jeudi 4 mars 2021

Quand elle est arrivée, l'aube était une épave (un texte d'Hélène Bischoffe)

 

Mon corps est disloqué, je ne retrouve plus d’ensemble. Dans le miroir bien sûr, il y a mon reflet, grimaçant, bluffant. Dedans c’est un carnage. Comme un appartement mis à sac, un chien dans un jeu de quilles. Ça sent la pisse et les sacs poubelles éventrés. Les mégots, le renfermé, le lourd. Sauf que c’est comme s’il n’y avait pas de fenêtre, rien pour faire un courant d’air. Je voudrais d’ailleurs partir en courant, mais on ne fuit pas son propre corps, on le supporte. Il y en a qui donnent dans le tableau Excel pour l’oublier, moi je n’ai jamais su faire. Le tableau m’angoisse, le chiffre me fige. Il me fait la peau bien avant d’attirer une quelconque concentration de ma part.

 

C’est arrivé hier soir, bien avant l’aube. Au milieu des autres, à la faveur de la nuit. Je n’ai rien vu venir, je dansais, je sentais. Les voix me galvanisaient, mes articulations m’entraînaient. Je n’attendais rien, je ne voulais rien posséder, je quittais juste le sol entre deux appuis et cela me suffisait. Puis une main est arrivée et m’a tirée par la tempe. En un geste mon corps s’est laissé emmener et je me suis collée à ce nouveau rythme. Des sensations le long de l’échine, une onde que je n’avais pas vu venir.

 

Je me suis retenue, un peu, le temps de le dire, le temps d’une cigarette. Puis il y a eu ses mains sur mon bassin, sa voix, son sourire, son front contre le mien. Incongru, présent. J’ai dansé encore. J’ai laissé les sensations me traverser, j’ai laissé la joie m’envahir, sans raison.

 

J’ai peut-être pris ce qu’il y avait à prendre.

 

C’est au petit matin, à l’heure du sommeil qui s’est fait filament de non-sens que je me suis réveillée : j’étais pillée.

  

   

 

Hélène Bischoffe est morte en avril 2019, elle était une amie. La phrase titre est empruntée à une chanson de Dominique A, Ce geste absent.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire