mardi 18 octobre 2022

Plutôt crever que faire du yoga (sur Cher connard de Virginie Despentes)

 


C’était l’événement de la rentrée littéraire, le nouveau livre de Virginie Despentes, dont le titre amusant était déjà en soi tout un poème, Cher connard. L’accueil fut dithyrambique comme il fallait s’y attendre. Unanimité de la presse, Une des Inrocks, courue d’avance, et même de Télérama – ce « plat torchon de la presse culturelle » comme disait Houellebecq –, qui aime parfois à s’encanailler ! L’unanimité est toujours suspecte, mais je partais sans a priori…

Commençons par le commencement, l’aspect marketing. Le livre nous est présenté et vendu comme des Liaisons dangereuses « ultra-contemporaines ». Première erreur. Cette comparaison est un peu écrasante pour le livre de Despentes pour deux raisons essentielles. Dans le roman de Laclos, il y a au moins une dizaine de personnages et chacun a une manière propre de penser et d’écrire. C’est cette multiplication des voix, cette polyphonie qui fait la force et la beauté du roman de Laclos. Dans le livre de Despentes, il y a deux personnages (trois avec celui de la blogueuse) et ils pensent et écrivent exactement de la même façon, c’est-à-dire comme l’auteur, incapable de leur insuffler une voix… D’autre part, les échanges de lettres dans Les liaisons dangereuses permettent au lecteur de suivre le développement de l’intrigue, à savoir l’affreux complot fomenté par Valmont et la Marquise de Merteuil. Dans le livre de Despentes, il n’y a quasiment aucune intrigue : d’un strict point de vue romanesque, c’est d’une extrême pauvreté…

C’est en fait tout le problème. Le dispositif mis en place, cet échange de « lettres » entre Oscar (écrivain pleurnichard) et Rebecca (actrice sur le retour) ne fonctionne pas. Un esprit narquois pourrait noter qu’à l’ère d’Internet, plus personne n’écrit des lettres, mais le plus gênant dans le livre de Despentes, c’est que l’on peine à y voir des lettres… Ce ne sont pas des lettres. On ne sait pas trop au juste ce que c’est : des monologues, des interventions successives dans un groupe de paroles… Par ailleurs, l’auteur ne fait strictement rien de cette forme, qui au mieux apparaît donc comme un truc, une astuce

Oscar et Rebecca s’envoient des messages, disons. De quoi parlent-ils ? D’alcool, de drogue, d’alcool, de drogue. Dessine-moi une bouteille ! Dessine-moi une seringue ! La drogue c’est cool, l’alcool c’est mal, etc. Palpitant… D’un mot, cela ressemble à une conversation entre deux piliers de comptoir, émaillée de considérations à la truelle sur l’époque (Me Too, le féminisme, le capitalisme, etc.) et d’interrogations existentielles – ironie – sur le corps, la vieillesse… Il est à noter que l’arrivée de l’épidémie de Covid est plutôt une bonne nouvelle, pour le livre, je veux dire, qui prend alors un semblant de réalité… Mais que tout cela est long et ennuyeux…

Du style brut de décoffrage de Despentes dont on nous rebat les oreilles, je ne dirai rien, sinon qu’un écrivain même amateur de rap ne devrait pas écrire des « punchlines », mais des phrases. Flaubert écrivait-il des punchlines ? Peut-être une de temps à autre dans Madame Bovary : « La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient, dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. ». Ce qui est à mon sens le meilleur résumé du livre de Virginie Despentes.

 

 

                                                                   Frédéric Perrot

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