vendredi 17 novembre 2023

Lambeaux incertains (pour Valentine)

Hambourg, à l'Aquarium

 

Il s’en prend à sa vie, comme un sculpteur mécontent : à petits coups de marteau précis.

 

D’un thème éculé – Combien nous fatiguent avec leur enfance…

 

Le temps essore les souvenirs. La mémoire est la plus vacillante des facultés.

 

Le désir n’est pas un oiseau fabuleux qui renaît de ses cendres.

 

La mort est lente à venir et nous n’avons pas de mots pour le malheur. Nous n’en avons pas plus pour le bonheur. La plupart du temps, nous n’avons de mots pour rien.

 

La croyance au progrès de l’esprit humain est une croyance assez niaise. Nous sommes certes parvenus à préciser l’âge de l’Univers ; mais nous ne savons guère mieux que nos ancêtres que faire et comment occuper les heures creuses de l’existence !

 

À l’agonie, ce mécréant aurait dit : « Je veux bien admettre l’idée d’un paradis, mais à condition que l’on puisse s’y ennuyer… »

 

Contre les religions – Rien que vos tapis de prière nous embarrassent. Nous avons une autre idée de l’homme : nous préférons les hommes debout.

 

Toutes les religions – Les bouddhistes que l’on nous présente souvent comme de gentils niais inoffensifs dont il faudrait admirer la sagesse, sont comme tous les autres parfaitement capables de perpétrer des massacres.

 

On vit malgré ce que l’on sait et l’on meurt en emportant le peu que l’on aura compris.

 

Oubli est le nom plus doux que nous donnons au néant.

 

Contre le ressentiment et la tentation des paroles haineuses. La haine n’a pas besoin de toi pour se bien porter.  

 

On n’est pas artiste quand on est aigre et que l’on enseigne la résignation : ce « courage ridicule » comme le notait Stendhal.

 

En art et en tout, la vulgarité consiste à flatter les sentiments supposés du plus grand nombre.

 

La revanche des médiocres – Un esprit médiocre se reconnaît à ses efforts pour tout ramener à son lamentable niveau et à son incapacité d’admirer sincèrement quoi que ce soit. Un esprit médiocre ne se soucie pas des œuvres, il ne s’intéresse qu’à leurs auteurs, dont il monte en épingle les ridicules et les défauts. Sa haine de la grandeur trahit le lilliputien.

 

La biographie est un genre faux. Personne n’a jamais accès à la vie intérieure d’un autre ; or, seule compte la vie intérieure…


Emotion à géométrie variable. Il est bien vain de pleurer des morts célèbres et de ne rien éprouver face à la peine de ses proches.

 

Sans amour la vie est sans saveur.

 

Avec certains êtres, il n’y a rien à faire. Ils n’admireront jamais que l’apparat.

 

L’ironie est délicieuse et agréable, quand on s’adresse à une personne qui pense exactement tout ce qu’il faut penser sur tous les sujets possibles. Hélas, pour ne pas paraître « à ses yeux » idiot et superficiel, il faut toujours, à un moment ou à un autre, préciser que l’on était ironique !

 

Ne cède pas à la tentation dangereuse de renoncer.

 

Témoigner de ce que la vie a d’intolérable est une noble et juste ambition. C’est le travail du négatif, qui doit être poursuivi inlassablement. Mais il faut non moins et d’un même mouvement, témoigner de ce que la vie a de merveilleux. Ce n’est que dans ce double mouvement contradictoire que l’on peut espérer toucher au sentiment tragique de la vie, derrière lequel courent tant de philosophes sans y parvenir.

 

Il ne faut pas accorder à la mort des privilèges qu’elle a déjà sans notre accord.

 

La mort est le plus démocrate des juges. Son verdict est le même pour le riche et le pauvre, le puissant et le faible : on pourrait continuer longuement ce jeu d’oppositions. Il est à la source de quelques belles fables consolantes. Mais nous savons bien que cet égalitarisme final est aussi édifiant que faux. Que le riche meure n’a jamais consolé personne des inégalités et des franches injustices sur lesquelles il a prospéré.

 

La mort s’émeut dans la chambre… Comme si une voix, quelque part, disait : « Non, finalement, je reviendrai plus tard… »

 

…………………………………

 

Paul Valéry, cet incrédule délicat, vouait une sorte de culte à l’Esprit, qu’il dotait d’une majuscule. Mais combien souvent l’esprit ne réfléchit qu’aux possibilités concrètes de son anéantissement...

 

Le suicide, comme toute idée fixe, ne mérite ni patience, ni clémence. En théorie, et sans considérer le malheur dans lequel tant d’êtres se débattent…

 

L’alcool devrait être remboursé par la Sécurité sociale : le vin est moins nocif que la pharmacie des psychiatres et permet du moins à quelques solitaires de supporter leur existence !

 

Avoir toujours voulu être le médecin de soi-même et comprendre que sa vie future dépend de quelques spécialistes aux tarifs exorbitants…

 

La probité intellectuelle nous retient de conclure, de quelque façon. Mais surtout pas par un mot de consolation

 

Je ne sais pas plaider ma cause. Mais mérite-t-elle vraiment d’être défendue ?  

 

 

 

 

                                                           Frédéric Perrot. Novembre 2023.

lundi 13 novembre 2023

Personne n'a besoin de me parler de mes écrits (texte d'Alain Minighetti)


 

Personne n’a besoin de me parler de mes écrits – oralement j’entends. C’est inutile car ils prennent naissance dans un monde étrange et méprisable, empli d’une cruauté féroce et animale.

 

On ne palabre pas avec un caïman affamé, on l’esquive, on le fuit puis on l’oublie. Ses écrits perdureront et évolueront par eux-mêmes, tout comme voyagent les livres, au gré de rencontres éphémères ou non.

 

Toutes ces têtes dans mon panier. Tous ces mots rangés là, dans la cervelle, dans des petits tiroirs amovibles. On ne sait pas lorsque cela s’échappe et s’emboîte, ni pourquoi ni comment.

 

Le dernier m’ayant dit qu’il fallait bien être doué pour quelque chose je l’ai pris pour un escargot. Je revendique le droit à davantage de sollicitude à l’égard de mes écrits. Belle utopie rongée par les vers.


Les rêves que tu suicides doucement (un poème de Marlène Tissot)


 

Le réveil sonne

alarme sursaut

tu sens comme des milliers de pointes

de couteaux qui se plantent

dans ton ventre et dans ta tête

et un peu partout dans ta viande

sortir du lit

dehors c’est encore nuit

tu avales un café

et écoutes ton cœur s’accélérer

battre battre battre

combattre  

pas encore tout à fait mort

mais tu as des choses qui s’éteignent en dedans

et les rêves que tu suicides doucement

dans le vitriol des jours

tu enfiles un pull épais et puis ton blouson

tu cherches au fond de tes poches

un peu de force tiède

avant d’aller décharger les camions

à l’arrière d’un grand magasin

comme chaque matin

pour gagner ta vie

une vie dont tu ne sais plus vraiment

quoi faire

maintenant qu’elle est remplie

de tout un tas de rêves

assassinés


dimanche 12 novembre 2023

S'retaper (un poème de Guillaume Joseph)

Franquin, Idées noires

 

S’retaper putain, j’sais pas par où commencer

Y a 40000 démons et j’suis tout encrassé,

Don Quichotte avait ses moulins moi mes angoisses,

Et l’ensemble des vices dans lesquels j’me prélasse ;

Par où commencer derrière y a que du gâchis,

Des thunes par les f’nêtres et la négation d’une vie,

Le pire c’est le permis de vivre le droit de continuer

La chandelle ses deux bouts ont totalement cramé ;

Quand je pense que ça c’est même pas le pire

Y a l’étage du d’ssus où y a tout à reconstruire.

 

S’retaper putain, j’sais pas par où commencer

Mon cerveau de shiteux est tout congestionné ;

Si dans une maison y a des murs portant,

Faut croire qu’dans ma tête y a des neurones fléchissant,

Fléchissant sous l’poids des journées inexploitées

Où j’ai rien appris, rien ret’nu, rien ingéré,

C’est bête de détruire les moyens dont on dispose

Tel un esclave soumis créant sa propre sclérose

Si on m’ tirait une balle entre les deux yeux

A présent on manquerait le cerveau de peu ;

 

S’retaper putain, et faire ça sur la durée,

Accepter d’en chier éviter d’se défiler

Car pour esquiver les responsabilités

J’peux trouver mille raisons j’crois qu’faudrait m’arrêter ;

Pour aller loin paraît qu’faut prendre soin d’la monture

J’suis déjà au stade où j’ai mal aux jointures,

J’me d’mande même c’que c’est qu’cette prise de conscience

J’connais bien la machine, j’ai pas d’grandes espérances

Maintenant quand j’fais du sport je vois bien qu’ je crache,

Les autres i (z) accélèrent moi j’prie pour que rien ne lâche.

 

S’retaper putain, j’sais pas par où commencer

V’là un p’tit calcul qui devrait m’motiver :

Prenez dix euros tous les deux jours sur dix ans,

Ça fait dix fois 365 fois 10 ans,

Divisé par deux car j’ai dit tous les deux jours,

Ça fait 119712 francs lourds

La moto d’mes rêves et payée rubis sur l’ongle

Et encore pire y a assez pour un tour du monde

Et dire que j’roule dans une Twingo qui sent le shit

Quelle idée c’ calcul j’aurais pas dû donner suite…

 

S’retaper putain, j’sais pas par où commencer

Même si j’partais d’là ça s’rait plus qu’une épopée ;

Le constat une fois dressé fait que je retarde

Le quidam que je suis a la détresse bavarde ;

Je n’peux pas être et renier c’que j’ai été

Et je n’peux plus paraître sans qu’on sente le fossé

Entre c’que j’voudrais être et l’complice dans l’miroir

Qui m’dit dix ans qu’tu as dormi comme un loir ;

Quand ce constat plane et qu’t’en as 3 dans l’cornet

Autant dire à un tueur que c’est mal de tuer.

 

S’retaper putain et faire ça surtout pour celle

Qui partagera ma vie et s’ra un peu ma reine,

Être sain, solide, le creux des épaules rassurant,

Garder la tête claire pour les devoirs des enfants.

Intuitive, patiente, elle aura sûrement senti

Que j’suis à la fois l’homme sur lequel on s’appuie

Et l’autre tellement fort qu’il faut qu’on lui prenne la main

Qui cale un tout p’tit peu tout seul en cours de ch’min

Qui s’dit qu’il est absent de plus en plus lointain

Qui s’dit qu’il est urgent de s’retaper putain.




Autre poème de Guillaume sur le blog : La Gitane et le Bipolaire


https://beldemai.blogspot.com/2017/11/la-gitane-et-le-bipolaire-un-poeme-de.html

 

mardi 7 novembre 2023

L'amour s'en va

Hambourg

L’amour s’en va

C’est la débandade générale

Plus rien ne tient debout

Les femmes ont d’autres chattes à fouetter,

 

Annonce d’une voix grave l’animateur radio

Dans un débat au titre prometteur

Guerre des sexes,

Fantasme ou réalité ?

 

Mais cela se passe

Cela se passe

Plus tristement

De façon plus concrète

 

L’amour s’en va

Comme un voyageur insignifiant

Dont on n’aperçoit que le dos

Et la valise à roulettes

 

L’amour s’en va

Comme un train de banlieue obsolète

« De mon temps il partait à vingt et une heures vingt-sept »

Et vole en mille éclats

L’ultime miroir aux alouettes

 

L’amour s’en va

Chassé de partout comme un pauvre en goguette

L’amour s’en va

Et c’est pour ça que votre fille est muette 

 

L’amour s’en va

L’amour s’en va

Rangez vos mouchoirs et vos kleenex

Car nul ne le regrette !

 

 

                   Frédéric Perrot

lundi 6 novembre 2023

Faiblement dit (un poème de Louis Aragon)


 

Je n’aime pas les gens qui crachent dans la soupe

Je n’aime pas les gens qu’un rien fait parler

Ou sourire

Je n’aime pas les gens qui lèchent les pages des livres

Sous le prétexte de les tourner

Je n’aime pas les gens qui me demandent

Où j’ai l’intention de passer la soirée

 

               Je n’aime pas les gens

 

Je n’aime pas les gens qui pètent

Même intellectuellement

Je n’aime pas les gens qui empestent l’ail

La buffleterie ou la soutane

Les sous les choux la crotte et l’empressement

Je n’aime pas les gens qui se tripotent en regardant les femmes  

D’une façon manifeste

 

               Je n’aime pas les gens

 

Qui prétendent réglementer ma vie

Mon temps mes goûts mes écarts de langage

Qui non contents de rigoler aux premiers bafouillements

Venus d’un homme du monde avec politesse

Trouveraient mauvaise la moindre

De mes pensées

Je n’aime pas les gens je vous dis que

 

               Je n’aime pas les gens

 

Parce qu’ils sont effroyablement bornés et stupides

Parce qu’ils déjeunent et dînent aux heures fixées

Par leurs parents parce qu’ils vont au théâtre à l’école

À la revue du Quatorze Juillet

Parce qu’ils se marient voyagent de noces

Foutent légalement des enfants

Qui seront enregistrés au jour dit

Deviendront soldats putains en carte

Fonctionnaires

Préposés aux chalets de nécessité les plus divers

Parce que quand on a fini on recommence

Parce que de tous les sentiments imbéciles

Le sentiment familial est non seulement

Le plus répandu mais le plus

Révoltant et je te baise et je te tapote

Et tout de même c’est si gentil les enfants

On a beau dire et puis

Ils font des mots d’esprit et des farces

Apprennent quand il faut une fable un compliment

Parce que tous ces pains d’épice

Quand ça me chante de ne rien faire comme eux

En causent et s’étonnent

Parce que je les dégueule que je

Hausse les épaules devant les boas de leurs femmes

Les cerceaux de leurs rejetons

Les appartements de leurs bedaines

Parce que moi

Je ne suis pas en règle avec le maire et la patrie

Que je ne me cache pas l’horreur qu’ils m’inspirent

Parce que

 

               Je n’aime pas les gens