Pour Michel,
Parfois, c’est comme un sursaut,
parfois, je m’agrippe encore, je deviens
haineux,
haineux et enragé,
je fais les comptes, je me souviens.
Je mords, il m’arrive de mordre.
Ce que j’avais pardonné je le reprends,
un noyé qui tuerait ses sauveteurs, je
leur plonge la tête
dans la rivière,
je vous détruis sans regret avec férocité.
Je dis du mal.
Je suis dans mon lit, c’est la nuit, et
parce que j’ai peur,
je ne saurais m’endormir,
je vomis la haine.
Elle m’apaise et m’épuise
et cet épuisement me laissera disparaître
enfin.
Demain, je suis calme à nouveau, lent et
pâle.
Je vous tue les uns après les autres, vous
ne le savez pas
et je suis l’unique survivant,
je mourrai le dernier.
Je suis un meurtrier et les meurtriers ne
meurent pas,
il faudra m’abattre.
Je pense du mal.
Je n’aime personne,
je ne vous ai jamais aimés, c’était des
mensonges,
je n’aime personne et je suis solitaire,
et solitaire, je ne risque rien,
je décide de tout,
la Mort aussi, elle est ma décision
et mourir vous abîme et c’est vous abîmer
que je veux.
Je meurs par dépit, je meurs par
méchanceté et mesquinerie,
je me sacrifie.
Vous souffrirez plus longtemps et plus
durement que moi
et je vous verrai, je vous devine, je vous
regarderai
et je rirai de vous et haïrai vos
douleurs.
Pourquoi la Mort devrait-elle me rendre
bon ?
C’est une idée de vivant inquiet de mes possibles
égarements.
Mauvais et médiocre, je n’ai plus que de
minuscules
craintes et infimes soucis,
rien de pire :
que ferez-vous de moi et de toutes ces
choses qui m’appartenaient ?
Ce n’est pas beau mais ne pas être beau me
laissera moins
regrettable.
Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde
Editions Les Solitaires Intempestifs, 1999
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