L’expression
« travail du deuil » provient d’un article canonique de Sigmund Freud
intitulé « Deuil et mélancolie » et que reprend pendant la Première Guerre
mondiale, son volume Métapsychologie. La thèse en expose que la personne
endeuillée se trouve, en raison de la perte de l’être aimé, placée en demeure
de réinvestir sa libido (son désir) dans un nouvel objet qui va venir auprès d’elle
prendre la place de l’objet ancien. Le « travail du deuil » consiste
très précisément en cette opération de remplacement.
Que
Freud lui-même n’ait pas été jusqu’au bout fidèle à sa propre théorie, on
dispose de plusieurs raisons de le supposer. Lorsque Sophie, sa propre fille,
vient à mourir en 1920, Freud, sans pour autant le reconnaître, revisite sa propre
pensée au point de la corriger tout à fait. Dans une lettre adressée à Binswanger,
il confie : « On sait que le deuil aigu que cause une telle perte
trouvera une fin, mais qu’on restera inconsolable, sans trouver jamais un
substitut. » L’horizon pathétique du dernier Freud, son pessimisme
tragique, la façon dont il reformule alors tout le système de sa pensée, il y a
tout lieu de penser qu’ils dépendent de cet événement-là.
L’idée
même qu’un « travail du deuil » soit possible repose sur la
conviction qu’un être est substituable à un autre. On pense la mort par
analogie avec cette autre expérience de la perte que constitue la rupture amoureuse.
Mais il faut ne jamais avoir vraiment aimé pour se convaincre que même l’euphorie
érotique dans laquelle plonge l’expérience d’un nouvel amour suffise à effacer
le chagrin du départ, l’irréparable sentiment d’absence que laisse en soi le
manque de l’être que l’on a un jour tenu contre soi.
Aucun
individu n’en remplace jamais aucun autre. Et la mort accuse encore l’impression
d’irrémédiable qui s’attache à une telle vérité. Le commerce amoureux, déjà,
fait éprouver ce qu’il y a d’impossible dans l’échange des corps, dans le
passage de l’un à l’autre qui les tient pour interchangeables, proies
indifférentes d’une même jouissance qui se satisfait de la substitution d’un
simulacre à un autre. Le deuil, davantage.
Quatrième
de couverture
« Tous
les enfants, sauf un, grandissent », écrivait James Barrie au début de son
Peter Pan.
Dix
ans après, Philippe Forest revient sur l’événement qui fut à l’origine de son
premier roman. Que peuvent signifier dans notre monde aujourd’hui la maladie et
la mort d’un enfant ?
Le
chagrin provoqué par la perte, l’effarement devant la vérité crue exigent d’être
pensés sans répit. Les mythologies mensongères, le prétendu « travail du
deuil », le recours à la religion et à tous ses substituts, la
sentimentalité carnassière avec laquelle la société considère la souffrance des
enfants forment les questions de fond soulevées dans ce livre.
La
mort d’une enfant constitue en soi une exception à la règle de la vie.
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