jeudi 29 août 2024

2024, année dystopique

 

Vu ou entendu aux actualités

L’allégorie est tombée dans le ruisseau. De fieffés idiots sifflent l’estimable conférencier monté sur un cheval à bascule. L’académique Don Quichotte ne voulait pourtant que pourfendre la jeunesse, les étrangers et les filles aux cheveux bleus. La presse réactionnaire crie au scandale démocratique. On ne peut décidément plus rien dire dans ce pays !

Place de la République, un petit millier de vieillards de vingt ans aux crânes rasés hurlent leur nostalgie de l’Ordre et de la Justice. Des comités de voisins vigilants s’organisent pour attaquer les camps de réfugiés et saccager leurs trop spacieuses tentes Quechua. Un philosophe de formation explique à la télévision que dans certaines circonstances les bombes lâchées sur des populations civiles sont sages et intelligentes.

 

En Ukraine, à Gaza, au Soudan, etc. –

La mort à cheval traverse des monceaux de ruines et contemple avec un fin sourire l’étendue de son triomphe. Si elle était généreuse, elle remercierait tous ces hommes qui travaillent si activement pour elle.

 

Vu ou entendu aux actualités

En Cisjordanie, c’est-à-dire nulle part, de jeunes fanatiques religieux lourdement armés, tout juste descendus de leurs jeeps, vilipendent quelques paysans effrayés : « Vous n’êtes pas des êtres humains, vous êtes à peine des animaux ! Vous n’avez rien à faire ici ! Si nos bulldozers détruisent vos maisons, si nous brûlons vos oliviers, si nous massacrons vos troupeaux, nous en avons le droit : cette terre est à nous depuis des millénaires, c’est écrit dans nos livres sacrés, qui sont plus anciens et plus sacrés que les vôtres ! Partez, dispersez-vous, vous n’avez rien à faire ici ! »

Il y a toujours naturellement des « dommages collatéraux », ces courageux colons israéliens ayant en toute impunité la mitraillette facile et ces Arabes ne comprenant décidément rien.

 

Allez les pubs et les remerciements à nos sponsors !

 

Et pas d’erreur possible, on est bien en France

Le plateau de télévision rassemble comme dans La Cène une douzaine d’intervenants. On ne sait pas trop sur quel sujet ils font mine de se disputer ou de débattre, vu qu’ils sont d’accord sur tout. C’est juste à qui criera et s’indignera le plus fort. Ils ont tous des regards vitreux ou haineux. Ce n’est pas ma faute, sans misogynie aucune, mais les pires sont souvent des femmes, de jeunes bimbos peroxydées ou de vieilles rombières hideuses qui arrivent, bel exploit, à éructer plus fort que les autres. Dans ce tohu-bohu, des mots reviennent comme des leitmotivs toujours chargés négativement : « l’immigration », « les musulmans », « la gauche », « l’extrême-gauche », ou pire encore « les insoumis », dont on comprend pour les derniers que c’est le mal, et que l’on accable de tous les maux et de n’importe quoi, et peut-être même de la nullité de l’équipe de France de football qui, « comme par hasard », on va encore évidemment nous accuser de racisme, n’est composée que de blackos et d’islamistes. Il est à préciser que ces intéressants échanges de propos sont proprement interminables et se répètent à l’identique, chaque jour, de l’aube à l’aube

 

Le plus important, l’essentiel vraiment, à retenir de cette année 2024 – Comme le notait avec justesse le président dans un discours si émouvant, les Jeux olympiques, c’était « la vraie vie » et nous étions tous au paradis !

 

 

                                                              Frédéric Perrot

vendredi 23 août 2024

John Cale, Hallelujah

Melancholia


Dans un monde parallèle

Tout serait paisible tout serait parfait

Je ne serais pas né d’un homme et d’une femme

Et ma mère ne pleurerait pas au téléphone

Mon épouse ne coucherait pas avec des étrangers

Et je ne l’entendrais pas gémir sous mon propre toit

Mes fils et mes filles ne seraient pas morts

Emportés par un virus créé en laboratoire

 

Dans un monde parallèle

Tout serait paisible tout serait parfait

Je n’aurais pas l’air d’un Job de supermarché

Gavé de pilules et d’images pornos

Les fous furieux et les enfants attardés

Ne seraient pas autorisés à exercer le pouvoir

De quelconques crétins ne disposeraient pas de l’arme nucléaire

Les êtres ne seraient pas considérés comme du bétail

 

Dans un monde parallèle

Tout serait paisible tout serait parfait

L’air serait respirable et les oiseaux ne tomberaient pas en cendres

Chaque jour ne ressemblerait pas à une apocalypse médiocre

 

Dans un monde parallèle

Où tout serait paisible tout serait parfait

Je pourrais m’étendre dans l’herbe rase

Et en fermant les yeux attendre la fin 

 

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Je ne dirai rien du Livre de Job, qui est pour moi l’un des récits les plus abjects et les plus absurdes de l’Ancien Testament. Le titre, Melancholia, renvoie moins au poème de Victor Hugo qu’au film de Lars Von Trier, 2011, qui, dans sa seconde partie, raconte une fin du monde, l’énorme planète nommée Melancholia venant percuter et pulvériser la Terre. Frédéric Perrot.

mercredi 21 août 2024

Poème de l'âme, une toile d'Éric Doussin

 

Éric Doussin, août 2024

Éric Doussin, Œuvre palimpseste peinte sur livre ancien, Poème de l’âme.

Éric a eu l’amabilité de me dédier cette toile. Merci à lui ! Frédéric Perrot


samedi 17 août 2024

Poésie interrompue (pour mon père)

 

 « La mort… nous affecte plus profondément sous le règne pompeux de l’été. » (Charles Baudelaire)

 

 

Retour à la saison sèche

À la prose des jours

 

Dont les noces avec la lumière

Ont été rompues

 

L’été l’abrutissement

Peut être complet

 

Le corps sans désir

Supporte

 

La misère de l’esprit

L’absence de pensée

 

C’est l’heure de l’exil

Hors des mots

 

De l’évaporation

De toute vie personnelle

 

 

Frédéric Perrot

mardi 13 août 2024

Dominique A, La Fossette, L'un dans l'autre

 

L’un dans l’autre nous ne nous en tirons pas mal
Si l’on pense par tout ce quoi nous sommes passés
Pour admettre que nous avions tout consommé
Bien avant que nous n’aurions pu le penser
C’est certain, nous nous étions déjà aimés
Tout ça me revient, et reprend sa place

 

Tout ça me revient, et reprend sa place
C’est une belle journée

 

Tout ça me revient, et reprend sa place
C’est une belle journée

 

J’ai compris, et maintenant c’est jour de fête
Une trêve, qu’aucune parole ne peut gâcher
Et j’ai pour tes gestes un regard émerveillé
Oui, demain cette joie connaîtra sa fin
Son contraire viendra à nous se rappeler
Pour faire table rase, il faut s’escrimer…

 


Pour écouter la chanson de Dominique A :

https://youtu.be/XZGrq00B7d0?si=ePMsaXlpTZ11makQ

vendredi 9 août 2024

Philip K. Dick, La Transmigration de Timothy Archer (note de Journal)


 

La Transmigration de Timothy Archer. Philip K. Dick. C’est le troisième tome de La Trilogie divine, initiée par SIVA (1). Le roman commence dans les heures qui suivent l’assassinat de John Lennon et c’est une sorte de chef-d’œuvre automatique. Comme Substance Mort, qui empruntait encore légèrement à la science-fiction (2). Le roman se révèle profond dans ses interrogations et malicieux dans le choix de son narrateur, sa narratrice, Angel Archer, qui seule parmi tous les cinglés qui l’entourent, est la voix du doute, du scepticisme, de l’incrédulité et n’en démordra pas. Après tout, c’est elle qui raconte l’histoire ! Contrairement à la plupart des romans de K. Dick, il n’y a aucune alternance de point de vue. Cette narratrice unique est aussi le personnage le plus humain, le plus faillible. Son mari s’est suicidé. Elle est la belle-fille de l’évêque, Timothy Archer, qui lui-même traverse une profonde crise spirituelle : il ne croit plus au Christ ! En effet, certaines découvertes archéologiques faites en Terre Sainte remettent en cause toutes ses croyances. On n’est jamais loin de Dostoïevski, et de ses personnages qui aiment à débattre de questions métaphysiques, mais dans l’Amérique de la contre-culture finissante et avec une part de dérision beaucoup plus grande ! Les personnages de K. Dick restent des dingues et des paumés, pourrait-on dire, en songeant à une chanson célèbre. Ce Timothy Archer est surtout un être livresque, sans pensée personnelle et il semble certain que l’auteur se sent plus proche de sa contradictrice, cette Angel Archer, qui cherche à oublier son deuil et sa tristesse en fumant des joints et voudrait seulement mener une existence paisible… Comme c’est le dernier roman de Philip K. Dick, terminé et corrigé juste avant son décès en mars 1982, on peut parler d’un véritable couronnement, une non-conclusion ironique et mélancolique apportée à son œuvre. 


Norman Spinrad, sur La Transmigration de Timothy Archer : 

« … le dernier testament de Philip K. Dick, ce n’est ni SIVA, ni L’Invasion divine, ni L’Exégèse de Philip K. Dick, ni le recueil d’interviews de Rickman. Le dernier testament de Philip K. Dick, c’est La Transmigration de Timothy Archer, son tout dernier roman. Une œuvre d’une lucidité lumineuse, tout imprégnée de bon sens, qui représente une percée considérable dans la carrière littéraire déjà bien avancée de Phil. (...) Le fait que La Transmigration de Timothy Archer soit le dernier roman de Philip K. Dick est à la fois une tragédie et un triomphe. (...) Un triomphe parce qu’il constitue un testament parfait, à la fois pour l’écrivain et pour l’homme. Avec ce roman, on retrouve un Dick en possession de tous ses moyens littéraires, au terme d’une carrière prématurément interrompue ; on y retrouve aussi une véritable méditation métaphysique, la véritable compréhension humaine déjà présente dans UbikLe Maître du Haut ChâteauLe Dieu venu du Centaure et Glissement de temps sur Mars après une longue période jalonnée d’œuvres secondaires. » (Norman Spinrad, « La Transmutation de Philip K. Dick », in Regards sur Philip K. Dick – Le Kaledickoscope, ouvrage collectif dirigé par Hélène Collon, Encrage, 1992)



Philip K. Dick, La Trilogie divine

Traduit de l’anglais par Robert Louit et Alain Domérieux

Traductions harmonisées par Gilles Goullet


1. Pour lire un extrait de SIVA :

https://beldemai.blogspot.com/2021/11/siva-un-extrait-du-roman-de-philip-k.html

2. Sur Substance Mort :

 https://beldemai.blogspot.com/2022/07/philip-k-dick-substance-mort_91.html

 

                                                                                 Frédéric Perrot (avril – août 2024)

jeudi 8 août 2024

En New Wave (un texte de Dominique A, pour Valentine)

 


J’ai treize ans, et j’entends un jour une chanson qui suspend l’instant. Moi qui pensais que les disques de mes parents suffisaient, je découvre que j’attendais cette musique, ce son, traversé par une voix d’enfant perdu : j’ai l’impression de connaître cet enfant. Je pense à Meaulnes, dont je viens juste de lire le récit, qui avance sur le chemin le menant au château des Galais, vers la fête étrange qui changera sa vie.  

Un ami me donne le titre du morceau, le nom du groupe et celui du genre auquel il est rattaché : « new wave », « nouvelle vague » en français. J’aime aussitôt la sonorité de ces mots, leur liquidité phonétique épousant leur sens, avec ces « w » accolés qui évoquent un glissement, semblable à celui des nappes sonores de la chanson.

Je m’évertue dès lors à tout connaître de ce mouvement, que je découvre vieux de plusieurs années, découlant du punk : il lui a emprunté son rejet de la virtuosité, tout en se délestant de sa brutalité et de ses certitudes. Chez les groupes que je préfère, le son est diffus, comme en proie au doute, et une lumière spectrale en émane. Ils jouent une musique de refus, non exempte de tension, mais dépourvue de conscience sociale, avec la mélancolie en étendard, comme seule porte de sortie.

Mes parents sont athées, mais nous visitons parfois des églises ; j’en aime la solennité, la beauté froide. La new wave renvoie à cette imagerie, pâle et glacée comme le marbre, aussi mouvante et fragile que la flamme d’une bougie. Elle en appelle à un dieu dont elle déplore l’absence, en un lamento distant, qui ne quête pas l’adhésion, n’implique pas la communion. C’est une musique de confinement, à l’air rare, mais d’une substance précieuse. Repliée sur elle-même, elle invite pourtant à la hauteur. J’entre en new wave, comme dans les ordres.

Le monde se divise dès lors en deux : ceux qui adhèrent, et les autres. Les premiers se reconnaissent vite.

Nous formons une confrérie, minoritaire, mais soudée. Le nom d’un groupe est un sésame, le signe d’une fraternité. Il n’est pas exagéré de dire que nous nous sentons élus. Nous imaginons avoir accès à des beautés que les autres, par ignorance ou négligence, n’approcheront jamais. Nos vies seront exigeantes et nobles, détachées des plaisirs immédiats ; nous chercherons dans le passé des traces d’un monde idéal, dont la new wave se fera l’écho, à grand renfort d’accords mineurs : nous lui confierons notre inquiétude. Elle transfigurera nos faiblesses.

Les rangs en viennent pourtant vite à se disperser. Pour la plupart, cela n’est qu’une passade, une panoplie adolescente à remiser lorsqu’il faut travailler, lorsqu’un enfant naît. Le présent les accapare.

Pour les autres, l’inquiétude demeure, à peine atténuée avec les années, ravivée par des riens. Qu’on me fasse une réflexion, et je redeviens l’adolescent timoré et hautain raccroché à sa planche de survie : cette musique préservant du commun, de l’hostilité. Au point, risible, de diviser encore le monde en deux.

 

 

Le texte est extrait de Regarder l’océan, le livre de Dominique Ané, plus connu sous son nom d’artiste, Dominique A.   

 

Pour écouter Atmosphere de Joy Division :


https://youtu.be/KSYBW8JlijM?si=UlVuhwzr8iq2uE3S


lundi 5 août 2024

Un poème de Michel Meyer, sans titre

 

chez Michel 

j’ai beaucoup de

parfois je m’écoute

enfin j’essaie

c’est vraiment pas évident

on comprend vraiment que dalle

j’essaie de dire de m’écouter dire

enfin j’essaie d’essayer je crois

ainsi j’ai beaucoup de 

et c’est complètement emberlificoté

et quand ça dure ça devient pathétique

et super drôle en fait, on dirait une blague

je crois que l’humour est au moins aussi important que l’amour

ainsi j’ai beaucoup de je veux dire beaucoup de

et c’est important la façon de ne pas arriver à dire

la chose qui disparaît au moment même où on voudrait la dire

la chose ou la robe ou la salad dressing

appelons les choses par leur nom

et les éboulis par leur nom d’éboulis

il y a eu, il y a certainement eu

mais d’une façon tellement pas répertoriée

que j’en bafouille encore

40 ou 50 ou 90 ans plus tard

ainsi j’ai beaucoup de

tendresse pour moi


                        Michel Meyer

Wire, I Am the Fly (pour Matthieu et Sylvia)

 


Pour écouter le morceau de Wire :


                    https://youtu.be/svcAqVL2l28?si=IqRPQdcFxduh1L5e