dimanche 10 novembre 2019

En territoire ennemi (avec un dessin d'Eric Doussin)

Eric Doussin


J’étais en territoire ennemi. Fuyant les périls, j’avais passé sans le savoir la frontière et j’étais à présent en danger de mort. Je devais me cacher ; mais où se cacher, alors que tout, aux alentours, n’était qu’une vaste étendue désertique, une étendue sans arbres, ni reliefs, et où l’atmosphère même était viciée par une poussière rouge dont je n’ignorais pas qu’elle était nocive ?
Et je marchais, je marchais, j’avançais au hasard, en cherchant en vain à me couvrir le visage avec un vieux chiffon dégoûtant trouvé dans la carcasse d’un véhicule. Je savais que la zone irradiée n’était guère surveillée ; mais que dans le ciel, fendant la masse confuse des nuages, pouvaient toujours apparaître des patrouilles héliportées qui feraient feu immédiatement, sans sommation.
Dans ma situation, égaré au milieu de nulle part, j’étais une cible rêvée et j’épiais anxieusement l’horizon, attentif à tout bruit qui m’eût annoncé l’imminence de la fin… Les cadavres criblés de balles, à moitié recouverts par le sable et que je considérais de loin, puisque je ne voulais pas m’en approcher par peur de la contamination, rendaient mon angoisse tangible et pénible.
J’avais aussi terriblement soif, la soif me harcelait. Il n’y avait ni eau, ni même un petit caillou grâce auquel j’aurais pu la tromper un moment. L’idée que j’allais mourir de soif me faisait soudainement perdre la tête et je courais, éperdu, en proie à des hallucinations maladives. Emporté par ma course, je trébuchais, je tombais. Le sable mêlé de poussière rouge me brûlait le visage et je me relevais en un bond, comme fouetté. J’essayais de me raisonner, mais je n’y parvenais pas, tant était aveuglante cette évidence : de toutes les manières, j’allais mourir ici, en territoire ennemi, loin de ceux que j’avais aimés et perdus.



Le texte appartient au recueil autoédité Les heures captives (décembre 2012). Frédéric Perrot

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