lundi 28 octobre 2019

sur Bernard-Marie Koltès (notes de Journal)

Bernard-Marie Koltès



« Non, vous ne pourrez rien atteindre qui ne le soit déjà, parce qu’un homme meurt d’abord, puis cherche sa mort et la rencontre finalement, par hasard, sur le trajet hasardeux d’une lumière à une autre lumière, et il dit : donc, ce n’était que cela. »
                                                           Dans la solitude des champs de coton


Mai 2012 – Le choix des armes – La fin de la pièce de Koltès (Dans la solitude des champs de coton). Quand parvenus au terme d’un long dialogue impossible, les deux protagonistes n’ont plus d’autre alternative que la violence physique et se demandent avec quelles armes ils vont s’affronter. C’est aussi un peu du western cette pièce.

Juillet 2012 – « Je ne veux pas hériter. Je veux mourir en disant de belles phrases. » (Koltès, Le retour au désert)

8 janvier 2013 – Pièce de Koltès – Sallinger… Beauté et puissance de la langue. Création d’un univers à la fois personnel (l’adolescence, la famille) et universel (la guerre). Une nouvelle leçon de modestie pour toi qui te prétends « écrivain » …

« Peut-être, mais que voulez-vous ? Moi, je n’ai appris à parler qu’à la première personne ; et comment désapprendre cela ? » (Sallinger)

23 mars 2013 – Peur de la violence – Vision fugace au réveil. Je suis ceinturé et un élève me gaze, m’asperge le visage avec une bombe lacrymogène… La fameuse « boule au ventre » que je prétends ne plus avoir. Cherchant à bombe l’adjectif qui me manquait, lacrymogène, je tombe sur : « … ces petites bombes qu’elles portent dans leur sac à main, dont elles projettent le liquide dans les yeux des brutes pour les faire pleurer » (Koltès).

            Octobre 2013 – Un être soudain surgi des ténèbres – Pour un deal, comme dans la pièce de Koltès. Je n’ai pas été un client très embarrassé… J’ai pris sa camelote, ne lui ai payé qu’une partie de ce qu’il exigeait, avant de prendre la fuite et de le laisser sur place… Il n’allait pas me poursuivre de toute façon… Comme j’étais passablement ivre, la scène a pris dans mon esprit tous les contours d’un rêve ou d’un rapide cauchemar…

13 janvier 2014 – Relu une biographie de Koltès. Toujours le même sentiment après de telles lectures. « Moi, je n’ai pas de vie… ».

21 janvier 2014 – Trouver des titres, comme je l’ai déjà fait, peut être une méthode. Les beaux titres de Koltès, qu’il cherchait longtemps, à en croire sa biographe. L’un des plus beaux – Dans la solitude des champs de coton – semble emprunté à un roman de Carson McCullers.

« Il faudrait se haïr vraiment, mais non pas comme un homme normal hait une femme, en vivant à côté, dans les formes, non pas comme un pauvre type hait un homme du monde, mais comme la peau hait le vitriol. » (Bernard-Marie Koltès, Quai ouest)

9 juin 2014 – « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. ». C’est à cette phrase de Proust régulièrement citée par Deleuze que je pensais hier en lisant Koltès. Cela est particulièrement vrai dans Quai ouest, dans les extraordinaires dialogues entre « la petite » (Claire) et Fak qui évoquent métaphoriquement la perte de la virginité. Beauté d’une langue qui par ailleurs pourrait sembler « incorrecte ».

Même si son univers est désespéré, c’est très drôle Koltès et je comprends qu’il ne voulait pas qu’on joue ses pièces comme des tragédies, mais comme des comédies…

Ne se sentir ni aimé, ni désiré ; « ne pas recevoir ce que l’autre n’a jamais eu » et « la peur de cette souffrance » (Christophe Bident, Bernard-Marie Koltès, Généalogies)

15 juin 2014 – « Être auteur, cela consiste à ne voir personne. C’est une tentation que j’ai pendant des périodes de plus en plus longues. » (Bernard-Marie Koltès, Une part de ma vie)

 « Je crois que la seule morale qui nous reste est celle de la beauté. Et il nous reste à nous seulement la beauté du langage, la beauté comme telle. Sans la beauté, il ne vaudrait pas la peine de vivre. Alors défendons cette beauté, protégeons cette beauté, même si elle n’est quelquefois pas très morale. Mais je crois en fait que la beauté est la seule morale. » (Bernard-Marie Koltès)

19 juin 2014 – J’ai aussi relu La nuit juste avant les forêts et Roberto Zucco. Quand je disais à M. et sans aucune présomption que Koltès avait écrit tout ce que j’aurais voulu écrire, je pensais en particulier à cette première pièce, dont le texte est simplement admirable de lyrisme écorché, à fleur de peau… Magnifique.

Ecrite dans l’urgence, inspirée d’un fait divers, Zucco est une pièce très étonnante. La langue est brute, presque « non-littéraire » : on dirait des dialogues de cinéma et la pièce ressemble plus à un film américain qu’à du théâtre. C’est si je puis dire « ultracontemporain » – la cabine téléphonique, la mention des tableaux de Picasso, les discussions sur les marques de voiture. Quoiqu’on y sente aussi beaucoup Shakespeare : les dialogues entre les gardiens au tout début qui sont un rappel explicite du début d’Hamlet.
Ce n’est pas la pièce que je préfère de Koltès…

21 juin 2014 – Ce matin, m’étant rendormi un moment, j’ai rêvé de M. Nous étions avec quelques amis à elle, à la terrasse d’un café, dans une ville qui devait être Avignon, je suppose, puisque nous avions pour projet d’y aller cet été voir une mise en scène de Dans la solitude des champs de coton. Elle se penchait pour m’embrasser, puis s’éloignait. Je lui demandais où elle allait. « Je vais acheter des cigarettes… »  Plus tard dans la journée, je me suis avisé que ce rêve n’était peut-être que l’illustration inversée de l’histoire connue et plaisante du mari qui au bout de quelques années de mariage sort pour acheter des cigarettes et ne revient jamais !

18 septembre 2016 – Thierry Pech, directeur général de la fondation Terra Nova – Sur la candidature et le discours de l’ancien président – Il serait bon d’appliquer « le principe de précaution », non pour le climat comme celui-ci le suggère ; mais à son sujet, tant sa dérive droitière devient inquiétante.  Un individu dangereux... Il n’y a pas grand-chose à espérer des électeurs de droite, mais ce serait tout de même un soulagement si ce sinistre arriviste était éliminé dès les primaires de novembre. L’expression consacrée est « chasser sur les terres du Front National » ; ce qui d’un strict point de vue électoral est sans doute porteur, mais pour le reste irresponsable et criminel – L’identité malheureuse (Sic), les racines chrétiennes de la France, etc. Tout cela est à la fois ringard et nocif… « Mes racines ? Quelles racines ? Je ne suis pas une salade ; j’ai des pieds et ils ne sont pas faits pour s’enfoncer dans le sol. » (Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert)

9 octobre 2016 – Peut-être faut-il avoir vécu avant de lire ? Quand j’ai lu pour la première fois à seize ou dix-sept ans Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, je n’ai pas compris un mot… L’expérience de ce dont il est question – la nuit, le deal, la drague, le désir interlope et le désir de se perdre, tant c’est un texte dans le fond suicidaire – me manquait… Et tout cela n’avait aucun sens pour moi

6 janvier 2017 – Je dois en théorie préparer des cours sur Roméo et Juliette, mais comme l’a dit plaisamment Guillaume hier soir, je suis très récalcitrant à l’endroit de Shakespeare ! De manière générale et à l’exception de Koltès, dont j’aime l’univers et la langue, le théâtre m’ennuie… Je veux bien encore entendre parler de Racine ou de Corneille pour la même raison, celle de la beauté de la langue ; mais le texte de théâtre me semble artificiel et si je dois absolument lire des dialogues, je préférerai toujours ceux des grands romanciers : Dostoïevski, par exemple ! J’ai vu quelques belles pièces, des mises en scène de Beckett ou de Koltès, La nuit juste avant les forêts et En attendant Godot, la même année à Avignon ; mais lire du théâtre, franchement !

2 juin 2019 – « Je ne veux pas espérer le soir, car je ne veux pas pleurer le matin. » (Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert)

5 juin 2019 – « Tout homme devrait porter, chaque jour, la honte de sa nuit passée, la honte de l’abandon du sommeil. » (Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert)

7 juin 2019 – Ce qui est admirable chez Koltès, Le retour au désert… C’est combien comme Shakespeare – son seul et grand modèle dans le théâtre finalement – il mêle les registres. Le retour au désert : c’est de la comédie, qui tourne à la tragédie avant de retourner à la comédie, du vaudeville, une histoire de fantômes, du cinéma, une histoire de vengeance, un drame familial dans un contexte historique précis, celui de la guerre d’Algérie, une réflexion sur l’adolescence, des délires pseudo-métaphysiques mais puissants, une poésie intense et qui traverse même des personnages peu susceptibles de poésie. Les plus déplaisants – Adrien – qui au début ne semblent que des caricatures, gagnent au fur et à mesure en profondeur et complexité.
Ayant passé l’essentiel de ma vie à Metz, « une ville de province, à l’est de la France », je trouve naturellement la pièce très drôle pour l’anecdote. Les noms des personnages – Borny, Plantières – qui sont des rues et des quartiers de ce « désert » originel… Le style reste inégalé, c’est de la poésie, incarnée à travers la conscience des différents personnages.

24 octobre 2019 – Les mots de Koltès – Désir, solitude, nuit, fuite, forêt… Mots de poète. À l´exception de Roberto Zucco dont l’action trépidante se déroule par moments en plein jour, ses pièces sont des pièces nocturnes.  

Un thème qui traverse toute son œuvre, sans doute le plus personnel – la perte de l’innocence…

Ce que Koltès rend au théâtre : la poésie et le surnaturel… Dans ses pièces, la frontière entre le monde des morts et celui des vivants semble ne pas exister… Ou alors les barrières en sont toujours levées !
Sans effort, sans difficulté, les morts reviennent sous forme de fantômes et leur réapparition ne suscite aucun étonnement chez les autres personnages.

Son théâtre me semble aussi s’écrire contre ce que l’on a nommé « le théâtre de l’absurde ». L’univers de Koltès est moins absurde que tragique, et ce malgré la réjouissante inflexion comique donnée par Le retour au désert.

« Il voyagea. ». Koltès l’affirme à plusieurs reprises dans ses entretiens. Avant même de songer à écrire, il est indispensable de voyager, daller voir ailleurs, de partir, toujours partir, direction l’Amérique du Sud, l’Afrique, afin de se confronter à la beauté et à la misère du monde.

En cette époque sinistre de « repli identitaire », où il ne se passe pas un jour sans que l’on nous rabatte les oreilles avec « l’inquiétude culturelle » qui serait celle du bon peuple français, j’aime à me souvenir que Bernard-Marie Koltès, pour qui l’identité ne pouvait être que multiple et fluctuante, aimait Shakespeare et Bob Marley, les films de Bruce Lee et la beauté des vers raciniens


                                                                            Hambourg, octobre 2019
                                                                                                  Frédéric Perrot


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Né à Metz en 1948, Bernard-Marie Koltès est mort à Paris le 15 avril 1989.

Pièces principales : La nuit juste avant les forêts, Combat de nègre et de chiens, Quai ouest, Dans la solitude des champs de coton, Le retour au désert, Roberto Zucco.

Livres sur Koltès :  Christophe Bident, Bernard-Marie Koltès, Généalogies. Anne Ubersfeld, Bernard-Marie Koltès.

La biographie évoquée est celle de Brigitte Salino, Bernard-Marie Koltès.


Source image : laisseparlerlesfilles.com

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