lundi 4 décembre 2023

Pierre Louis Aouston, L'effritement (un extrait)


 

La pluie est figée

 

Ce mardi matin est un jour vraiment pluvieux, un vrai jour ennuyeux, ceux que j’aimerais effacer, comme un enfant qui colorie le calendrier avec des crayons de couleurs je me vois, griffonner, crotter avec des couleurs arc-en-ciel, jaune citron, bleu ciel limpide, vert comme les épines de sapin, les feuilles du mois du mai du calendrier, jusqu’à les froisser, les déchirer dans une frénésie infantile, concentré sur mes crayons de couleurs tout neufs, un vrai plaisir et faire de ces jours gris, si humides avec cette pluie bâtarde, ni forte ni faible, juste là pour vous obliger à arrondir les épaules, les faire disparaître à jamais. Ces jours, je ne les aime pas au point que je voudrais oublier ces jours et ces matins, les faire disparaître de ma vie, oui je sais, chaque jour, chaque seconde est précieuse, le décompte ne doit pas être négligé, oui, je le sais, mais ces jours-là me sont souvent infernaux, mon esprit doit combattre chaque seconde de ces jours sans lumière, où le fade a envahi tout, les murs, les rues, l’air, et même les pensées. Je vais sortir, sortir et marcher, ce temps ne m’empêchera pas de partir en vadrouille dans les rues, je serai muni de mon parapluie, j’arriverai bien à combattre les éléments avec mon outil personnel, ce beau parapluie que je possède depuis bien longtemps, je ne l’ai jamais oublié dans une brasserie, une petite fierté, un vrai combat sur moi-même, quand je pense à tous les objets personnels que j’ai perdus, je dirai, une vingtaine de paire de lunettes, avec des œuvres d’art dans le domaine des lunettes, des pièces rarissimes. Au milieu de mes pas, pas vraiment sûr de mes enjambées, la pluie qui a couvert la chaussée attire la glissade, la bascule dans un parterre qui vous détruit en une fraction de seconde votre plus bel imperméable, n’est pas très loin. Si votre attention est perturbée par un événement inhabituel, je vous parle comme un vieux, mais vous le savez, ces choses-là, elles arrivent à tout le monde, et même dans la vigueur des corps jeunes n’est-ce pas ? Je marche le parapluie bien installé sur mon épaule gauche, la position qui assure une efficacité complète pour éviter un maximum de gouttes. Je marche dans la rue, sur la planète Terre, c’est une partie de territoire si petite, celle où je me trouve hélas ! Est bien noire, si noire, la lumière a fui, sa discrétion si lâche la rend éteinte avec ce bleu gris sale… Je marche les muscles légèrement contractés par le temps mais l’humidité me laisse une ouverture, elle ne peut pas la prendre celle-là, la pluie est figée, son geste de m’agripper pour mieux m’orienter vers elle, me posséder, est stoppé, comme si sa main ne pouvait pas me toucher, bloquée par mon corps. L’afflux de mes pensées, elles ne se bousculaient pas, elles s’affirmaient dans leurs importances, les unes après les autres. Je marchais, une belle pensée se rappelait à moi…


 

Le texte est extrait du premier roman du poète Pierre Louis Aouston, L’effritement, publié aux Editions De Bonne Heure. Le livre est disponible à la librairie Kléber de Strasbourg.

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