jeudi 7 avril 2022

La fuite au crépuscule

 

                                                                                       Pour mon frère Marc,

 

 

     Dans quelques heures, au crépuscule, nous prendrons la fuite, nous quitterons une ville où il ne nous est plus permis de vivre, une ville en état de siège où nous sommes devenus indésirables et où on nous pourchasse inlassablement pour nous abattre comme des chiens…

Et tant pis si cela ressemble à un suicide, ce soir au crépuscule, nous prendrons la fuite… Et tant pis si nous risquons d’y laisser notre peau, de toute façon je ne donne pas cher de nos peaux si nous restons et nous condamnons à nous cacher encore et sans cesse… Et tant pis si les hommes aux portes de la ville ont des armes automatiques et tirent à vue sans se poser plus de questions, ils ont des ordres, les imbéciles…

Nous aurons osé, nous ne sommes pas nés pour nous laisser tuer sans combattre, nous ne serons pas des agneaux dociles que l’on conduit à l’abattoir : on nous traite comme des chiens, nous serons des chiens, mais des chiens féroces, des chiens enragés qui vous sautent à la gorge…

 

Et tant pis si cela ressemble à un suicide, ce soir au crépuscule, nous prendrons la fuite… Et tant pis si notre « pourcentage de réussite » comme disent tous les prudents – des agneaux désignés –  est quasiment nul : de toute façon je ne donne pas cher de nos peaux si nous restons même un jour de plus dans une ville où il ne nous est plus permis de vivre…

Même un jour de plus, cela n’est plus possible : nos noms figurent sur leurs listes, leurs listes noires, qu’importent nos crimes prétendus, pauvres, tarés, ennemis de l’intérieur, tous lamentables rebuts, qui pour une raison ou une autre seront de toute façon tôt ou tard abattus…

Au moins nous aurons osé, nous ne sommes pas nés pour nous laisser tuer sans combattre, nous ne serons pas des agneaux dociles que l’on conduit à l’abattoir : on nous traite comme des chiens, nous serons des chiens, mais des chiens féroces, des chiens enragés qui vous sautent à la gorge…

 

Et tant pis si cela ressemble à un suicide, ce soir au crépuscule, nous prendrons la fuite, car nous sommes sans espoir particulier et telle est notre force…

Et tant pis si courant vers les portes de la ville, nous courons à la rencontre de notre destin… Au moins nous aurons osé et nous ne mourrons pas en inclinant encore la tête…

 

 

Le texte a été écrit en 2007. C’est ici une version légèrement revue. 

                                                                            Frédéric Perrot

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