lundi 24 octobre 2022

L'escalier du rêve

 

                                              L’existence du sommeil est un matelas désossé.

 

                                                                            pour Clavig

 

 

Abolissant les distances, l’escalier du rêve à mesure que ses degrés se forment, entraîne dans son sillage le promeneur égaré qui en une nuit ancienne a posé le pied sur la première de ses marches et depuis lors emporté par son mouvement perpétuel et propre à donner une idée fausse sans doute de l’infini, contemple des étendues glacées, des immensités de ruines, des paysages désolés.

l’autre nuit je t’ai entendue dans la pièce du fond pendant de longues heures le cœur débordant de haine j’avais observé les lumières à tes fenêtres en attendant de pouvoir pénétrer d’une façon ou d’une autre dans ton immeuble il n’y avait sur le parking que quelques voitures un couple d’étudiants parfois entrait dans l’un des immeubles de la résidence et je ne pouvais me retenir de penser à ce qu’ils allaient faire et je ne pouvais me retenir de baisser honteusement les yeux

Parfois sur l’une des marches de l’escalier du rêve traîne encore dans la poussière quelque objet dont l’usage s’est perdu et le promeneur résistant au mouvement perpétuel et propre à donner une idée sans doute fallacieuse de l’infini qui l’emporte dans son sillage à mesure que les degrés se forment et que s’abolissent les distances, s’attarde à regarder cette pauvre chose sans nom, ce résidu des temps anciens, cette insignifiante relique.

l’autre nuit je t’ai entendue dans la pièce du fond tes cris et tes soupirs me déchiraient jamais avec moi n’est-ce pas cela n’avait été ainsi jamais avec moi n’est-ce pas tu n’avais crié et soupiré ainsi j’ignorais même que ton lit grinçait n’est-ce pas et j’ignorais même n’est-ce pas que tu pouvais prononcer de telles obscénités et à mesure que j’avançais dans l’obscurité s’imposait à moi l’idée de ce que je devais faire

Parfois aussi terriblement s’interrompt le mouvement perpétuel et propre à donner une idée de l’infini sans doute fausse et le promeneur immobile qui tremble de froid et se sent envahi par une angoisse indistincte, se retient de jeter un regard dans l’abîme immense au-dessus duquel est tendu l’escalier du rêve, se retient de céder à son vertige, se retient de s’y abandonner en songeant que ce ne serait encore qu’une fin douteuse

l’autre nuit je t’ai entendue dans la pièce du fond tes cris et tes soupirs me déchiraient jamais avec moi n’est-ce pas jamais avec moi n’est-ce pas et à mesure que brisé je reculais dans l’obscurité s’imposait à moi la pensée que jamais n’est-ce pas je ne ferais ce que je devais faire et que pour moi commençaient des temps terribles où j’allais contre moi-même retourner toute cette haine

 

Le texte écrit au début des années 2000 m’a été inspiré par les photographies de deux installations artistiques de l’ami Clavig baptisées « L’existence du sommeil » et « L’escalier du rêve ». Il appartenait à cette époque à un « triptyque » sur le thème de la jalousie (La rumeur, L’escalier du rêve, La jalousie…). Frédéric Perrot

 

Pour lire La rumeur et La jalousie :


http://beldemai.blogspot.com/2019/03/la-rumeur-avec-un-dessin-deric-doussin.html


http://beldemai.blogspot.com/2018/11/la-jalousie-accompagne-dun-dessin-deric.html

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