’ai toujours été étonné à ce propos que nombre de grands esprits – Breton, Blanchot, Bataille, entre autres– aient pu faire tant de bruit autour de ce fameux Marquis, qui n’est qu’un écrivain ennuyeux et secondaire… Par ailleurs, la littérature de genre et le cinéma américain aiment à nous présenter les tueurs en série comme des artistes et des génies du mal (Le Silence des agneaux, le risible Seven…). Rien n’est plus faux. Les tueurs en série ne sont en général que des brutes épaisses, des fauves dépourvus de toute intelligence. Il n’y a pas de génies du mal ; le mal est sans génie : il est banal, terriblement banal… Frédéric Perrot

 

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